mercredi 22 septembre 2010

Une campagne au pas de course

Le candidat Freddy Bernal dans les rues de Catia. (Photo: Seb)

Hugo Chávez est omniprésent dans la campagne et cela irrite l'opposition. Si le président a suspendu son programme dominical "Aló Presidente" pour la période électorale, il n'en multiplie pas moins les allocutions télévisées pour défendre "ses" candidats. Sur les affiches du Parti socialiste uni (PSUV) le message est clair: "Les candidats du PSUV sont les candidats de Chávez". Freddy Bernal est l'un d'entre eux. L'ex-maire de Libertador (la plus grande municipalité de Caracas) a le pas décidé. Cet ancien policier est l'une des figures emblématiques du "chavisme". Depuis le début de la campagne, il multiplie les déplacements à pied dans les barrios, les quartiers défavorisés de Caracas. Aujourd'hui, son parcours comprend le quartier populaire de Los Frailes de Catia, à l'ouest de la capitale. L'homme a le regard vif et les cheveux grisonnants. Il porte une chemise rouge, couleur chère au bolivarisme. Au long de son parcours, il serre des mains, s'arrête aux portes des maisons où on l'invite parfois à entrer; comme dans celle-ci qui fait aussi office de petit magasin communautaire que fournissent les missions alimentaires du gouvernement; ou encore dans le centre médical tenu par deux doctoresses cubaines (y fonctionnent aussi une radio et une bibliothèque). "Avec ces élections, la colonne vertébrale du processus révolutionnaire est en jeu. Pour que le projet socialiste continue à se développer comme alternative au capitalisme, nous avons besoin d'approuver une série de lois afin de créer une structure juridique et politique", explique-t-il sans s'arrêter.

"Nous sommes convaincus que l'alternative au capitalisme est l'Etat communal (centré sur les conseils communaux, ndlr). Et celui-ci se base fondamentalement sur l'organisation, la participation et l'inclusion de la majorité", ajoute celui qui a accompli deux mandats à la tête de Libertador. A première vue les contacts à la municipalité du candidat Bernal fonctionnent toujours; il reçoit en tout cas l'appui logistique de son équipe de presse. Interrogé sur les plaintes de l'opposition quant à un possible favoritisme, il répond: "Nous sommes majoritaires. Et cet avantage nous l'avons construit avec nos forces, par en bas. Nous l'avons construit, comme vous pouvez le voir ici, avec les gens humbles des barrios de Caracas. Ces gens sont membres des conseils communaux, des comités de terre, des comités de santé, des maisons d'alimentation, etc., ce ne sont pas des fonctionnaires, ce sont les leaders de notre campagne et ce sont des militants de base". Le nouveau parlement sera-t-il amené à se sacrifier pour céder la place au pouvoir populaire, à une sorte d'Assemblée nationale de conseils communaux? "Pour l'instant cela n'est pas prévu. Les processus politiques ne se déterminent pas par décret, ils se développent. Nous sommes convaincus que l'Assemblée nationale et le pouvoir communal peuvent travailler ensemble. Il n'y a aucune contradiction car les députés seront les porte-parole et l'expression de ce pouvoir communal". Cependant M. Bernal estime que le mécanisme de représentativité actuel de l'Assemblée nationale est obsolète: "Les hommes et les femmes qui iront au parlement doivent être l'expression de la communauté".

Betzaida Fernandez, membre du Conseil communal de Los Frailes, participe activement à la visite du candidat Freddy Bernal dans sa communauté. Elle est fière de montrer les avancées obtenues en matière d'organisation locale et assure qu'il faut consolider la révolution: "Si nous perdons l'Assemblée, nous perdrons tout ce que nous avons construit durant ces onze dernières années".



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 21 septembre 2010

"Il faut plus de pression populaire"

En mai dernier, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) a soumis au vote de ses militants la sélection des candidats qui le représenteront aux élections législatives de ce 26 septembre. A cette occasion, plus de 2,5 millions d'affiliés s'étaient déplacés pour participer au scrutin interne. Un chiffre important mais qui représente en fait moins de 40% des plus de 7 millions de membres que revendique le parti. D'après Raúl Cazal, directeur d'El Dipló, l'édition vénézuélienne du Monde diplomatique, ces 2,5 millions de personnes qui se sont déplacées pour les primaires sont celles que l'on peut vraiment considérer comme des militants: "Les 7 millions soutiennent le processus, ils sont là, attentifs à ce qui se passe, mais ne s'intègrent pas tous dans la discussion politique. Cependant, 2,5 millions de militants cela reste énorme, dans n'importe quel pays".

L'ambition du PSUV depuis sa création était de permettre à de nouvelles figures d'émerger, mais jusqu'à présent les principaux leaders du parti restent des cadres qui occupent les hautes fonctions du gouvernement. L'élection interne a cependant permis un certain renouveau. "Beaucoup de candidats du parti pour les prochaines élections sont des personnes inconnues jusqu'ici. Cela va incontestablement changer le visage de l'Assemblée nationale", assure M. Cazal, qui est également vice-président de l'Agencia Venezolana de Noticias, l'agence de presse officielle. Effectivement, lors du scrutin interne de mai dernier, seuls 22 députés sortants ont été reconduits en tant que candidats à 110 postes disponibles (vote nominal), pour lesquels s'affrontaien 3500 "pré-candidats". Par ailleurs, 52 candidats supplémentaires (vote liste) ont été désignés directement par le président du PSUV, qui n'est autre que Hugo Chávez. Ces 52 noms sont quant à eux issus, pour la plupart, de l'appareil traditionnel.

Le vote de la base a donc, d'une certaine manière, puni les députés sortants. Et il faut dire qu'ils n'ont pas vraiment la cote, même auprès des citoyens qui soutiennent le "chavisme". Malgré la majorité absolue dont il a disposé durant ces cinq dernières années, de nombreux projets de loi sont restés au frigo, comme ce fut le cas de la loi permettant de mettre sur pied un système national coordonné de santé publique ou encore la nouvelle loi sur le travail (comprenant la réduction du temps de travail et la création de conseils de travailleurs dans les entreprises). La loi sur le contrôle des armes se trouve, quant à elle, toujours en discussion au sein de l'Assemblée, son traitement a été "réactivé" récemment après la dure campagne des médias d'opposition sur le problème aigu de la violence urbaine. Le retour de l'opposition au parlement serait-il salutaire afin de dynamiser le camp présidentiel? Pour Raúl Cazal, élire une nouvelle génération (44% des candidats du PSUV ont moins de 30 ans) ne suffit pas: "Je pense que nous avons besoin de plus de pression populaire, pas seulement la pression du président, ni celle de la contre-révolution. Nous avons besoin de la pression de ceux qui sont de notre côté, du côté du socialisme. Parce que sans cela, sans la mobilisation populaire, nous ne parviendrons à aucun changement et les députés continueront à s'endormir sur leurs lauriers".




Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 21 septembre 2010

lundi 6 septembre 2010

"Les positions des dirigeants étudiants chavistes tendent à être conservatrices"

Andrea Pacheco est étudiante de l'École d'Études politiques de l'Université centrale du Venezuela. A 22 ans, elle est également membre de la Jeunesse du Parti socialiste uni du Venezuela (JPSUV) ainsi que du mouvement de jeunes de Marea Socialista, collectif de militants de gauche radicale au sein du PSUV. Nous l'avons rencontrée en mai dernier, lors de la première réunion nationale des jeunes de Marea Socialista à Caracas.


(Photo: Fernando Esteban)

Quelle évaluation fais-tu de l'élection de 10 jeunes militants lors des primaires du PSUV en vue des législatives de septembre?


Tout d'abord, on peut lire de ces primaires que 44% des candidats ont moins de 30 ans. Cela veut dire que réellement il y a un sentiment de renouvellement qui s'est exprimé parmi la base du PSUV. Cela veut dire que les gens ne voulaient plus des mêmes et cela reflète également le besoin de renouveler les cadres du parti. Enfin je pense qu'il est très positif pour la jeunesse que ces camarades participent en tant que titulaires, dans une moindre mesure, et dans un plus grand pourcentage en tant que suppléants.

Je pense aussi que ce besoin de renouvellement va probablement se renforcer lors des élections du 26 septembre. Malgré le fait que ces jeunes soient déjà des personnes connues, ils n'ont cependant jamais occupé de postes importants ni dans les ministères, ni ailleurs. Il est nécessaire qu'ils débattent réellement avec la base de la jeunesse et qu'ils fortifient la JPSUV grâce à leurs candidatures. Car s’ils sont membres de la JPSUV, ils n'étaient cependant pas les candidats issus d'un débat au sein de la JPSUV. Cela veut dire qu’ils ne seront réellement les candidats de la JPSUV que lorsqu'ils convoqueront la base de la jeunesse afin de construire un programme, une alternative, et ainsi fortifier l'organisation de cette jeunesse.

Quelle est ton opinion par rapport à la dynamique politique au sein de la JPSUV ?

Les jeunes de Marea Socialista ont participé au congrès de fondation il y a maintenant deux ans. Mais depuis, il y a eut de nombreux problèmes d'organisation. La JPSUV n'organise pas ses cellules de base en tant que telles. Il y en a très peu qui fonctionnent au niveau national et très peu mènent un travail actif au niveau politique, communautaire ou culturel. En réalité, il y a beaucoup plus d'initiatives communautaires ou culturelles qui proviennent de petits collectifs d'étudiants isolés que d’une jeunesse organisée au niveau national avec des canaux de communication qui garantiraient un réel fonctionnement de type centralisme démocratique. La dynamique de la JPSUV a été jusqu'à présent assez dispersée.

Comment expliquer que ces dernières années ce soit la droite qui ait le plus réussi à mobiliser les jeunes ?

Au Venezuela le nombre d'étudiants a augmenté (de pratiquement 300%) dans la mesure où le gouvernement révolutionnaire a créé des mécanismes afin d'intégrer la population à l'éducation moyenne et supérieure. Cependant le mouvement étudiant qui est pris comme référence par les médias ainsi qu'en terme de mobilisation, provient en général des universités autonomes. C'est un mouvement qui par le passé faisait partie de la gauche la plus radicale du pays, contre les gouvernements de la IV ème République, mais aujourd'hui on voit que la révolution n'a pas gagné dans ses rangs ce secteur de la classe moyenne, qui est celui de ces universités mais également des lycées.

On a assisté à un processus d'élitisation des universités autonomes au début des années 90 (renforcement des mécanismes d’admission, diminution des services gratuits aux étudiants comme les bourses, le transport, etc). Aujourd’hui, les classes moyennes et hautes sont celles qui dominent ces établissements. Tout cela s'est accentué ces dernières années lorsque les militants de gauche (professeurs et dirigeants étudiants principalement) ont commencé à assumer des postes de gouvernement. Il y a aussi eu une expulsion de nombreux cadres étudiants révolutionnaires de l'Université centrale du Venezuela en 2001, qui a fortement marqué le mouvement étudiant. La situation actuelle est la conséquence du fait que nous ayons abandonné l'université et que cette progressive élitisation, conjuguée à un discours très peu attractif pour la jeunesse, a empêché que nous puissions avoir une influence de masse. Fondamentalement la JPSUV n'a pas de politique concrète par rapport à ce secteur. Les seules démarches qui ont eu lieu ont été sectaires et ont contribué à éloigner ces étudiants universitaires, à les polariser, à les renvoyer plus vers la droite au lieu d'essayer de les gagner à la cause, de dialoguer avec eux.

"La jeunesse ne peut se sentir enthousiasmée par le discours de jeunes qui invitent à défendre le gouvernement, qui invitent à défendre la loi, à défendre la police"

Un autre point est que les positions défendues par les dirigeants étudiants chavistes tendent à être conservatrices. Aujourd'hui ceux qui jettent des pierres sont les étudiants de droite ! Contrairement aux années 1980, aujourd'hui c'est la gauche qui demande de ne pas aller manifester, de rester en classe, de ne pas faire grève. Au contraire, nous les jeunes de Marea Socialista pensons que nous sommes dans une époque de transition de la transformation de l'État bourgeois. Et c'est justement parce que nous sommes dans une étape de transition qu'il est nécessaire de jeter de pierres, qu'il est nécessaire de réclamer, de s'organiser. On n'a pas besoin de défendre les vices de l'État bourgeois !

Ce discours de défense de l'État éloigne les jeunes gagnés à un discours plus radical. La jeunesse, et surtout la jeunesse étudiante des universités, a été historiquement le déclencheur de nombreuses révoltes et révolutions. Comme ce fut le cas lors de Mai 68 en France, du Cordobazo en Argentine, ou de la chute de la dictature du Général Pérez Jiménez ici au Venezuela. La jeunesse ne peut se sentir enthousiasmée par le discours de jeunes qui invitent à défendre le gouvernement, qui invitent à défendre la loi, à défendre la police.

Quelle est la position de la Jeunesse de Marea Socialista, afin de ne pas tomber dans les revendications de la droite mais sans non plus jouer le jeu de la bureaucratie ?

La Jeunesse de Marea Socialista est née justement de cette caractérisation : les différents mouvements étudiants au sein du processus ont fortement diminué. Beaucoup d'organisations nées avec la révolution n'ont fait que limiter la jeunesse, elles empêchent la participation constante de leurs membres, elles imposent la ligne politique. Et finalement ce sont des organisations qui servent à la négociation de postes et de privilèges pour les dirigeants étudiants et qui n'aident pas à approfondir le processus.

Cela a permis à Marea Socialista de mettre le débat sur la table et de formuler une proposition : organiser une jeunesse autonome qui ne dépende, au niveau de sa ligne politique, d'aucune institution de l'État; une jeunesse internationaliste qui comprenne que le socialisme n'est pas possible dans un seul pays, qu'il est nécessaire de l'étendre, d'être solidaires et surtout de parier sur l'organisation des secteurs révolutionnaires dans d'autres pays. Nous voulons construire une jeunesse de classe qui comprenne son rôle en tant que mouvement étudiant et qui tente d’amplifier l'articulation avec le mouvement ouvrier.

Comment s'est construite la Jeunesse de Marea Socialista en interne, quelle a été son évolution?

Marea Socialista est avant tout un courant de travailleurs né avec la création du PSUV. Marea Socialista a développé son mouvement de jeunes depuis l'année dernière. Le fait que nous essayions de construire une jeunesse au niveau national est une avancée importante. Au départ nous n'étions actifs que sur Caracas, aujourd'hui nous essayons de nouer des contacts dans d'autres États et de lancer des campagnes nationales. Nous voulons créer une Jeunesse qui existe réellement, qui soit active dans les luttes et qui n'existe pas uniquement sur une liste.




Interview publiée dans la revue Inprecor de août/septembre 2010


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