mercredi 28 mai 2008
Conseil communal à Manicomio
Ponctualité vénézuélienne oblige, nous avons eu le temps de boire une bière et de discuter un peu jusqu'à 20h, lorsque la réunion a vraiment commencé.
"Attendons que tout le monde sorte, il faut que se soit bien démocratique". Une fois n'est pas coutume, le retard jeudi dernier avait une réelle motivation. Petit à petit, les habitants du "callejon" et des ruelles avoisinantes prennent place dans la ruelle principale.
C'est une des premières réunions du conseil communal de ce quartier populaire à l'ouest de Caracas. Environs 70 personnes, dont une majorité de femmes, se sont regroupées dans la rue pour constituer le Commission électorale qui sera chargée d'organiser l'élection des portes-parole de la communauté, les "voceros".
Les conseils communaux sont des instances de démocratie participative que les Vénézuéliens sont libres de constituer dans leurs quartiers. Toute personne âgée de plus de 15 ans peut y participer comme votant ou comme candidat.
"Ceux qui connaissent la loi, tant mieux. Ceux qui ne la connaissent pas doivent la lire, c'est important. Ici c'est l'assemblée qui décide", s'exclame Wilfredo dans son haut parleur, alors que les voisins se regroupent autour de la pancarte collée au mur et qui servira de tableau improvisé.
La loi des conseils communaux a été adoptée par l'Assemblée nationale en avril 2006. L'article numéro 2 stipule que "les conseils communaux, dans le cadre constitutionnel de la démocratie participative et protagonique, sont des instances de participation, d'articulation et d'intégration entre les différentes organisations communautaires, groupes sociaux et les citoyens et citoyennes".
Ils doivent permettre "au peuple organisé d'exercer directement la gestion des politiques publiques et des projets orientés à répondre aux nécessités et aspirations des communautés par la construction d'une société équitable et de justice sociale".
Commission électorale
Le premier pas pour conformer un conseil communal est le recensement démographique de la communauté, réalisé par un groupe de "promoteurs" qui en prennent l'initiative. Seules les personnes inscrites pourront voter pour élire les membres des différentes commissions et de l'organe exécutif du conseil.
"Ceux qui ne veulent pas se faire recenser par qu'ils n'ont pas confiance ou parce que ça ne les intéresse pas, c'est leur droit. Mais qu'ils ne viennent pas critiquer le travail du conseil communal après!", vocifère Wilfredo pour que tout le monde entende, y compris ceux qui regardent depuis leurs fenêtres sans participer.
Ce jeudi, l'assemblée doit désigner une Commission électorale de 5 personnes qui seront chargées d'organiser la campagne et les élections des différentes commissions qui conformeront cette instance participative.
Cette commission électorale sera dissoute après les élections et ses membres ne peuvent se porter candidats lors du scrutin.
Parmi les principales commissions, la "Banque communale" sera l'organe chargé d'administrer les ressources financières apportées par le gouvernement pour la réalisation des projets.
La Commission de Contrôle ou "Unité de Contrôle social", sera pour sa part chargée de suivre de près le fonctionnement du conseil communal ainsi que l'administration des finances par la Banque communale.
Ces deux commissions, comme toutes les autres, devront se soumettre aux décisions et contrôle de l'assemblée des citoyens, l'instance suprême.
Les domaines que peuvent toucher les conseils communaux, selon leurs niveau d'organisation, sont divers: sport, culture, éducation (en partenariat avec les Missions par exemple), santé, aide aux personnes à bas revenu, infrastructure, transport, etc.
"Le problème n'est pas qu'il n'y a pas de gaz, le problème c'est que les marchands spéculent avec le prix des bombonnes", s'indigne un voisin, alors qu'on s'arrange pour organiser l'approvisionnement en gaz dans le quartier. C'est aussi une des attributions des conseils communaux!
On en revient au but premier de la réunion, la désignation de la Commission électorale. "Allez les expatriés là, ça serait bien que l'un d'entre vous y participe. Vous aussi vous avez des droits!", nous rappelle Wilfredo.
Ma curiosité et l'insistance de l'invitation me poussent à me porter volontaire. Me voilà embarqué dans la Commission électorale du conseil communal de Manicomio.
vendredi 16 mai 2008
Quand Interpol brode autour de son rapport sur l'ordinateur des FARC
Ce jeudi, le secrétaire général d'Interpol, l'étasunien Ronald Noble, a remis en personne à Bogotá le rapport de la Police Internationale sur l'analyse des trois ordinateurs que les autorités colombiennes prétendent avoir retrouvé sur le site du bombardement du campement des FARC, en territoire équatorien, et qui auraient appartenu au numéro deux de la guérilla tué durant l'opération, Raúl Reyes.
A la vieille du cinquième sommet Europe, Amérique latine et Caraïbes, la presse commerciale fait déjà un festin des conclusions énoncées par Noble en conférence de presse.
"Nous sommes certains que les pièces examinées par nos experts proviennent d'un campement terroriste des FARC", a indiqué jeudi le secrétaire général d'Interpol, répondant à un journaliste qui lui demandait s'il pouvait affirmer la provenance de ces ordinateurs.
Pourtant, le rapport écrit dit exactement le contraire (1). Il signale que "la vérification par Interpol des huit pièces à conviction informatiques saisies aux mains des FARC (2) n’implique ni la validation de l’exactitude des fichiers utilisateur, ni la validation de l’interprétation de quelque pays que ce soit relativement à ces fichiers utilisateur, ni la validation de la source des fichiers utilisateur".
En d'autres mots, bien que le rapport prenne comme fait accompli dés le premier paragraphe que ces ordinateurs ont été "saisis dans un camp des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en Équateur, dans la région frontalière avec la Colombie, le 1er mars 2008", il ne peut concrètement en certifier la provenance.
Il met également en garde contre toute interprétation hâtive. Il serait donc bon de rappeler le droit à la présomption d'innocence dont dispose chaque personne et gouvernement jusqu'à ce qu'une instance compétente ait déterminé si quelqu'un est responsable de quoi que se soit (financer, armer les FARC, etc.). Ceci étant un principe de base du journalisme.
Le journal Le Soir, reprenant une dépêche de l'Afp, affirmait jeudi sur son site web que "un rapport d’Interpol, dévoilé jeudi à Bogotá, atteste l’authenticité des documents qui prouvent, selon Bogotá, que le chef de file de la gauche radicale latino-américaine (Chávez, ndlr) aurait financé et armé la guérilla marxiste".
C'est vrai, Noble (3) a assuré que l'équipe d'experts d'Interpol n'a retrouvé "aucun élément attestant la création, la modification ou la suppression de fichiers utilisateur".
Cependant, le rapport rend compte que les pièces à conviction n'ont pas été traitées selon "les principes reconnus internationalement pour ce type d'expertise".
Plus précisément, "l’accès aux données contenues dans les huit pièces à conviction informatiques provenant des FARC entre le 1er mars 2008, date à laquelle elles ont été saisies par les autorités colombiennes, et le 3 mars 2008 à 11h45, lorsqu’elles ont été remises au Grupo Investigativo de Delitos Informáticos de la Police judiciaire colombienne, n’a pas été effectué conformément aux principes reconnus au niveau international en matière de traitement des éléments de preuve électroniques par les services chargés de l’application de la loi".
C'est à dire que les autorités colombiennes ont ouvert directement les fichiers entre ces deux dates. Il est même précisé que "un ordinateur portable ainsi que les deux disques durs externes qui ont été saisis contenaient des fichiers à l’horodatage erroné (dates dans le futur)", datés de 2009.
Finalement, Interpol insiste sur le fait que "l’exactitude et la provenance des fichiers utilisateur contenus dans ces huit pièces à conviction sont et ont toujours été exclues du champ de l’expertise réalisée par Interpol, qui porte sur les aspects d’informatique légale".
Deux rapports, deux couvertures médiatiques
La semaine dernière, l'Equateur à présenté son rapport dénonçant qu'au moins quatre des 25 personnes décédées lors du bombardement du campement des FARC le premier mars, ne sont pas mortes des causes du bombardement mais ont été abattues par balle.
De plus, l'autopsie a démontré que le citoyen équatorien qui se trouvait dans le campement est mort de coups sur le crâne. On se rappellera que Bogotá avait héliporté des troupes après le bombardement afin de récupérer les corps de Raúl Reyes et de Franklin Aisalia (équatorien confondu au départ avec un autre dirigeant de la guérrilla, Julian Conrado).
Les autorités de Quito dénoncent également que la Colombie ne dispose pas d'avions capables de transporter les bombes utilisées dans l'opération, et accusent une "force étrangère" d'avoir participé au bombardement, faisant référence aux États-Unis et à leur base militaire de Manta, située en territoire équatorien.
De nouveau, on voit la différence faite dans la couverture médiatique de ces deux rapports.
(1) Pour consulter le rapport d'Interpol en quatre langues, cliquez ici.
(2) Il s'agit de trois ordinateurs portables, deux disques durs externes et trois clés USB.
(3) Le président Hugo Chávez l'a surnommé "ignoble" lors d'une conférence de presse à Caracas ce jeudi, en réaction au rapport rendu par Interpol.
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