Electeurs attendant patiemment leur tour lors de l’élection présidentielle de décembre 2006. (Photo : Seb)
Voici la dernière partie de ma réaction à la défaite du "oui" lors du référendum sur la réforme constitutionnelle du 2 décembre dernier.
Vous pouvez consulter ici les deux premières parties :
- Leçon de démocratie à
- Leçon de démocratie à
A bientôt un mois du référendum, le Venezuela et le proceso sont toujours dans une ambiance "post 2 décembre".
Bizarrement, l’opposition s’est montrée relativement calme depuis la dernière échéance électorale. De nombreuses personnes mentionnent le fait que les opposants ne s’attendaient pas à cette victoire. Tous leurs plans étaient basés sur une défaite et sur une mobilisation de leurs secteurs dans les rues pour délégitimer le processus électoral. Mais une fois la victoire acquise sur le terrain démocratique, plus rien, aucune offensive sur le plan politique si ce n’est l’éternelle guerre médiatique qui fait rage.
Se poursuit également le boycott, par certains secteurs de capitalistes "nationaux", de produits de base tels le lait, le sucre, l’huile, la farine, etc. qui parviennent difficilement à la population. Le phénomène est connu ici comme "desabastecimiento" (littéralement : désapprovisionnement) (1).
On peut facilement imaginer ce qu’aurait été la réaction de l’opposition (et de la "communauté internationale") si le "oui" l’avait emporté avec une marge aussi courte. Les derniers chiffres fournis par le Conseil National Electoral donnent une différence de 1,31 % pour le non dans le premier bloc, et une avance de 2,01 % dans le deuxième. Avec une abstention proche des 44%.
L’opposition est calme donc. Mais le "chavisme", que fait-il ? Bien que le président Chávez ait appelé à l’autocritique le soir même de la défaite, on tarde à la voir venir et le discours "post 2 décembre" continue malheureusement de ressembler à celui utilisé dans les semaines précédant le référendum.
J’ai l’impression qu’on essaie très peu de se plonger dans le pourquoi du rejet de la proposition de réforme constitutionnelle, en se réfugiant derrière l’idée que "les gens ont eu peur, ils n’ont pas compris". Posture fort paternaliste pour un processus qui se veut révolutionnaire et participatif.
Des articles en défaveur de la réforme
Je parlais dans mon dernier article d’un secteur du "chavisme" qui divergeait avec la proposition de réforme sur certains points, comme par exemple l’article 338 qui modifiait les conditions pour décréter l’Etat d’urgence. Ou le 191 proposé par l’Assemblée nationale et taillé sur mesure pour ses propres députés, afin que ceux-ci puissent se réincorporer au Parlement après avoir occupé un poste de ministre ou toute autre fonction publique.
Un point à méditer : ce genre d’article n’a-t-il pas amené une partie des partisans du processus à voter contre la réforme ?
S’il en fut ainsi, on peut en tout cas en tirer un aspect positif : cette population qu’on aurait parfois pu croire "suiviste", qu’on aurait pu qualifier comme "plus chaviste que révolutionnaire" (dans le sens négatif de la personnalisation du processus) viendrait en fait de démontrer son indépendance et sa capacité de peser le pour et le contre.
Signal d’alarme ?
L’autre hypothèse possible, c’est que ce "non vote" (à ne pas confondre avec le vote pour le "non") des 2 800 000 partisans de Chávez qui ne se sont pas déplacés le dimanche 2 décembre pour appuyer la réforme, soit une forme de signal d’alarme envers la gestion parfois franchement inefficace du gouvernement dans certains domaines.
J’ajouterais à cela un signal d’alarme aussi contre la présence d’opportunistes et de corrompus qui mènent la belle vie au sein du gouvernement. Il n’est pas rare d’entendre en rue cette remarque : "Espérons que le Président comprenne qu’il doit faire le nettoyage dans son entourage".
Si des pas importants ont été faits dans de nombreux domaines, des efforts énormes restent à faire dans d’autres aspects extrêmement concrets de la vie quotidienne. Vivant dans un quartier populaire de Caracas depuis maintenant plusieurs mois, les premiers qui me viennent à l’esprit sont les suivants : résoudre l’insécurité, exterminer la corruption et être impardonnable envers l’inefficacité des autorités locales qui se montrent, pour certaines, incapables de résoudre des problèmes aussi basiques que la collecte des déchets.
La réforme constitutionnelle aurait-elle permis d’avancer dans ces aspects ? Certainement. Les conseils communaux et
Comme dans tous les pays, la droite surfe sur le thème de l’insécurité et les journaux à sensation en remplissent leurs pages. Cependant le problème est bien réel. Le combattre efficacement signifierait agir sur plusieurs fronts : continuer à réduire les inégalités sociales, mettre les bouchées doubles sur l’éducation et la prévention, et surtout réformer ou plutôt révolutionner la police. Corrompus, inefficaces et parfois source d’insécurité eux-mêmes, les corps de police constituent une des couches les plus néfastes de l’appareil d’Etat, qu’il s’agisse tant de
Bref, tous ces facteurs peuvent avoir pesé dans la balance et amené une partie de la population à utiliser l’abstention comme une sonnette d’alarme envers Chávez sur des revendications qui, bien qu’elles soient basiques et émanent d’une vision à court terme, n’en sont pas moins légitimes et demandent une réponse rapide et efficace.
En guise de conclusion personnelle j’identifierais donc 3 causes de cette abstention :
(1) L’abstention par la peur
L’utilisation par l’opposition de la vieille peur du communisme, agitant le démon de la suppression de la propriété privée (alors que celle-ci était reconnue textuellement dans la réforme au coté des autres formes de propriété).
Là on peu dénoncer la propagande de l’opposition mais il est bon de se rappeler que celle-ci n’a rien fait d’autre que son travail. Il faut donc se poser la question de l’efficacité de la propagande du "oui" et surtout revoir la stratégie communicationnelle des médias gouvernementaux et communautaires.
(2) L’abstention par le désaccord
Certains articles n’ont pas convaincus une partie de la population. Etaient-ils vraiment indispensables ? N’ont-ils pas contribué à favoriser l’abstention ?
(3) L’abstention comme signal d’alarme
Ce référendum n’a-t-il pas été l’opportunité pour certains de dénoncer la mauvaise gestion, la corruption et autres tares d’une partie des organismes gouvernementaux et locaux ?
Quel est le pourcentage qui correspond à chacune de ces hypothèses ? Laquelle prédomine ? Difficile à dire. Y a-t-il d’autres raisons ? Certainement.
Ces explications ne sont-elles pas trop basiques ? Peut-être mais elles constituent le quotidien de la majorité de la population. Et bien que le Venezuela essaie de construire une société différente, il reste pour l’instant un pays capitaliste où l’argent fait la loi et détermine la vie des habitants. Comme vous répondent la plupart des chauffeurs de taxi quand vous leur parlez de politique : "Moi si je ne travaille pas, je ne mange pas".
Pour convaincre ces personnes il ne suffit donc pas de leur parler de révolution, il faut que celle-ci soit mise en pratique et qu’elle se traduise en une amélioration concrète dans leur quotidien.
La fin du processus bolivarien ?
Je ne le pense pas. De toutes les défaites électorales possibles, celle-ci était la moins grave. Elle ne remet nullement en cause la situation actuelle du Gouvernement. Réélu en 2006 avec 60 % des voix, le président Chávez continuera donc son mandant jusqu’en 2013.
Depuis 1999, le proceso a avancé dans le cadre de cette Constitution, il peut continuer à le faire même si certains aspects seront plus difficiles à traiter que prévu.
Il n’est pas exclu qu’une nouvelle réforme soit proposée dans les années à venir. Selon
Cependant,
A noter aussi que l’année 2008 sera de nouveau une année électorale au Venezuela, on votera pour l’élection des maires et gouverneurs des 23 états du pays, ainsi qu’à Caracas. Un rendez-vous à ne pas manquer pour le proceso et peut-être enfin l’opportunité de voir émerger de nouveaux leaders issus des bases populaires.
Notes :
(1) J’ai l’intention de revenir sur ce phénomène dans un prochain article plus détaillé.
Réactions des deux camps
J’avais rédigé cet article il y a déjà près de deux semaines mais j’ai mis du temps à le publier. J’ai donc décidé de reprendre deux réactions plus récentes en relation avec ce que j’affirmais ci-dessus.
L’écrivain et intellectuel vénézuélien Luis Britto García a publié un article le dimanche 23 décembre dans le quotidien Últimas Noticias. En voici un court extrait :
"La réforme constitutionnelle s’est perdue à cause du ‘desabastecimiento’ (désapprovisionnement, voir ci-dessus), la déformation médiatique et la perception du manque d’efficacité dans le combat contre l’insécurité et la corruption. Les administrateurs doivent initier de puissantes actions afin d’éviter que le pouvoir ne se perde pour les mêmes raisons. (…) Les médias du proceso doivent restructurer leur organisation, message et contenu".
De l’autre côté de l’échiquier politique, Yon Goicochea, l’un des dirigeants du mouvement étudiant d’opposition, affirmait dans une interview, le même jour dans le même journal :
"Pour l’instant nous sommes en restructuration, nous mettons tout au point afin d’être plus opérationnels et nous travaillons également sur des propositions de type social que nous présenterons au pays en janvier".
A propos de l’année 2008, Goicochea a d'ores et déjà annoncé l’agenda :
"Je crois que l’année qui arrive sera très conflictuelle, pour la raison électorale, à cause du problème économique et du ‘desabastecimiento’, mais nous avons de l’espoir. Nous pensons que le vénézuélien commence à se réveiller".