jeudi 1 septembre 2011

Feu sur le Marmara

Un documentaire sur la première Flottille à Gaza réalisé par David Segarra et produit par TeleSUR. Voix du sud à participé au sous-titrage avec l'aide de l'Association belgo-palestinienne. 

Le 31 mai 2010, neuf personnes étaient assassinées par des commandos israéliens dans les eaux internationales. Aux côtés de 700 autres activistes, elles essayaient d’acheminer de l’aide et de rompre le blocus qui maintient dans la souffrance la population palestinienne de Gaza depuis des années. A travers le récit des journalistes et des activistes ayant survécu à l’attaque, nous voyagerons de Caracas à Valence, Barcelone, Bruxelles, Londres, Stockholm, Istanbul et Gaza ; afin d’essayer de comprendre les motivations de la Flottille de la Liberté.

 


DVD / 70 min / 2011 / VENEZUELA

V.O. ESPAGNOL, CATALAN, TURC, FRANÇAIS, ANGLAIS, HEBREU, ARABE

SOUS-TITRES : FRANÇAIS

REALISATION / SCENARIO David Segarra

PRODUCTION Telesur

PHOTOGRAPHIE Vicent Chanzá

MONTAGE / EDITION Alejandro Jurado, Thairon Martínez

MUSIQUE Yann Manuguerra 

dimanche 28 août 2011

Venezuela : quand le poisson revient

(Photos : Seb)

Au Venezuela, la pêche industrielle au chalut a été interdite en 2009. Deux ans plus tard, la mesure porte ses fruits : la pêche artisanale vit un nouvel essor. Mais le manque de vision globale et à long terme du gouvernement pourrait freiner cette réussite.

La péninsule d’Araya, dans le département de Sucre, est connue depuis la colonisation pour ses salines. Ici, rien ne pousse, ou presque. La côte est aride et le sol poussiéreux. L’agriculture (principalement des plantations de bananiers) ne se développe que dans les zones plus humides, à flanc de montagne. Les ruines du vieux fort témoignent de l’importance stratégique d’Araya à l’époque coloniale, pour l’approvisionnement en sel de la métropole espagnole.


A Caimancito, petit village situé sur la péninsule, on vit de la pêche de père en fils. Car les côtes du département, aujourd’hui, sont aussi et surtout la réserve poissonnière du Venezuela : plus de 60% du poisson pêché dans le pays en provient.


« Moi, je pêche depuis l’âge de 8 ans. Mon père est mort jeune et j’étais le seul garçon de la famille. J’ai dû arrêter l’école et sortir en mer pour ramener de quoi manger à la maison », explique Persiliano Rodríguez, membre d’une coopérative familiale de distribution de poisson. A Caimancito, on savoure l’interdiction de la pêche industrielle au chalut [1] comme une victoire.


Pêche industrielle néfaste

« Les chalutiers pêchaient la langoustine et le corocoro (Haemulon Plumieri), ils décimaient le petit poisson et faisaient fuir le reste », raconte un pêcheur sur la plage. Persiliano précise : « Ils pêchaient en zone interdite, trop près des côtes, et sans aucun respect. Ils cassaient fréquemment les filets tendus par les petits pêcheurs et payaient rarement pour les dommages occasionnés ». D’après les témoignages, les propriétaires de chalutiers soudoyaient la Garde nationale (gendarmerie) pour échapper aux contrôles le long des côtes. La langoustine se vend cher sur le marché, quelques caisses offertes à la Guardia suffisaient pour s’assurer une sortie en mer sans réprimande.

Les pêcheurs du coin n’avaient alors d’autre choix que d’aller chercher le poisson ailleurs. Leurs petits peñeros (bateaux à moteur) les emmenaient jusqu’à l’île de Margarita, située à environ 40km en face de la péninsule. Certains faisaient l’aller-retour dans des journées et des nuits interminables. D’autres préféraient passer jusqu’à deux semaines complètes sur l’île ; ils rentraient ensuite quelques jours à la maison et repartaient à nouveau.


« Aujourd’hui, on sort quatre à cinq heures par jour et on ramène beaucoup plus de poisson. On a commencé à voir la différence à peine quelques mois après l’interdiction de la pêche industrielle », continue Persiliano qui aime raconter ses anecdotes. Il faut dire qu’il n’est pas seulement pêcheur, c’est aussi un agitateur qui reconnaît « ne pas s’être fait que des amis » par ses actions et ses apparitions dans la presse pour dénoncer les abus des chalutiers et la connivence des autorités. « Une nuit, nous avons organisé une expédition punitive. Nous sommes sortis en mer avec un petit groupe pour aller foutre le feu aux chalutiers qui nous pourrissaient la vie. Mais les équipages ont eu vent de notre plan et ils ne sont pas sortis », se souvient-il avec un petit sourire au coin des lèvres.

Cette lutte contre les chalutiers affectait aussi les relations entre villages voisins. Non loin de là, à Taguapire, la majorité des hommes travaillaient sur les chalutiers. « A l’époque, je n’étais pas vraiment le bienvenu à Taguapire. Parce qu’ils disaient que si on interdisait la pêche au chalut ils allaient perdre leur travail. Mais je pense qu’ils ont pris conscience de l’opportunité que cela représente pour tout le monde », ajoute Persiliano.


Récupérer le fruit de son travail

Taguapire aujourd’hui, ce sont 48 bateaux pour près de 280 pêcheurs. Carlos Salazar est un de ceux-ci. Reconverti à la pêche artisanale, il salue lui aussi la mesure. « J’ai travaillé pendant 28 ans sur les chalutiers. A l’époque, on pêchait la langoustine mais on ne la mangeait pas, c’était trop cher pour nous. Et puis on était obligés de vendre le produit de notre pêche au propriétaire du bateau. Il gardait 75% de la vente et les pêcheurs devaient se répartir les 25% restants », commente-t-il. D’après les chiffres de l’Institut socialiste de la pêche et l’aquiculture (Insopesca), la crevette était le principal produit de la pêche des chalutiers industriels et 98% étaient destinés à l’exportation.



Aujourd’hui, les hommes du village se sont eux aussi reconvertis à la pêche artisanale, même si celle à la langoustine inclut toujours l’utilisation de plus petits chaluts. « C’est différent, on n’est plus dans la pêche intensive industrielle », estime Persiliano. « Et puis c’est le type de pêche qu’ils manient, on ne peut pas leur interdire du jour au lendemain, ces hommes ont leurs familles à nourrir. Au moins, maintenant, cet argent reste dans le village ». La loi prévoit en effet une période de transition pour ce type de pêche (voir encadré).

Organiser les pêcheurs

Dans la foulée de la réforme, des crédits ont été accordés par le gouvernement pour la reconversion. L’Insopesca a voulu également organiser les pêcheurs de la zone en « conseils de pêcheurs et aquiculteurs ». L’idée s’inspire des conseils communaux, organes de démocratie locale participative dans les villes et les campagnes. Officiellement, ces conseils doivent permettre aux pêcheurs de participer directement à la planification, gestion, direction, exécution, contrôle et évaluation des politiques nationales en matière de pêche.


Persiliano fut, à une époque, président de l’association des pêcheurs de Caimancito. Il a son opinion sur ces conseils : « Le problème c’est qu’ils ont été instrumentalisés dès le départ. Le gouverneur, le maire et même un député de la région ont chacun créé ‘leur’ conseil de pêcheurs, avec un groupe de personnes qui les soutient. Donc, à la tête de ces conseils, on trouve des gens qui n’y connaissent pas grand-chose et qui ne revendiquent pas beaucoup ; ils sont cooptés ». Pour Persiliano, ce qu’il manque aujourd’hui c’est une organisation effective de la pêche entre tous les villages de la zone.


Besoin d’une vision à long terme

Sur le marché de Carúpano, à deux heures de route de Caimancito, le poisson frais s’étale tous les jours sur les échoppes. On y vend au gros pour le distribuer ensuite vers Caracas et les autres villes du pays, mais aussi au détail pour les habitants du coin. « Les défenseurs de la pêche industrielle disaient que les pêcheurs artisanaux n’allaient pas pouvoir alimenter le marché national. En à peine six mois après l’application de la loi, le marché était déjà amplement alimenté », explique Persiliano.


Alors que les vieux chalutiers sont coulés le long des côtes comme récifs artificiels pour attirer le poisson, le gouvernement a commencé les travaux pour construire un chantier naval sur la route entre Caimancito et Taguapire. Mais cette nouvelle initiative est vue d’un mauvais œil par Persiliano et les siens : « C’est contradictoire de construire ça ici, cela va inévitablement entraîner une pollution. Nous ne sommes pas une zone industrielle, nous vivons de la pêche artisanale. Cela démontre vraiment un manque de vision à long terme de la part du gouvernement ». Il existe d’ailleurs déjà un chantier plus loin sur la côte, près de la ville de Cumaná ; et d’après les pêcheurs, les coquillages pêchés dans cette zone ont un goût de gasoil.

Cofinancé par le Brésil et le Venezuela, le nouveau chantier devrait être amené à produire des supertankers de près de 300 000 tonnes, afin de fournir le marché asiatique en pétrole vénézuélien. Par ailleurs, la nouvelle flotte industrielle de l’ALBA [2], Pescalba, a été créée en 2009 entre Caracas et La Havane comme « alternative » à la pêche au chalut. Certains membres des équipages de chalutiers ont été reconvertis et formés pour travailler sur les bateaux de Pescalba. Le gouvernement vénézuélien ne cache son ambition de convertir le pays en « puissance poissonnière » de la région en développant sa propre flotte industrielle. Les pêcheurs artisanaux de la péninsule d’Araya espèrent que cela se fera dans le respect de leur habitat et de leurs traditions de pêche.


Quid des eaux usées ?

Finalement, si la nouvelle législation favorise l’écosystème marin et les pêcheurs locaux, elle n’est pour l’instant pas intégrée à une politique générale de protection de l’environnement et des ressources naturelles. Les eaux usées, par exemple, sont très rarement traitées et les rivières chargées de reflux industriels, agricoles ou encore ménagers finissent leur parcours directement dans les eaux turquoise de la mer des Caraïbes. Le cas du Guaire (cours d’eau qui traverse la capitale Caracas) est emblématique : Il ressemble plus à un égout à ciel ouvert qu’à une rivière. Selon la biologiste Evelyn Pallotta, des stations d’épuration existent mais très peu fonctionnent réellement. « Le poisson ne diminue pas seulement à cause de la surexploitation de la pêche, il est aussi affecté par la pollution » [3].


Sur la route entre Caimancito et Carúpano, les déchets ménagers des villages environnants sont entassés dans une décharge à ciel ouvert, l’épaisse fumée et l’odeur qui s’en dégagent laissent présumer qu’ils sont fréquemment brûlés en plein air, à quelques centaines de mètres du front de mer. Sur le bord de la route, un panneau gouvernemental annonce la construction d’un futur (hypothétique ?) compacteur de déchets...


Notes :

[1]
Le chalut est le filé traîné par le chalutier. Il fonctionne comme un entonnoir au fond clos, dans lequel le poisson est capturé. Il permet une pêche intensive (les plus grands chaluts peuvent être tirés par deux bateaux à la fois) et est un des principaux responsables de la surexploitation des ressources marines.


[2]
L’ALBA, ou l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, est une organisation politique, sociale et économique de coopération entre des pays de gouvernements progressistes d’Amérique latine et des Caraïbes. Elle est née en 2005 à l’initiative de Cuba et du Venezuela, comme alternative à l’ALCA (ZLEA en français, Zone de libre-échange des Amériques, alors impulsée par Washington).


[3]
Humberto Márquez, El calor sube y la pesca disminuye en el Caribe venezolano, IPS Noticias, octobre 2010, www.ipsnoticias.net




Plus de 10 km de protection exclusive


Depuis 2001, un décret-loi réserve aux embarcations artisanales une zone exclusive de pêche de plus de 10 km le long des côtes. Ce décret figurait parmi un ensemble de mesures qui avaient déclenché les foudres de l'opposition et mené au coup d'Etat patronal et militaire du 11 avril 2002.

En ce qui concerne la pêche industrielle au chalut, elle est interdite depuis 2008 « dans les eaux territoriales et la zone économique exclusive de la République bolivarienne du Venezuela ». La législation laissait un an aux entreprises actives dans le secteur pour s’adapter, les chalutiers sont donc définitivement rentrés dans les ports le 14 mars 2009.

La loi dit également dans son article 23 que « la pêche artisanale au chalut sera progressivement remplacée par d'autres méthodes afin de garantir le développement durable des ressources hydrobiologiques et l'environnement ».

Selon l'Insopesca, le Venezuela produit environ 400 000 tonnes annuelles de poisson. Le pays compte près de 30 000 pêcheurs, dont la majorité travaille à bord de petites embarcations artisanales.




Article publié dans
dlm, demain le monde, n°8, juillet-août 2011 // www.cncd.be/dlm

mercredi 3 août 2011

Eric Toussaint : "Il faut annuler les dettes illégitimes"


ENTRETIEN • L’économiste Eric Toussaint critique les plans d’austérité imposés en Europe, qui vont accroître la dette sans permettre une relance économique.

Economiste, président de la section belge du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), Eric Toussaint a intégré la commission d’audit de la dette mise sur pied par le président équatorien Rafael Correa, à la suite de laquelle l’Equateur a décidé d’annuler une partie de sa dette jugée illégitime. Il livre son analyse de la crise qui frappe aujourd’hui plusieurs pays européens.


La Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, et maintenant les Etats-Unis: la crise de la dette n’en finit pas de toucher les pays industrialisés. Assiste-t-on au retour de manivelle du renflouement des banques par les Etats lors de la crise des subprimes en 2008?


Eric Toussaint: Oui et non. Bien sûr, les dettes publiques dans toute une série de pays (Etats-Unis, Irlande, Grande-Bretagne, Belgique, Portugal) ont fortement augmenté après les plans de sauvetage des banques privées. Cela a coûté beaucoup d’argent et, pour financer ces plans de sauvetage massifs, ces Etats empruntent sur les marchés et donc leur dette augmente. Mais ce n’est pas la seule cause. L’autre cause est la récession économique qui diminue les recettes des Etats et qui les oblige à multiplier aussi les recours à l’emprunt.

C’est aussi l’aboutissement de politiques qui ont été appliquées avant cette crise financière de 2007-2008. Ce sont ces vingt ans de politiques fiscales néolibérales qui ont consisté à réduire radicalement les impôts payés par les sociétés privées sur leurs bénéfices, en particulier les grandes sociétés; et en cadeaux faits aux ménages les plus riches (la classe capitaliste) qui paient moins d’impôts, que ce soit sur leur patrimoine ou sur leurs revenus. Et comme cette partie-là de la société a moins contribué à l’impôt, on a bien sûr augmenté les impôts sur les autres couches de la société (les travailleurs) et on a augmenté les taxes comme la TVA. Mais il a fallu aussi pendant ces vingt années-là, puisqu’on réduisait la charge fiscale sur les riches, combler le trou par un recours à l’emprunt. Donc la dette publique a aussi augmenté ces vingt dernières années à la suite des réformes fiscales néolibérales.


On arrive donc à un moment où les Etats ne vont plus pouvoir se maintenir artificiellement, et cela aura des conséquences sociales...

Oui, les gouvernants sont face à l’alternative suivante: soit ils prennent un virage de rupture avec le néolibéralisme et ils adoptent des mesures pour faire contribuer la classe capitaliste, les entreprises; ils imposent une nouvelle discipline aux marchés financiers et ils prennent des mesures pour créer des emplois. Visiblement, les gouvernements actuels ne vont pas vers cette option. Soit ils profitent de la crise pour appliquer, comme dirait Naomi Klein, la "stratégie du choc" et pour approfondir encore plus les politiques néolibérales.

Les Etats-Unis vont relever le plafond de leur dette, qui atteint déjà 100% du PIB. Au-delà du bras de fer entre républicains et démocrates, que signifie cette augmentation?


Le fond de la crise de la dette aux Etats-Unis, c’est que, pour revenir aux deux options dont je parlais, le gouvernement Obama approfondit l’offensive néolibérale et cela ne permet pas de prendre des mesures pour diminuer la dette publique. Parce qu’il faut évidemment la diminuer. Mais il existe une version en faveur de la population, c’est-à-dire faire payer aux institutions financières et aux ménages très riches qui détiennent une grande partie de la dette publique, le coût d’une réduction de cette dette.

Quelle est votre analyse des derniers plans européens de redressement de la dette, notamment envers la Grèce?


Les derniers plans européens, et notamment le plan à l’égard de la Grèce et dont la philosophie s’étend au Portugal et à l’Ir lande, demandent une précision sur la situation de ces pays. Ils ne peuvent emprunter sur les marchés financiers qu’à court terme. A trois mois ou à six mois. Parce que s’ils voulaient emprunter à cinq ou dix ans – c’est le cas de la Grèce –, ils devraient verser un taux d’intérêt d’environ 17%. Donc la Grèce emprunte à trois mois et à six mois sur les marchés financiers. Alors qui lui prête à plus long terme? C’est la Troïka (FMI, Commission européenne et BCE). Ces trois protagonistes prêtent à plus long terme et profitent de l’état de détresse de ces pays pour leur dire: nous, les bons flics, on ne vous demande pas du 17% ou du 14%, on vous demande (et ce sont les dernières mesures décidées il y a dix jours) du 3,5% ou 4,5%. Mais vous êtes obligés d’appliquer des plans d’austérité drastiques. Lesquels sont des plans constitués de mesures néolibérales extrêmement dures.

La conséquence, c’est que ces mesures qui diminuent l’activité économique – parce qu’elles diminuent la demande globale puisqu’elles affectent le revenu des ménages modestes – ne vont pas permettre une relance économique. La dette publique va continuer son ascension, ces pays vont devoir continuer à emprunter pour pouvoir rembourser. Ils sont donc partis pour une période de dix, quinze ou vingt ans d’austérité et d’augmentation de la dette. Ce qui peut produire, dans les années qui viennent, des situations de suspension de paiement parce qu’ils arriveront à une situation intenable.


Dans le cas de la Grèce, où la classe dirigeante a fait preuve d’un haut niveau de corruption, comment imposer une meilleure gestion de l’argent public?


Que faire face à la corruption des capitalistes locaux et de la classe politique locale? La réponse est un audit de la dette, qui commence par un audit citoyen permettant de montrer à la population que la dette n’est pas une sorte de mal incompréhensible qui s’abat sur le pays mais le résultat de politiques délibérées et parfaitement injustes. Les dettes contractées dans le cadre d’actes de corruption sont frappées d'illégitimité, voire d’illégalité. Elles doivent être annulées.



"Rien n’oblige à appliquer l’austérité"


Si un Etat voulait ne pas faire payer la dette à ses citoyens, en aurait-il les moyens?


Bien sûr, c’est tout à fait possible. A cause de la crise bancaire, les banques privées ont déjà dû rayer plus de 1200 milliards de dollars d’actifs toxiques dans leurs bilans, c’est-à-dire de créances douteuses, des dettes que d’autres leur devaient et qui ont été effacées. Il est parfaitement possible de continuer l’assainissement en annulant d’autres créances douteuses. Et les créances douteuses, ce sont celles que les Etats considéreraient comme des dettes illégitimes, en disant «on n’est plus d’accord de continuer à payer». L’argument est que si on regarde ce qui s’est passé dans les trente dernières années en Europe, l’augmentation de la dette publique est due à une politique délibérée, injuste socialement, injuste fiscalement. Cette politique a consisté à privilégier fiscalement ceux qui sont déjà privilégiés en termes de revenus et d’aisance.

Mais cela implique évidemment d’avoir des gouvernements de gauche qui arrivent au pouvoir avec la volonté de changer radicalement le cours des choses. Cela pose la question de la mobilisation populaire, qui est la clé de la solution. Mais sur le plan technique c’est parfaitement possible. Il faut simplement obliger le secteur bancaire à prendre en compte des pertes, à passer par pertes et profits une série d’éléments de leurs bilans qui sont autant de créances douteuses ou de créances illégitimes.


Quel serait le pas suivant? Une sorte de plan Marshall pour relancer l’emploi?

Plutôt qu’un plan Marshall, le pas suivant serait soit un New Deal du type de celui des années 1930 à la Franklin Roosevelt, soit un programme plus radical. Mais Roosevelt, dans les mesures prises au cours des premiers mois de son mandat, avait notamment augmenté radicalement le pourcentage d’imposition sur les tranches de revenus les plus élevées, qu’il avait porté à 90%. Un New Deal imposerait aussi une nouvelle discipline financière, comme interdire aux banques d’affaires de se fondre avec des banques de dépôts, où les épargnants déposent leurs épargnes. Roosevelt avait fait adopter le Glastigal Act, qui forçait les banques à se séparer entre banques d’affaires et d’investissements d’une part, et banques de dépôts d’autre part. Ce serait une version capitaliste keynésienne de sortie de la crise.

Mais on pourrait avoir une autre version, une sortie plus radicale, une sortie anticapitaliste avec des mesures, par exemple, de nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire et d’autres secteurs clés de l’économie. Cela impliquerait de ne pas avoir simplement un gouvernement de type Roosevelt mais un véritable gouvernement de gauche, un gouvernement des travailleurs. Cette option-là est aussi imaginable dans les cinq ans ou les dix ans qui viennent. On est pour le moment à un virage de l’histoire et les mois et les années à venir nous diront si des rébellions comme celles des indignés en Espagne ou en Grèce accumuleront des forces et déboucheront sur des changements qui dépasseront simplement les urnes. Je n’affirme pas que cela va avoir lieu, je dis que c’est une possibilité qui est ouverte, qu’il ne faut pas écarter. Les mouvements sociaux et les personnes qui veulent un changement réel fortement doivent soutenir ces mobilisations.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 03 août 2011.

mercredi 27 avril 2011

Sabino et la lutte pour la répartition des terres

Le cacique yukpa Sabino Romero lors d'un débat
à l'Université centrale du Venezuela. (Ph: Seb)


Arrêté en 2009 après des affrontements ayant coûté la vie à deux personnes, le cacique indigène vénézuélien Sabino Romero dénonce un procès tronqué avec, en trame de fond, la démarcation des terres ancestrales riches en ressources naturelles.


La lutte pour la terre dans les montagnes de Perijá remonte aux années 1930, lorsque les éleveurs de bétail (ganaderos) commencèrent à s'approprier les territoires historiquement occupés par les peuples indigènes de la zone, parmi lesquels les Yukpas. Par la suite, l'exploitation des mines de charbon par les multinationales fut également un facteur de déplacement de ces populations.

Sabino Romero, cacique d'une des communautés yukpas de la Sierra de Perijá (dans l'Etat de Zulia, à l'ouest du Venezuela), bataille depuis près de 30 ans pour la récupération de ces territoires ancestraux. En 2007, son père était assassiné par des sicarios (tueurs à gage).


Un décret présidentiel qui limite la participation des peuples

Lors des affrontements d'octobre 2009, Sabino lui-même figurait parmi les blessés. Il fut ensuite arrêté et accusé d'homicide. Le second cacique, Alexander Fernández, y perdit sa femme enceinte. Il fut lui aussi arrêté. Il dénonce aujourd'hui les mauvais traitements endurés: coups et sac sur la tête pour l'obliger à témoigner contre Sabino en échange de sa liberté. Mais Alexander n'a jamais plié. Depuis le 15 mars, tous deux jouissent de liberté conditionnelle mais le procès se poursuit. "Lors des audiences nous avons systématiquement dénoncé l'absence d'un procès équitable. Les 97 “preuves” présentent toutes des vices de procédure", explique Leonel Galindo, avocat volontaire qui défend la cause des Yukpas.

Les médias locaux ont tenté de présenter l'affaire comme une simple querelle entre familles indigènes. Mais les enjeux sont tout autres: il s'agit de la continuité du processus de démarcation des terres (et des intérêts financiers en jeu pour les ganaderos). Sabino en est l'un des plus fervents défenseurs, ayant rejeté tout "arrangement" favorable à ces derniers et refusant également de se plier aux discours et recommandations officielles. Car, si les populations indigènes ont vu leurs droits, langues et cultures officiellement reconnus par la Constitution de 1999, ainsi que par la Loi des Peuples et Communautés indigènes de 2005, leurs dispositions restent encore trop souvent lettres mortes. Aujourd'hui, Sabino profite de sa liberté pour dénoncer le lourd silence qu'ont par exemple maintenu les médias officiels envers la cause des Yukpas. Il dénonce également les prises de position de la ministre des Peuples indigènes, Nicia Maldonado.


Le jour même de sa libération, les organisations indigènes de l'Amazonie vénézuélienne (à l'autre extrême géographique du pays) se prononçaient elles aussi pour exiger une révision du processus de démarcation, qu'elles estiment confisqué par les autorités. Elles signalent ainsi que le décret présidentiel de novembre 2010, qui modifie les conditions de démarcation, "limite la participation directe des peuples et organisations indigènes". Elles dénoncent aussi la ministre Maldonado qu'elles accusent de "promouvoir la division, l'affrontement et de délégitimer les peuples indigènes et leurs organisations, compliquant de la sorte le processus de démarcation dans différentes régions du pays".



Article publié dans la rubrique "Vu d'Amérique" du bimensuel suisse L’Anticapitaliste n° 44, le 31 mars 2011.

mercredi 23 mars 2011

Le Venezuela suspend son projet de centrale

NUCLÉAIRE - La catastrophe de Fukushima remet en cause le développement nucléaire avec Moscou.

Le président Hugo Chávez a annoncé mardi dernier avoir "donné l'ordre de geler les plans et les études préliminaires" du programme nucléaire pacifique vénézuélien. "Ce qui s'est passé ces dernières heures est quelque chose d'extrêmement dangereux pour le monde entier. Et malgré la grande technologie et les avancées du Japon en la matière, regardez ce qui se passe avec certains réacteurs nucléaires. Et on ne connaît pas encore la portée du problème...", a-t-il déclaré lors d'une rencontre au Palais présidentiel avec des investisseurs chinois.

En octobre 2010, durant une visite à Moscou, Hugo Chávez avait officialisé un accord avec son homologue russe Dimitri Medvedev pour la construction de la première centrale nucléaire au Venezuela. Projet qui avait alors "inquiété" Washington. Mais la crise japonaise semble avoir refroidi les ambitions vénézuéliennes, présentées à l'époque comme une avancée vers l'indépendance technologique et énergétique. "Je n'ai pas le moindre doute que cela va modifier très fortement les projets de développement de l'énergie nucléaire dans le monde", a estimé le président vénézuélien.

Paolo Traversa, chef du programme "P Gamma" de l'Institut vénézuélien de recherches scientifiques (IVIC), estime que c'est une bonne décision: "La situation dramatique du Japon doit être prise en compte. Si on veut continuer à utiliser l'énergie nucléaire dans le monde, il va falloir revoir les plans des futures installations. En ce qui concerne le Venezuela, nous n'avons pas de centrale nucléaire. Ce que nous devons faire maintenant c'est développer et diversifier nos sources d'énergie. Nous avons de grandes réserves de gaz et des zones ou il y a du vent en permanence, nous pourrions y développer des parcs éoliens".

Selon les déclarations du ministre de l'Energie, Alí Rodríguez Araque, lors d'une comparution devant le Parlement le 17 février, la région de la Guajira vénézuélienne disposerait d'une capacité de génération d'énergie éolienne équivalente à 10 000 mégawatts, alors que le projet nucléaire avec Moscou aurait quant à lui dû atteindre les 4000 MW au cours des dix prochaines années. Cependant, le seul projet éolien actuellement en construction, dans la péninsule de Paraguaná (qui devrait apporter 100 MW), n'est toujours pas entré en fonctionnement. La première pierre du chantier a été posée en novembre 2006 par le président Chávez et l'inauguration était alors prévue pour l'année suivante.

Enfin, le président colombien Juan Manuel Santos a lui aussi salué "le geste d'opportune précaution" de son voisin vénézuélien. "Nous ne devons pas seulement nous préparer à affronter le changement climatique, nous devons aussi nous concentrer sur la prévention d'autres catastrophes que l'action de l'homme, de par sa course à la technologie, peut occasionner", a-t-il déclaré.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 22 mars 2011.

lundi 14 mars 2011

Réveil vénézuélien

Tournage au Venezuela du film "El chico que miente" de Marité Ugás.
(Ph: SUDACA FILMS)

CINÉMA - Au Venezuela, la production nationale commence à gagner sa place auprès du public avec, en coulisses, une politique de soutien aux talents locaux. La sélection du film "El chico que miente" dans la compétition du dernier Festival de Berlin témoigne de cette renaissance.

Le film El chico que miente (Le garçon qui ment) raconte l'histoire d'un adolescent de 13 ans qui a perdu sa mère lors des tragiques inondations dans l'Etat de Vargas, en 1999. Dix ans plus tard, persuadé qu'elle est toujours en vie, il décide de partir à sa recherche le long des côtes du Venezuela. Réalisé par la Péruvienne Marité Ugás, mais écrit et produit par la Vénézuélienne Mariana Rondón, ce road movie sélectionné en compétition au dernier Festival de Berlin participe de ce qu'on pourrait appeler la renaissance du cinéma vénézuélien.

"Après avoir été un genre en soi, notre cinéma commence à se diversifier. On produit maintenant des films historiques, des comédies romantiques, etc. Ce qui ouvre un grand nombre de possibilités", explique Mariana Rondón. Scénariste et productrice d'El chico que miente, elle a par ailleurs réalisé Cartes postales de Leningrad, primé au festival Biarritz Amérique latine en 2007.

Lors du tournage de ce film, en 2003, les structures publiques d'aide à la production n'existaient pas encore. "A l'époque, il n'y avait pas d'argent. Je dirais qu'il a fallu attendre 2007 pour voir arriver des subventions au cinéma".

C'est effectivement en 2006 qu'a été créée la Villa del Cine, une maison de production 100 % publique. La même année naissait aussi Amazonia Films, fondation de l'Etat destinée à la diffusion des oeuvres cinématographiques. C'est encore en 2006 qu'a vu le jour le Fonds de promotion et de financement du cinéma (Fonprocine), administré par le Centre national autonome de cinématographie (CNAC), institution qui existe, elle, depuis 1994.

Investissements publics

L'effort commence à porter ses fruits et les chiffres en témoignent: 50 longs métrages ont été produits au Venezuela entre 1993 et 2005, puis 75 au cours des cinq années suivantes. Et d'après Mariana Rondón, la tendance devrait se confirmer en profitant d'un phénomène intéressant: "Beaucoup de cinéastes qui ont étudié ou qui vivaient à l'étranger reviennent maintenant au Venezuela. Le CNAC vient d'ouvrir les candidatures pour l'année en cours et ils sont tous ici en train de déposer leurs projets".

La réforme de la Loi sur le cinéma en 2005 constitue un autre instrument décisif de cette renaissance. Elle a permis entre autres la création du Fonprocine et oblige les salles à distribuer les films nationaux durant deux semaines au moins. "Les résultats sont fantastiques. Pour vous donner un exemple, à la sortie de mon premier long métrage, le distributeur a annulé la projection la veille de l'avant-première, sous prétexte qu'il avait un 'meilleur film' à passer. Et je me suis retrouvée avec mon film sur les bras sans savoir quoi faire! Aujourd'hui, avec la loi et ces instruments pour nous défendre, les avancées sont immenses".

Former les spectateurs

Au-delà des progrès dans la production de longs métrages, l'un des défis majeurs reste de capter un public habitué presque exclusivement et depuis des décennies au cinéma commercial nord-américain. Dans cette optique, Amazonia Films distribue les oeuvres nationales en DVD à des prix accessibles, mais aussi des films étrangers. La Cinémathèque a par ailleurs inauguré un ample réseau de salles communautaires dans les différentes régions du pays. Et la chaîne publique TVes diffuse chaque semaine des films vénézuéliens et latino-américains pour le grand public.

Fondée en mai 2007 pour remplacer la chaîne commerciale RCTV arrivée à la fin de sa concession, TVes entend concilier culture et divertissement. "L'une de nos lignes de travail est la promotion de la production audiovisuelle nationale –ce mandat est même inscrit dans nos statuts. Nous devons créer un modèle de télévision qui permette de montrer nos créations et celles de nos voisins latino-américains, c'est notre objectif fondamental", explique William Castillo, président de la chaîne. "Nous savons que la télévision sert surtout à divertir et nous l'acceptons, mais sans souscrire au modèle commercial. Le but n'est pas d'abrutir les gens avec de la télé-poubelle, ni de les inciter à consommer. Nous pensons qu'on peut se divertir avec la culture, avec une réflexion sur notre propre réalité", précise-t-il.

Pour Manuela Blanco, anthropologue et réalisatrice de documentaires, le cinéma vénézuélien a pris de l'importance en devenant le réceptacle de certaines valeurs et en favorisant l'éveil d'une population plus conscientisée. "Il y a une vraie politique impulsée par l'Etat dans ce sens, même si tout ne fonctionne pas à merveille et qu'il manque parfois des mesures d'accompagnement. Mais on y arrive... L'année dernière a été particulièrement positive avec environ onze avant-premières de films nationaux. On peut dire que les gens ont recommencé à aller voir les films vénézuéliens".



Le cinéma, "miroir de l'âme des peuples"

Réalisatrice de documentaires et activiste à la longue trajectoire, Liliane Blaser évoque l'évolution du cinéma au Venezuela. Née d'un père suisse originaire du canton de Berne, elle dirige depuis 1986 une école de cinéma à Caracas.

Tournage du film "El chico que miente" de Marité Ugás.
(Ph: SUDACA FILMS)

Comment êtes-vous arrivée au documentaire?

Liliane Blaser: Ma mère avait une caméra 16 mm et filmait énormément. Elle était très pédagogue et, pour mes 16 ans, elle m'a acheté ma première caméra, une Super 8. J'ai commencé à filmer et j'ai réalisé un premier court métrage expérimental où je racontais toute l'histoire du monde en 3 minutes!

Ensuite, au début des années 1970, avec un groupe de quatre ou cinq fous, nous avons créé la Communauté de travail et d'investigation (Cotrain). Au départ, nous faisions du travail social dans les quartiers défavorisés de Caracas. Je me suis rendue compte que, pour changer les choses, notre action était importante mais pas suffisante. Nous avons alors fait du théâtre, du cinéma et des revues, en cherchant un peu quel serait notre média. L'art est pour moi une très belle fin en soi, mais c'est aussi un moyen pour transformer la réalité: ce n'est pas juste de "l'art pour l'art".

Quelles sont les étapes qui ont marqué l'évolution du cinéma vénézuélien?

– Dans les années 1960, il y avait un cinéma très militant, "imparfait" dans le sens où il était réalisé avec des bouts de ficelle. Ces films ont eu une grande influence idéologique, même s'ils n'ont pas pour autant provoqué de révolution. Durant la décennie suivante, avec la hausse du prix du pétrole (et l'importante entrée d'argent dans le pays qui en découle, ndlr), on a vu apparaître beaucoup de fictions et de long métrages. Les moyens nécessaires à leur production étaient là. Ces films qui étaient encore attachés à nos racines sociales s'en sont peu à peu détachés pour s'orienter vers des formes plus commerciales, tout en restant quand même du cinéma d'auteur.

A la Communauté de travail et d'investigation, nous avions à l'époque une vision différente de ce qu'était le septième art: nous étions un peu comme une île qui résistait face aux attaques du néolibéralisme. Aujourd'hui, avec la Villa del Cine et toutes ces facilités, le cinéma d'auteur a plus de possibilités. Celui qui a un bon scénario et un peu d'expérience parvient facilement à trouver un financement. En ce qui concerne le profil idéologique des oeuvres, on se rend compte que les institutions soutiennent des productions de natures très différentes, qu'on peut tourner toutes sortes de films au Venezuela.

Comment voyez-vous le futur du secteur?

– Je pense qu'il y aura de plus en plus de personnes formées et d'opportunités. On peut observer une volonté, tant individuelle qu'institutionnelle, de démocratiser le cinéma dans le pays. Cela dit, il faut encore que les gens –le gouvernement comme l'homme de la rue– comprennent que le cinéma est le miroir de l'âme des peuples. Qu'il s'agit là de quelque chose d'important, car c'est le reflet des processus vécus par ces populations.



Articles publiés dans le quotidien suisse Le Courrier le 12 mars 2011.

lundi 7 mars 2011

Le fiasco libyen de TeleSUR

(Photo: Seb)

Après les déclarations plus que douteuses des gouvernements dits "progressistes" d’Amérique latine, c’est la chaîne multiétatique TeleSUR qui a surpris en serrant les rangs derrière le régime libyen.


"L’ennemi de mon ennemi est mon ami", c’est probablement la formule qui résume la position adoptée ces derniers jours par certains gouvernements réputés progressistes d’Amérique latine face aux soulèvements populaires que vit la Libye. Mais la prise de position la plus inattendue fut sans doute celle de la chaîne publique latino-américaine basée à Caracas. Développant depuis quelques mois déjà sa couverture de l’actualité au Moyen-Orient, TeleSUR a disposé d’un correspondant à Tripoli à partir du 23 février. L’envoyé spécial de la chaîne (Jordan Rodríguez) a reconnu, lors de son premier contact téléphonique, avoir été détenu durant près de cinq heures par les forces de sécurité à son arrivée à l’aéroport. Cependant, vu les bonnes relations que le gouvernement vénézuélien (principal actionnaire de TeleSUR) entretient avec la Libye, quelques coups de fil haut placés ont probablement permis de débloquer la situation et rendu possible l’entrée du jeune journaliste en territoire proscrit à la plupart des médias.


Les premiers commentaires sur place de l’envoyé spécial ont fait preuve d’un manque total d’honnêteté intellectuelle, se limitant à assurer que tout était "normal" à Tripoli et que les manifestations étaient "de soutien à Kadhafi". Par la suite, le site web de la chaîne publiera un article titré : "Tripoli se manifeste en faveur de Kadhafi et les opposants disent contrôler l’est de la Libye" (1). Alors que le journal Le Monde disposait d’une envoyée spéciale dans l’est du pays en plein soulèvement, la chaîne qui se prétend le porte-voix des opprimés du Sud se contentait de reportages sur la place Verte de Tripoli, au milieu de quelques manifestants pro-Kadhafi.


L’anti-impérialisme à quel prix ?


Ce n’est qu’à partir du 25 février que le site www.telesurtv.net reflètera les commentaires d’un autre correspondant depuis Benghazi, en donnant cette fois la parole aux opposants. Ce second envoyé spécial, Reed Lindsay, informera enfin clairement des crimes commis par le régime et commentera même depuis son compte Twitter (@reedtelesur) le 28 février : "Les habitants de Benghazi demandent que les gouvernements de l’ALBA abandonnent Kadhafi et appuient la lutte révolutionnaire du peuple libyen".


Ce parti pris de la chaîne (et des gouvernements de l’Alternative bolivarienne des Amériques -ALBA- en général) prétend défendre un soi-disant anti-impérialisme de la Libye de Kadhafi face aux Etats-Unis et à l’Europe. Il montre cependant toutes les limites d’une telle appréciation politique qui mène ses partisans, consciemment ou non, à se positionner contre les peuples au nom de l’anti-impérialisme.



Note:


(1) Trípoli se manifiesta a favor de Gaddafi y opositores dicen controlar el este de Libia, le 23 février 2011.




Article publié dans la rubrique "Vu d'Amérique" du bimensuel suisse L’Anticapitaliste n° 42, le 3 mars 2011.

mercredi 9 février 2011

Venezuela : le défi du logement pour tous

Le gouvernement de Hugo Chávez a accumulé un déficit sans précédant dans la construction de logements. Les inondations de fin 2010 n'ont fait qu'aggraver la situation.






(Photo: Seb)


Caracas, ville encombrée où seuls les moto-taxis échappent aux embouteillages. Ville des inégalités aussi, entre les quartiers populaires situés à flancs de collines et les zones huppées où le loyer d'un petit appartement peut valoir plus de six fois le salaire minimum. Les pluies intenses qui ont touché tout le pays à la fin 2010 ont mis à nu l'une des contradictions du gouvernement bolivarien. Alors que celui-ci revendique sans cesse son soutien aux plus démunis, il a été le moins productif de ces 40 dernières années en matière de logement. En effet, les administrations antérieures avaient maintenu une moyenne de 67 000 logements par an. Depuis 1999 l'exécutif de Hugo Chávez n'a jamais dépassé les 30 000 annuels.


Beaucoup de lois, peu de constructions


A la mi-décembre, l'Assemblée nationale a accordé à Hugo Chávez une nouvelle loi habilitante lui permettant de légiférer par décret pendant 18 mois. Officiellement, le gouvernement espère ainsi résoudre le problème des 130 000 personnes sinistrées par les pluies et aujourd'hui réfugiées dans des campements improvisés (écoles, bâtiments publics et même certains hôtels réquisitionnés). A titre d'exemple, le Comandante a approuvé en janvier, par le biais de l'habilitante, une Loi des refuges dignes, visant à assurer des conditions de vies acceptables pour les familles sinistrées. On peut cependant s'interroger sur l'utilité d'approuver une loi pour garantir ce genre de mesures.

Par ailleurs, l'habilitante permet également d'adapter rapidement la législation afin de récupérer de nombreux terrains sous-utilisés, surtout en milieu urbain. Cependant, si cette mesure pourrait s'avérer judicieuse dans le cadre d'une politique de logement planifiée sur le long terme, elle apparaît ici comme une nouvelle décision prise dans l'urgence et visant à rattraper un déficit produit de plusieurs années.

Dans le cas de la capitale, les autorités de la mairie du grand Caracas (aux mains de l'opposition) dénoncent que, depuis 2007, l'Exécutif a promis la construction de 55 000 logements et n'en a terminé concrètement qu'à peine 1000. De son côté, l'ONG de défense des droits de l'homme Provea dénonce dans son rapport annuel (2009-2010) le peu de transparence dans les chiffres relatifs au logement présentés par le gouvernement. L'organisation assure que "pour la troisième année consécutive, le rapport de l'organisme chargé de coordonner la politique de logement ne présente pas de données actualisées du déficit d'habitations dans le pays. Les derniers chiffres officiels connus datent de 2007, et estimaient le manque de logements à 2 800 000".



Article publié dans la rubrique "Vu d'Amérique" du bimensuel suisse L'Anticapitaliste, le 3 février 2011

jeudi 3 février 2011

Le Venezuela connectera Cuba au réseau mondial internet

Deux jeunes écolières s'initient à l'informatique dans un collège de La Havane, en 2006.
(Photo: Seb)

Caracas, Kingston et Alcatel-Lucent permettent à La Havane de contourner l'embargo grâce à un câble sous-marin.

Un câble de fibre optique long de 1600 km est actuellement déployé depuis les côtes vénézuéliennes vers la région orientale de Cuba. Il permettra à l'île de multiplier par 3000 sa capacité de connexion. L'arrivée du navire français Ile de Batz au port de Siboney, dans la province de Santiago de Cuba, est prévue pour le 8 février. De là, l'extension du câble sous-marin de fibre optique se prolongera encore de 230 km pour atteindre la Jamaïque, dans ce qui est considéré par les autorités concernées comme un "projet d'intégration régionale".


Effet de l'Alba


Les travaux d'installation sont assurés par une filiale de la compagnie française Alcatel-Lucent, la chinoise Shanghai Bell, et représentent un investissement d'environ 70 millions de dollars. Mais l'administration du projet sera à charge d'une entreprise cubano-vénézuélienne 100% publique, Telecomunicaciones Gran Caribe, créée dans le cadre de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba).

Le câble, qui devrait être opérationnel à partir du mois de juillet, a une durée de vie estimée de vingt-cinq ans et fournira à Cuba une capacité de connexion de 640 gigabits. Actuellement, l'île ne dispose que de 209 mégabits par seconde de sortie et de 379 mégabits d'entrée, d'après les informations publiées sur le site de Radio Habana Cuba (RHC).

Cuba était jusqu'ici le seul pays du continent américain à ne pas être connecté au reste du monde par le réseau sous-marin de fibre optique. L'embargo américain imposait encore jusqu'il y a peu des surcoûts prohibitifs à La Havane pour se connecter au câble qui relie Cancun à Miami, et qui passe pourtant à 32 kilomètres au large de la capitale cubaine.

D'après les déclarations de son gérant local, José Ignacio Quintero, Alcatel-Lucent a d'ailleurs dû prendre des précautions par rapport au blocus. Le représentant de la firme a assuré à la presse vénézuélienne qu'aucune entité ni aucun citoyen étasunien ne participait au projet, "afin de ne s'exposer à aucun type de sanction".

Internet pour tous?

Cette exclusion du réseau mondial obligeait jusqu'ici Cuba à se connecter à internet via satellite, un substitut lent et coûteux. Mais l'installation du nouveau câble n'impliquera pas forcément une massification immédiate de l'accès à la toile. Officiellement, des "carences technologiques et financières" empêcheront encore de généraliser la connectivité. Selon Ramon Linares, vice-ministre cubain de l'Informatique et des télécommunications, "la priorité consiste à poursuivre la création de centres collectifs d'accès à internet et à renforcer les connexions dans les centres de recherche scientifique, les centres d'enseignement et de santé du pays".

La basse densité téléphonique de l'île représente une des limitations d'ordre technique pour le déploiement massif d'internet, mais il devrait cependant y avoir des avancées à moyen terme. D'après les déclarations du haut fonctionnaire à RHC, "tous les Cubains ayant le téléphone devraient, en principe, avoir droit à une connexion internet". Reste à savoir si la volonté politique suivra.

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Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 02 février 2011

mercredi 5 janvier 2011

Hugo Chávez s'affranchit du parlement pour accélérer sa révolution

Hugo Chávez au palais de Miraflores. (Photo : Seb)

A la veille de l'entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale, les députés sortants ont mis les bouchées doubles et autorisé le président à légiférer par décret durant dix-huit mois.


Pour la troisième fois en onze ans, le parlement accorde le droit à Hugo Chávez de légiférer par décret. A chaque fois, les partis d'opposition et les médias ont dénoncé ces lois dites "habilitantes" comme la preuve de l'autoritarisme du gouvernement. Les décrets promulgués lors de la première habilitante avaient provoqué une réaction radicale de l'opposition et mené au coup d'Etat du 11 avril 2002. Cette fois-ci, la mesure intervient à la veille de l'entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale (ce mercredi 5 janvier), issue des élections du 26 septembre, dans laquelle l'opposition, réunie en Mesa de la Unidad Democrática (Table de l'unité démocratique), fait son retour (minoritaire) au parlement.

Officiellement, la loi habilitante accordée au président vénézuélien le 17 décembre vise à "faire face à l'urgence et à la crise" provoquées par les fortes pluies et inondations qui ont affecté le pays ces dernières semaines, provocant la mort de trente-huit personnes et en forçant 130 000 autres à abandonner leurs logements dans tout le pays. Le premier décret adopté il y a une semaine par Hugo Chávez est en effet la création d'un fond de 10 milliards de bolivars (2,3 milliards de dollars) pour la reconstruction de zones touchées.


Cependant, les pouvoirs attribués au président s'étendent à d'autres domaines tel que la sécurité et la défense, la fiscalité, l'aménagement du territoire, l'utilisation des terres rurales et urbaines, le logement, les infrastructures, transports, les services publics et les accords internationaux (entre autres).

L'écueil des deux tiers

Pour les opposants, cela ne fait aucun doute: "Chávez annule l'Assemblée et légiférera sans contrôle", comme le titrait récemment le journal d'opposition El Nacional. S'il n'est en aucun cas question de dissoudre le parlement (qui continuera à légiférer normalement), il est cependant clair que cette habilitante permettra à l'Exécutif de faire passer certaines lois cadres pour lesquelles il aurait normalement eu besoin du soutien de deux tiers des députés, majorité dont il ne disposera plus après le 5 janvier.


Yul Jabour, membre du bureau politique du Parti communiste du Venezuela (PCV) et député au parlement andin, confirme cette impression. "S'il s'agissait uniquement de résoudre le problème des inondations, la loi habilitante n'aurait pas été nécessaire. Elle est nécessaire pour créer des instruments (légaux, ndlr) qui permettent de faire avancer la participations des travailleurs, des paysans; d'attaquer les mafias de la construction qui se sont enrichies par la spéculation, etc. Le PCV soutient la loi habilitante car nous comprenons la situation politique actuelle et le besoin qu'ont les forces révolutionnaires d'avancer; sous réserve, bien entendu, de nous prononcer lors de chaque décret qui en découlera".

Marathon législatif

Par ailleurs, les députés de la majorité sortante, dominée amplement par le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), se sont livrés ces dernières semaines à une véritable course contre la montre (avec une série de sessions extraordinaires au parlement), afin de voter plusieurs lois et réformes qui ont déclenché les foudres de l'opposition et parfois même un certain scepticisme au sein du chavisme.


L'une d'entre elles est la réforme partielle de la loi sur les partis politiques, qui punit dorénavant les parlementaires qui décideraient de changer de camp durant la législature. Les "coupables" pourraient ainsi se voir destitués pour "fraude aux électeurs", définie comme "toute conduite réitérée qui s'éloigne des orientations et positions politiques présentées dans le programme électoral" de chaque groupe parlementaire. Yul Jabour explique que le PCV a refusé de soutenir le PSUV lors de l'approbation de cette réforme car il estime que "la discipline de parti est une question de conscience, ce n'est pas par des décisions bureaucratiques ou administratives qu'on peut garantir une position politique".

Universités anticapitalistes

Parmi les autres lois approuvées fin décembre figure notamment un paquet législatif concernant le pouvoir populaire, instance favorisant la participation des communautés dans la gestion publique. Plus polémique, une loi dite de "défense de la souveraineté politique" interdit le financement d'ONG ou de partis politiques par des organisations étrangères.

Mais c'est probablement la réforme de la législation sur les universités
(1) qui fera le plus de bruit dans les prochains jours, avec une mobilisation attendue à la rentrée du mouvement étudiant d'opposition. La nouvelle loi met sur pied d'égalité professeurs, étudiants et travailleurs, et déclare avoir pour but de "consolider le lien entre l'éducation émancipatrice et le travail créateur et libérateur, comme fondement des programmes de formation qui contribuent au dépassement du modèle capitaliste aliénant, de ses modes de direction autoritaire, des relations sociales d'exploitation, de la division sociale du travail et de la distribution inégale de la richesse". Inacceptable pour une élite académique, jusqu'à présent retranchée dans ses fiefs sous couvert d'autonomie universitaire.

Note:

(1) A l'heure de publier cet billet sur ce blog, le président Hugo Chávez annonçait son veto à la loi sur les universités et appelait à la création d'une commission nationale afin de la soumettre à une ample consultation populaire.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 04 janvier 2011


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