mercredi 5 mars 2008

Tensions régionales en Amérique Latine

La Guardia Territorial Campesina est un mouvement de base qui
organise les paysans qui occupent des terres dans différentes zones
du Venezuela, dont la frontière où ils sont parfois victimes
de groupes paramilitaires. Ici en 2007 dans l’état d’Apure. (Photo: Seb)

Depuis le dimanche 2 mars, le continent latino-américain est sous tensions. La veille, la Colombie avait bombardé un campement des FARC en territoire équatorien. En réponse Quito a rompu les relations diplomatiques avec Bogotá et renforcé sa présence militaire à la frontière. En solidarité avec l’Equateur et comme avertissement à la Colombie, le Venezuela a fermé son ambassade à Bogotá et expulsé la représentation diplomatique colombienne en poste à Caracas. Hugo Chávez a également ordonné à son ministre de la Défense de déplacer 10 bataillons pour renforcer la zone frontalière entre les deux pays. Le mardi 4 mars, le Conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (OEA) a tenu une réunion extraordinaire durant laquelle la majorité des 34 pays membres ont condamné l’agression colombienne. En quelques jours, on est passé de l’euphorie d’une nouvelle libération de quatre otages par les FARC à une situation régionale tendue au maximum. Que s’est-il passé ?

Récapitulons : le mercredi 27 février, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) libèrent 4 otages détenus depuis plus de six ans dans la jungle. Ils les remettent expressément au président vénézuélien Hugo Chávez et à la sénatrice colombienne d’opposition Piedad Córdoba. Ce geste unilatéral, tout comme la libération en janvier dernier de Clara Rojas et Consuelo González, les FARC le qualifient de "remerciement" à la gestion de paix effectuée par Chávez et Córdoba.

Tous deux avaient entamé leurs rôles de négociateurs avec l’accord du président colombien, Álvaro Uribe. En novembre dernier, celui-ci met fin à la médiation en invoquant d’obscures raisons d’ "ingérence" de Chávez dans les affaires internes de son pays.

Deux gestes unilatéraux donc de la part des FARC (le gouvernement colombien n’a rien cédé en échange de la libération de ces six otages au total), en guise de "remerciement" de bons services prêtés par Chávez et Córdoba, qui avaient réussit à avancer sur le chemin d’un possible échange humanitaire (voir encadré ci-dessous) entre la guérilla et le gouvernement colombien, et qui avaient reçu personnellement un représentant des FARC à Caracas.

"Merci": dites-le avec des bombes

La réponse du gouvernement colombien à la récente libération de quatre nouveaux otages par la guérilla a été le bombardement, le samedi premier mars, d’un campement des FARC en territoire équatorien. Bilan de l’opération : 20 guérilleros abattus dont le numéro deux du Secrétariat (instance dirigeante) du groupe insurgé, Raul Reyes, ainsi que trois guérrilleras blessées dont une de nationalité mexicaine.

L’aviation colombienne a pénétré en Equateur, bombardé le campement et débarqué des troupes héliportées pour "finir le travail" et récupérer le corps de Reyes, ainsi que de Julián Conrado, un autre haut gradé des FARC abattu durant l’opération.

Par cette action, Álvaro Uribe jette à la poubelle le peu d’espoir qui pouvait encore subsister pour arriver à une libération des autres otages. Car, bien que les FARC aient annoncé le jour même de l’opération qu’il ne fallait pas baisser les bras pour arriver à un échange humanitaire, Raúl Reyes était quand même considéré comme leur représentant à l’étranger et le négociateur de l’organisation politique armée.

Le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner a de fait déploré sa mort en signalant sur France Inter que "évidemment, ce n'est pas une bonne nouvelle que le numéro deux, Raul Reyes, l'homme avec qui nous parlions, l'homme avec qui nous avions des contacts, ait été tué".
Un communiqué plus récent des FARC, daté du 2 mars, signale d’ailleurs que les circonstances de la mort de Reyes "compromettent gravement l’échange humanitaire et annulent la possibilité d’une sortie politique du conflit".

Mais au delà de du coup porté aux FARC et à l’échange humanitaire, la Colombie s’en prend directement à l’Equateur en accusant le gouvernement du président Rafael Correa de sympathie et de collaboration avec les FARC.

Quelques heures après l’Equateur, c’est le gouvernement vénézuélien et le président Chávez qui sont également accusés de soutenir politiquement et financièrement les FARC.

Les autorités colombiennes affirment tirer leurs informations d’un ordinateur récupéré sur les lieux et qui appartenait à Raul Reyes (ordinateur de fort bonne qualité puisqu’il à résisté à un bombardement qui a fait 20 victimes dont son propriétaire).

Sortant toujours un nouveau tour de son chapeau, Uribe affirme que cet ordinateur révèle également l’acquisition par les FARC de 50 kg d’uranium. Pouvant de là, dans les prochains jours (pourquoi pas ?) faire le lien avec le Venezuela qui entretient des relations commerciales avec l’Iran. Il faut s’attendre à tout.

Violation constante du territoire équatorien

En réaction, le président Rafael Correa a rompu les relations diplomatiques avec Bogotá et a déployé des troupes le long de la frontière avec la Colombie voisine.

La violation du territoire équatorien par l’armée colombienne n’est pas neuve. Avec l’aide des Etats-Unis par l’intermédiaire du Plan Colombia (1), des avions colombiens survolent fréquemment la zone frontalière.

Parmi leurs activités, ils répandent des pesticides sur les cultures de coca, non seulement en Colombie mais aussi du côté équatorien. Mis à part la coca, les zones touchées par ces fumigations comptent aussi des cultures d’aliments et des villages où les paysans se retrouvent contaminés par ces produits fournis, cela dit en passant, par la multinationale des OGM Monsanto.

Les fumigations sont en suspend depuis janvier dernier, suite à une plainte de Quito qui compte d'ailleurs porter cette affaire devant le Tribunal pénal international de La Haye.

Haut responsable militaire étasunien en voyage à Bogotá

D’après une dépêche de l’agence de presse Efe datée du 3 mars, un haut responsable militaire étasunien s’est rendu à Bogotá deux jours avant le bombardement de samedi dernier.

La visite ne fut mentionnée que discrètement par un site Internet des Forces militaires de Colombie, sur lequel apparaît une photo datée du 28 février.

Le contre-amiral Joseph Nimmich, directeur de la Force d’Intervention conjointe (Joint Interagency Task Force) des Etats-Unis, a été reçu ce jour-là au Commandement général des Forces militaires colombiennes.

D’après la dépêche citée, l’objectif de ce voyage était de "partager une information vitale sur la lutte contre le terrorisme".

On peut s’attendre dans les prochaines heures à de nouvelles "révélations" de la part du gouvernement d’Álvaro Uribe, qui pourraient occasionner de nouvelles réactions.

Note:

(1) Pour l’année 2008, les Etats-Unis ont approuvé un budget de 500 millions de dollars pour financer le Plan Colombia.



Echange humanitaire

L’échange ou accord humanitaire devait consister en la libération d’une quarantaine d’otages des FARC contre la remise en liberté de 500 combattants détenus dans les prisons colombiennes. Parmi les personnes aux mains de la guérilla figurent des députés, ainsi que des soldats et policiers colombiens capturés au combat.

L’ex candidate présidentielle franco-colombienne Ingrid Betancourt fait également partie de ce groupe d’otages, tout comme trois citoyens étasuniens, dont l’avion avait été abattu par la guérilla au-dessus de la jungle et qui prétendent être des "contratistes" d’une firme privée nord-américaine.

Les FARC exigent cependant la démilitarisation de deux départements du sud du pays, Florida et Pradera, pour réaliser l’échange. Ils demandent aussi d’inclure dans les 500 guérilleros à libérer, Simón Trinidad, arrêté à Quito en janvier 2004 au cours d’une opération de la police équatorienne, en lien avec les services de renseignement colombien et américain, ainsi qu’une combattante de la guérilla, alias Sonia. Tous deux ont été extradiés aux Etats-Unis et y sont emprisonnés. Bogotá se nie à accepter ces conditions pour réaliser l’échange.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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