lundi 1 décembre 2008

Elections régionales au Venezuela: la bataille reste à venir

(Photo: Seb)

A une semaine des élections régionales et municipales au Venezuela, le nouveau rapport de forces est déjà clairement dessiné. Le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) a remporté 17 états sur 22 et 80% des municipalités (1). Mais le score de l'opposition, limité dans les chiffres, n'en est pas moins d'une importance stratégique capitale. Et les effets se font déjà sentir sur le terrain.


Lors du scrutin du 23 novembre, la droite a fait main basse sur d'importantes régions du pays: les états de Táchira et Zulia, frontaliers avec la Colombie; l'état industriel de Carabobo; la mairie du grand Caracas et l'état de Miranda qui ceinture la capitale.

Elle a aussi remporté l'état insulaire de Nueva Esparta, dont la principale île est celle de Margarita, zone principalement touristique mais aussi l'une des frontières maritimes du Venezuela. Nueva Esparta et Zulia (2) étaient déjà aux mains de l'opposition, mais la capitale de ce dernier, Maracaibo, a été perdue par le chavisme.

La perte du Táchira amplifie la porosité d'une frontière déjà difficile à contrôler et ouvre la porte à l'entrée massive de paramilitaires colombiens. Cela peut accentuer également la fuite d'aliments à prix régulés vers la Colombie pour y être vendus à des prix plus élevés; comme c'est déjà fréquemment le cas, avec l'objectif politique de provoquer des pénuries d'approvisionnement.

En ce qui concerne le PSUV, il conserve l'état industriel de Bolivar (malgré un candidat à la réélection clairement ancré à la droite du chavisme), ainsi que l'état frontalier d'Apure, entre autres. Il récupère également les états de Sucre, l'état industriel et combatif d'Aragua, ainsi que l'état agricole de Guarico et celui de Yaracuy (3), dont les gouverneurs s'étaient déclarés "dissidents du chavisme" et avaient lancé leurs propres candidatures, certaines appuyées par l'opposition.

Le total des voix recueillies par les candidats ayant quitté le chavisme atteint à peine les 451 131 votes. Alors que le camp bolivarien totalise 5 073 774 voix contre 3 948 912 pour l'opposition (53,45% contre 41,65%). La participation atteint des sommets historiques pour des élections régionales (qui en général mobilisent moins les électeurs) avec un taux de 65%.

En comparaison avec le référendum sur la réforme constitutionnelle de l'année dernière, le chavisme augmente son score de 694 342 voix, alors que l'opposition en perd 555 442. Cependant, bien qu'il augmente ainsi son score de 20% et que l'opposition perd 10% de votes, le camp chaviste n'est pas parvenu a récupérer la totalité des trois millions de voix perdues depuis 2006.

Contradictions mises à nu

Environ 45% de la population vénézuélienne vit désormais dans un état aux mains de l'opposition, ce qui va considérablement augmenter les ressources financières de cette dernière. Dans la pratique, ces résultats ont déjà deux conséquences importantes. Tout d'abord, ils mettent à nu la nature même de l'opposition qui, derrière son discours de tolérance et d'ouverture (rappelez-vous les mains blanches de ses étudiants), n'en reste pas moins ce qu'elle a toujours été: l'expression d'une idéologie réactionnaire ancrée dans la droite dure.

Les exemples n'ont pas manqué cette semaine. A peine entrés en fonctions, certains élus de l'opposition ont déjà pris des mesures administratives contre les différentes missions sociales. En effet, plusieurs missions d'éducation ou de santé installées dans des bâtiments appartenant aux états ou municipalités tombées aux mains de la droite ont reçu l'ordre de quitter les lieux.

Par ailleurs, des militants des partis réactionnaires ont menacé et agressé des médecins cubains ainsi que des étudiants des missions d'éducation dans plusieurs états. Le président Chávez a réagi ce vendredi en déclarant que "le scénario de 2002 est à nouveau activé. Ils veulent une confrontation. Nous ne leur laisserons pas de trêve, nous défendrons la révolution bolivarienne contre ces fascistes!".

Lors du coup d'Etat du 11 avril 2002, le maire du grand Caracas (élu sur les listes chavistes et qui avait ensuite changé de camp) avait utilisé la Police métropolitaine pour réprimer les manifestations populaires qui réclamaient le retour au pouvoir du président Chávez.

Quelques mois avant les élections de dimanche dernier, la prudence a amené le gouvernement à transférer la Police métropolitaine (qui est la police du grand Caracas) sous les ordres du ministère de l'Intérieur, afin d'éviter justement une répétition du scénario d'avril 2002.

Pouvoir populaire?

Mais cette situation de confrontation met aussi à nu les contradictions au sein même du camp révolutionnaire. La défaite à Caracas et dans les autres régions oblige le chavisme à retourner dans la rue, et surtout elle remet sur la table l'éternelle question du pouvoir. Qui le détient, les fonctionnaires ou le peuple?

Fini le socialisme de salons et de conférences. Où en est réellement le pouvoir populaire? Est-il capable d'enrayer la progression de la droite sur le terrain? On a vu, lors du coup d'Etat d'avril 2002, que ce fut la mobilisation des quartiers populaires qui permit de sauver la situation.

Le chavisme est-il prêt à soutenir les actions organisées de la base dans les états perdus? Ou va-t-il tenter de les canaliser en les dirigeants par en haut pour négocier un statu quo avec l'opposition? Ou, pire, va-t-il les laisser s'essouffler comme il l'a fait lors de certaines occupations d'usines et autres initiatives? Difficile à dire, même si le discours officiel parle "d'approfondir la révolution".

En décembre 2007, lors du référendum sur la réforme constitutionnelle, les électeurs avaient adressé un message sans équivoque au gouvernement. En s'abstenant massivement, les secteurs populaires ne s'étaient pas prononcés, comme ont voulu nous le faire croire les médias, "contre le socialisme du XXI ème siècle" mais bien, dans leur grande majorité, contre l'inefficacité et la mauvaise gestion de ceux qui s'en réclament en paroles mais non dans les actes.

On peut aujourd'hui affirmer que le message n'a pas été compris. Un an plus tard, les mesures prises n'ont pas été suffisantes pour renverser la tendance dans les principaux centres urbains (Caracas, Miranda, Maracaibo). L'insécurité, la mauvaise gestion des déchets et des espaces urbains, entre autres, ont coûté cher au proceso, surtout à Caracas.

Il ne faudrait pas se tromper deux fois en analysant les résultats du 23 novembre. Le soir même du scrutin, le président Chávez parlait d'une victoire et affirmait: "Le peuple me dit: Chávez, continue sur le même chemin". Le chemin du socialisme est certes celui que la majorité des Vénézuéliens pointe du doigt. Mais le chemin est semé d'embûches. Le point positif qu'on peut tirer de cette nouvelle distribution des cartes, c'est qu'elle va raviver les luttes et ramener les mobilisations à l'ordre du jour.

Notes:

(1) Le Venezuela compte 23 états, plus le district de la capitale. Mais les élections n'ont pas eu lieu dans l'état d'Amazonas, qui a un calendrier électoral décalé par rapport au reste du pays.

(2) Le Zulia est l'état le plus peuplé et le plus riche du pays, de par ses ressources pétrolières.

(3) Voir notre article préélectoral "Test grandeur nature pour le processus bolivarien".



Article publié sur le site de La Gauche le 27 novembre 2008

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