Dans la région des Yungas, au nord-est de La Paz, la tradition veut qu’un homme qui demande une femme en mariage apporte une poignée de feuilles de coca aux parents de celle-ci, enveloppées dans un "tari", le tissu traditionnel aymara.
En plus de considérer la petite feuille verte comme une importante source de revenu, les peuples indigènes de Bolivie la conçoivent également comme un facteur de cohésion sociale.
"La feuille de coca fait partie de notre culture mais elle nous a en plus uni en tant que mouvements sociaux", explique Sabino Mendoza, dirigeant "cocalero" et ex membre de l’assemblée constituante qui fut chargée de rédiger le projet de constitution qui sera soumis à référendum ce 25 janvier.
L’article 384 de ce texte consacre la feuille de coca comme "patrimoine culturel, ressource naturelle renouvelable de la biodiversité de la Bolivie et comme facteur de cohésion sociale". Il y est également stipulé que "l’Etat protège la coca originaire et ancestrale", considérée dans son état naturel comme n’étant pas un produit stupéfiant.
Dans le petit village de Coroico, au coeur de cette région montagneuse et humide que son les Yungas, Sabino Mendoza s’adresse aux paysans réunis devant le siège de campagne du MAS (Mouvement au Socialisme, parti d’Evo Morales). Les exemplaires du nouveau texte constitutionnel s’arrachent comme des petits pains.
"Vous devez lire ce texte ‘compañeros’, il ne faut pas aller voter comme des robots sans savoir pour quoi vous votez ! Cette constitution va refonder la Bolivie et va reconnaître la feuille de coca".
L’article reconnaissant la feuille ancestrale est l’argument principal pour appeler à voter "oui" dans cette région, mais c’est aussi le principal sujet de discussion dans les réunions. "Que se passera-t-il si la coca se généralise dans tout le pays et si les prix se mettent à baisser ?", s’inquiète un cultivateur présent à l’assemblée dans le village de Santa Rosa, à quelques kilomètres de Coroico.
Le projet de constitution prévoit que "la revalorisation, production, commercialisation et industrialisation" de la coca sera régie par la loi. La législation actuelle tolère la culture de la coca à des fins traditionnelles mais prévoit sa substitution progressive. Et sa production n’est permise que dans certaines régions, pour une surface totale qui ne dépasse pas les 12 mille hectares.
Selon Sabino Mendoza, la nouvelle loi générale de la coca devrait autoriser une surface de culture de 20 mille hectares. "Il doit exister un contrôle rigoureux, il faut condamner ceux qui trafiquent les produits chimiques pour extraire la cocaïne de la coca. Mais la coca n’est pas un produit chimique, dans son état naturel ce ne sera jamais de la cocaïne".
Propriété intellectuelle collective
Mais la reconnaissance de la feuille de coca n’est pas le seul avantage dont jouiront les peuples indigènes avec l’approbation de ce nouveau texte. Ils seront désormais reconnus comme "nations et peuples indigènes originaires paysans". Et chacune de leurs langues (36 au total) sera reconnue comme langue officielle, en plus de l’espagnol.
Ils se verront attribuer "l’utilisation exclusive des ressources naturelles renouvelables existantes sur leur territoire", ainsi que la propriété intellectuelle collective de leurs "savoirs et connaissances".
Le texte reconnais également différents statuts d’autonomie, thème qui fut la pomme de discorde avec l’opposition des départements de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija. La nouvelle constitution instaure des autonomies départementales, régionales, municipales et "indigènes originaires paysannes". Tout cela dans le respect de l’unité du pays.
"C’est une constitution qui a été élaborée par nos propres organisations sociales, depuis la base. La constitution actuelle ne tient pas compte des paysans et des pauvres. C’est pourquoi nous nous sommes tant battus pour obtenir ce nouveau texte", explique Victoriano Choque, lui aussi dirigeant "cocalero" de Coroico.
Et c’est probablement lui qui résume le mieux ce que cette constitution, si elle est approuvée par référendum ce 25 janvier, apportera aux boliviens.
"Cette nouvelle constitution n’est rien de plus qu’un tronc avec ses racines. Ensuite, les organisations sociales devront le compléter en y apportant les branches, et les branches se complèteront par des feuilles. Finalement ces feuilles vont fleurir et vont donner des fruits, et ces fruits seront un bénéfice pour tous le pays".
Article publié sur le Risal, janvier 2009