lundi 24 août 2009

Le contrôle ouvrier, remède à la bureaucratie?

Daniel Rodríguez, secrétaire général du syndicat de Matesi. (Photo : Seb)

Daniel Rodríguez est membre du collectif Marea Socialista et secrétaire général du syndicat de Matesi (Materiales Siderúrgicos), l'une des quatre briqueteries nationalisées. Le groupe argentin Techint avait acheté l'entreprise pour 120 millions de dollars en 2004 dans le but de contribuer, à terme, à augmenter la production de SIDOR.

Au moment de la nationalisation de cette dernière, les travailleurs de Matesi discutaient eux-aussi une convention collective. A peine trois mois après l'approbation de cette convention, l'entreprise privée décida de casser son engagement et de réduire le salaire des travailleurs de 45% (mais pas celui des employés administratifs), argumentant l'imminence d'une crise financière.

Comment avez-vous mené la lutte en faveur de la nationalisation?

Daniel Rodríguez: L'attaque sur les salaires a agi comme un détonateur et a mis en évidence le degré d'exploitation exercé par la multinationale. Cela nous a également renforcés dans notre travail politico-stratégique, avec une vision plus large incluant les quatre briqueteries. Au départ, Matesi n'était pas concernée directement par la nationalisation de SIDOR. Le groupe Techint en était le principal actionnaire mais nous étions repris comme une entité mercantile à part.

Lorsque la décision de nationaliser SIDOR a été prise, nous nous sommes rendu compte du projet qu'était en train d'impulser le président de la République: une nouvelle Corporation sidérurgique du Venezuela. Nous avons aussi réalisé à quel point nous représentions une branche importante dans le cycle de production du fer et de l'acier.

Avec le conflit salarial surgi chez Matesi, les directions des autres briqueteries s'étaient mises d'accord afin de générer le chaos (par des licenciements notamment), de mobiliser les travailleurs dans la rue et d'aller vers une grève du secteur. S'ils arrivaient à paralyser les quatre briqueteries, cela aurait provoqué des problèmes tant en amont (Ferrominera, l'entreprise minière) qu'en aval (SIDOR). Leur stratégie était de créer un mouvement de masse des travailleurs et de le rediriger contre le gouvernement. Mais cette stratégie a été avortée avec l'annonce du président de nationaliser les quatre entreprises.

Quel rôle ont joué les travailleurs dans cette décision?

La nationalisation de SIDOR a été pour nous un élan qui nous a permis de nous unir en tant que secteur industriel. Avant cela, malgré le travail qu'on avait mené au sein des briqueteries, les différences idéologiques entre les travailleurs ne permettaient pas de passer à l'offensive. Avec SIDOR, on a réalisé que c'était possible pour nous aussi et qu'il fallait pousser dans ce sens-là avec des propositions concrètes.

Etant donné qu'il existait un projet de réorganisation de la sidérurgie et que nous nous trouvions au milieu de la chaîne de production, nous avons proposé au président la nationalisation. Tout d'abord afin d'appuyer la conformation de cette nouvelle corporation sidérurgique mais aussi pour réduire les coûts de la matière première pour SIDOR et donc permettre une réduction des prix de vente au consommateur final.

Notre proposition est que tout ce que nous produisons serve à la communauté et à un prix économique. Nous voulons avancer vers la création d'un lien entre l'entreprise et la communauté, entre les travailleurs et la communauté. Tout cela bien entendu en impulsant le contrôle ouvrier. Il n'existe pas d'autre mécanisme pour diriger notre entreprise efficacement, surtout en cette période de crise. Il doit bien entendu avoir une définition concrète de ce qu'est le contrôle ouvrier et une loi qui lui donne un caractère légal, car il existe aussi de nombreux secteurs syndicaux qui s'y opposent.

Pensez-vous que le gouvernement ait la même définition que vous du contrôle ouvrier?

J'en doute (rires). Mais, même si c'est très compliqué, je pense que nous devons mener cette lutte, nous, les travailleurs. Avec de la conscience et de l'idéologie, nous pouvons y arriver. Il s'agit de contrôler les finances, de connaître le modèle productif, de connaître le destinataire, etc., de la mine d'où sort le minerai jusqu'à la vente du produit fini. Face à cela, il existe une bureaucratie au sein du gouvernement qui est en train de réagir. Cela s'est vu avec les briqueteries; la bourgeoisie et la bureaucratie d'Etat ont tout fait que pour que la nationalisation n'aboutisse pas. Ce que nous devons faire, c'est arriver à les contrer.

Que pensez-vous de la proposition d'Hugo Chávez que le choix de la direction de l'entreprise se fasse en concertation entre le président de la République et les travailleurs?

C'est un premier pas important. Mais avant de chercher à l'extérieur des personnes sans doute compétentes mais ne connaissant pas les problématiques de l'usine, il peut être judicieux de voir les talents qui pourraient émerger en interne. Et les travailleurs sont sans doute, de ce point de vue, les mieux placés pour les connaître.


Entretien publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 15 août 2009

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