lundi 24 août 2009

Le projet autogestionnaire reprend vie au fil des nationalisations

Beaucoup pensent que la plupart des problèmes pourraient se résoudre si l'entreprise était dirigée par les travailleurs eux-mêmes et non par la bureaucratie. (Photo: Seb)

Acier, ciment, électricité, banque: les nationalisations se multiplient au Venezuela. Les travailleurs, eux, en attendent davantage que l'amélioration de leurs conditions de travail, ils veulent avoir leur mot à dire.

En mai dernier l'Etat vénézuélien officialisait le rachat de la principale aciérie du pays, Sidérurgie de l'Orénoque (SIDOR), pour 1,97 milliard de dollars. Quelques jours plus tard, lors d'une rencontre avec les travailleurs de la région de Guayana (dans l'est du pays), le président Hugo Chávez annonçait la nationalisation de quatre entreprises du secteur briquetier (produisant des briquettes de minerai de fer, lire ci-dessous). Ces mesures prétendent réorganiser tout le secteur de la sidérurgie autour du "Plan Guayana socialiste 2019" avec la participation active des travailleurs.

Le premier pas avait été franchi le 9 avril 2008, avec l'annonce de la nationalisation de SIDOR après quinze mois de lutte des travailleurs contre le consortium argentin Techint (appartenant au groupe Ternium, basé au Luxembourg), qui refusait d'améliorer les conditions de travail lors de la négociation d'un nouveau contrat collectif. Les travailleurs luttaient pour leurs salaires, leurs retraites, ainsi que pour l'intégration des 9000 salariés sous-traitants. Ils avaient finalement réussi à imposer un rapport de force et à arracher une nationalisation au départ perçue comme un possible sujet de discorde entre le Venezuela et l'Argentine des Kirchner.

"Mieux à 200%!"

Un an après ces événements, beaucoup de choses ont changé à SIDOR. "Les bénéfices des travailleurs se sont améliorés de 200%. Avant, nous étions marginalisés, humiliés, sacrifiés par une multinationale qui nous volait notre vie, qui nous volait tout", commente José Eduardo, quelques minutes avant de prendre son tour de travail entre la poussière, le vacarme des machines et la chaleur exténuante des fours.

Sirio Velasquez, chef de bureau aux ressources humaines, précise qu'à l'époque de Techint, vu les conditions de travail, "il y avait une grande rotation des effectifs. Actuellement, il existe une volonté d'adapter les emplois à l'âge, à l'expérience et aux capacités de chaque travailleur". De fait, de nombreux partenaires privés ont décidé de ne plus travailler avec SIDOR après la nationalisation. "Le nombre d'entreprises sous-traitantes est passé de 630 à environ 300. Beaucoup ne voulaient pas travailler avec l'Etat, d'autres ont refusé de s'adapter au nouveau cahier des charges", explique-t-il.

Mais les conditions de travail n'ont pas été les seules à évoluer, les salaires aussi ont connu un changement significatif. Sirio indique qu'un ouvrier non qualifié débutant touchait sous Techint 800 bolivars (l'équivalent de 400 francs), soit le salaire minimum. Aujourd'hui, ce même ouvrier gagne 2600 bolivars. Et un ouvrier d'exhiber fièrement sa fiche de paie qui affiche, après vingt ans d'ancienneté, un salaire de 5800 bolivars. La nationalisation obtenue prend d'un coup un aspect plus concret.

Les travailleurs non titularisés ont pu, eux aussi, en vérifier les avantages. Peu à peu, les disparités entre ouvriers s'estompent. Quelque 1300 sous-traitants ont été régularisés, portant le nombre de "sidoristes" à 6200.

La proposition de Chávez

D'autres problématiques se font néanmoins jour. Il y a peu, les travailleurs de SIDOR paralysaient de nouveau leur usine pour réclamer des prestations sociales non payées. Ils protestaient aussi pour attirer l'attention sur les conditions de sécurité, un de leurs compagnons ayant perdu la vie dans l'explosion d'un four.

Par ailleurs, la production de l'entreprise est à la baisse depuis la transition. Et les bas prix de l'aluminium sur les marchés internationaux ne facilitent pas la tâche.

Plusieurs rencontres entre différents ministères et les travailleurs ont débouché sur la constitution de quatorze tables de travail, afin d'analyser les failles de chaque département ainsi que les priorités et les investissements nécessaires, conjointement avec la direction. Hugo Chávez avait mentionné en mai dernier la possibilité pour les ouvriers d'élire leur propre direction, en concertation avec lui. "Je suis d'accord pour qu'on commence à élaborer une loi afin de réguler cela" dans le but de "commencer la transition", avait-il annoncé.

Beaucoup pensent que la plupart des problèmes pourraient se résoudre si l'entreprise était dirigée par les travailleurs eux-mêmes et non par la bureaucratie. "Nous sommes obligés de dessiner une nouvelle voie qui n'est pas un capitalisme privé mais qui ne doit pas être non plus un capitalisme d'Etat", explique José Tatá, dirigeant du courant Alliance syndicale. "Que se soit l'Etat ou que se soit le privé, si nous n'obtenons pas la participation active des travailleurs sur la production, il n'y aura pas de véritables changements dans l'entreprise, ni dans le pays", assure-t-il.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 15 août 2009

Aucun commentaire:



Creative Commons License

Les visuels et textes publiés sur ce blog sont sous
licence creative commons

Si vous souhaitez utiliser l'un de ces éléments, merci de me contacter