lundi 11 janvier 2010

Le discret retour des Etats-Unis au Panama

Le redéploiement étasunien en Amérique latine ne passe pas que par la Colombie. Onze nouvelles bases sont planifiées au Panama, petit pays habitué aux interventions de Washington.

Le canal de Panama, aujourd'hui sous administration panaméenne (Photo: Seb)

Ce samedi 9 janvier, le Panama commémorait comme chaque année le "Jour des Martyres", en souvenir de ce 9 janvier 1964 où quelque deux cents étudiants essayèrent de hisser le drapeau panaméen dans la zone du canal, alors sous administration étasunienne. La répression qui s'en suivit laissa un bilan de vingt-et-un morts et plus de quatre cents blessés. Durant les 9, 10 et 11 janvier, l'armée étasunienne occupa différentes voies de communication dans la capitale ainsi que dans la ville de Colon, où s'étaient étendues les manifestations.

Fait inédit dans l'histoire de ce pays qui a toujours vécu sous la tutelle de son voisin du nord, le gouvernement de l'époque décida de rompre les relations diplomatiques avec Washington, en signe de protestation face à la réaction disproportionnée de l'armée US.

Cet incident est aussi considéré comme le détonateur d'une série de négociations qui aboutiront à la signature des accords Torrijos-Carter en 1977, fixant le 31 décembre 1999 comme date limite pour le retour de l'ensemble des installations du canal en mains panaméennes, ainsi que la fermeture des bases militaires américaines dans la zone.


Le retour de la IVe Flotte


Dix ans après le départ des Marines, la situation régionale a changé. Embourbés en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis ont durant quelques années délaissé ce qu'ils considèrent, depuis la doctrine Monroe, comme leur "arrière-cour". Et l'émergence de gouvernements progressistes non-alignés à ses politiques a obligé Washington à réorganiser son jeu.


C'est Georges W. Bush qui avait commencé à inverser la vapeur en juillet 2008, en réactivant la IVe Flotte destinée à patrouiller dans les eaux du continent et des Caraïbes sous la double tutelle de la Marine et du commandement Sud de l'armée. Basée en Floride, cette flotte avait été créée pendant la Seconde Guerre mondiale pour protéger le trafic dans l'Atlantique Sud et dissoute en 1950.
Plus récemment, le président étasunien et Prix Nobel de la paix, Barack Obama, a obtenu du gouvernement colombien l'autorisation d'utiliser sept bases militaires sur son territoire.

Mais les Etats-Unis n'avaient pas complètement abandonné l'Amérique du Sud ces dix dernières années. Depuis 2000, ils ont apporté plus de 5,5 milliards de dollars à Bogota à travers le Plan Colombie, officiellement pour lutter contre le trafic de drogue et les groupes insurgés. Le pays est ainsi devenu le premier bénéficiaire d'aide militaire étasunienne du continent et le troisième du monde.


En septembre dernier, suite à une rencontre à Washington entre la secrétaire d'Etat Hillary Clinton et le président Ricardo Martinelli, le gouvernement panaméen annonçait la signature d'un accord de coopération avec les Etats-Unis en vue de l'installation de deux bases navales en territoire panaméen. Ceci afin de renforcer la lutte contre le trafic de drogue grâce à des "opérations d'intelligence et des patrouilles maritimes appuyées de radars", comme l'indiquait le journal local
La Prensa.

Cependant, quelques jours plus tard, les autorités panaméennes démentaient toute participation active des Etats-Unis dans l'opération des bases, qui étaient passées au nombre de quatre et ensuite de onze. "Il s'agit de stations aéronavales nettement panaméennes. Et il n'y en aura pas quatre mais bien onze au total", déclarait le ministre de Gouvernement et Justice José Raúl Mulino, lors de l'inauguration de la première base le 2 décembre dernier, sur l'archipel de Las Perlas dans l'océan Pacifique.


Bases militaires... sans armée

Mais au Panama, les déclarations officielles ne convainquent pas tout le monde. Les organisations sociales, les syndicats et certains intellectuels dénoncent que ces bases fonctionneront forcément en collaboration avec les Etats-Unis, d'autant plus que le Panama ne dispose pas d'armée et n'en a pas été doté durant la majeure partie de son histoire.

"Comment allons-nous maintenir ces bases en activité alors que nous n'avons même pas de marine de guerre? Notre pays est en train d'aller au-delà de la défense de sa propre souveraineté et de la lutte anti-drogue", estime Julio Yao, professeur de relations internationales à l'université de Panama et ex-assesseur du général Omar Torrijos lors des négations des accords de 1977.

D'après M. Yao, ces nouvelles installations sont clairement liées aux sept bases militaires dont disposeront les Etats-Unis en Colombie et qui leur permettront de contrôler toute l'Amérique du Sud. "Les gens se demandent si ces bases seront des bases étasuniennes et si elles vont être utilisées pour autre chose que pour lutter contre le trafic de drogue. Mais d'après l'expérience que nous avons ici au Panama avec ce genre d'installations, on peut facilement en déduire qu'elles seront utilisées pour d'autres objectifs", ajoute-t-il.

Alignement politique


Depuis son élection en mai dernier, le président panaméen Ricardo Martinelli s'est positionné comme l'un des plus fidèles alliés de Washington dans la région et a renforcé les liens de son pays avec les chefs d'Etats conservateurs de Colombie et du Mexique, Alvaro Uribe et Felipe Calderon.

"M. Martinelli a scellé le destin du Panama aux intérêts de la politique extérieure des Etats-Unis; il a rapproché davantage le pays du Plan Mérida (initiative étasunienne visant officiellement à contrôler le trafic de drogue et le crime organisé en Amérique centrale, ndlr) et nous a sortis du parlement centre-américain sans proposer aucune alternative concrète d'intégration régionale", ajoute-t-il.

Après avoir renversé la dictature du général Noriega le 20 décembre 1989, les Etats-Unis ont essayé à plusieurs reprises de convaincre les gouvernements suivants de ne pas suivre au pied de la lettre les échéances progressives des accords de 1977. "De ce point de vue là, ils avaient été contraints à l'échec durant un certain temps", assure le professeur Yao. "Ce n'est qu'avec le gouvernement de Mireya Moscoso (1999-2004) et la signature des accords Salas-Becker qu'ils ont de nouveau obtenu l'accès à notre espace aérien, terrestre et maritime".

Vingt ans après l'intervention militaire étasunienne dans ce petit pays d'Amérique centrale, les familles des victimes (dont le nombre n'est toujours pas connu avec précision) continuent de réclamer que la lumière soit faite sur les évènements de 1989. Mais le président actuel semble avoir d'autres priorités politiques à court terme. "M. Martinelli va permettre le retour militaire des Etats-Unis au Panama", professe déjà Julio Yao.




Article publié dans le quotidien suisse
Le Courrier le 09 janvier 2010

1 commentaire:

Olivia Kroth a dit…

Des bases militaires étatsuniennes au Panama pour lutter contre le trafic de drogue ?
La CIA s'alimente de l'argent gagné avec le trafic de drogue.



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