samedi 15 septembre 2007

Réforme constitutionnelle et critique nécessaire

Cette semaine les dirigeants du parti Podemos (Pour une Démocratie sociale) ont fait un pas de plus vers l’opposition. Ou du moins le président Chávez leur a donné le petit coup d’épaule qui les a fait dépasser la ligne et sortir du terrain chaviste.

L’Assemblée nationale a approuvé, ce mardi 11 septembre, le projet de reforme constitutionnelle en seconde discussion (1). Mais une fois n’est pas coutume, le projet n’a obtenu "que" la majorité qualifiée.

Lors du débat en plénière, les députés sociaux-démocrates (Podemos a adhéré il y a quelques mois à l’Internationale socialiste, comme membre observateur) se sont opposés à la réforme sur plusieurs points.

On ne s’étonnera pas de leur position qui était prévisible et qui reflète la ligne qu’a maintenu ce parti depuis de nombreux mois. Ce qui interpelle, c’est la manière dont le M. Chávez a réagit à cette position "dissidente".

Dés le lendemain, il ratifiait la "désertion d’un nouveau groupe de députés". Le Président de la République a applaudi "la manière claire des députés authentiquement révolutionnaires à défendre la proposition" de réforme constitutionnelle. Et a critiqué d’autre part la façon "ambiguë" des autres, en affirmant qu’un "autre groupe de députés, comme cela était arrivé il y a quelques années avec un autre bloc, est passé dans l’opposition".

Je dis que cela interpelle car le président a déposé une "proposition" et non pas un projet fini. Il a d’ailleurs lui-même appelé à la critique. Le premier septembre, lors de la nomination des "comités de défense de la réforme constitutionnelle", Chávez affirmait que le débat sur la réforme devait être une "bataille d’idées".

"Je n’ai jamais demandé ni ne demanderai à personne un appui acritique, à aucune de mes propositions, à aucune proposition de notre gouvernement" déclarait-il alors.

Et invitait à la "pensée critique, réflexive, illuminée par la théorie, par le débat, car cela (ndlr : le projet de réforme) n’est ni ne prétend être parfait".

De quelle manière mène-t-on cette bataille d’idée aujourd’hui au sein du proceso si le seul parti qui proposait des modifications significatives est directement éjecté dans le camp de l’opposition ?

Tout en étant conscient de la ligne idéologique clairement réformiste et sociale-démocrate de Podemos, on peut cependant souligner que ce groupe de parlementaires a touché lors du débat des aspects qui méritaient d’être discutés.

Par exemple, à la désignation par l'Exécutif des autorités qui seront nommées à la tête des Territoires fédéraux, le député et secrétaire général de Podemos, Ismael García, proposait que ces nouvelles autorités soient élues par le vote populaire.

Pas de quoi aller à l’encontre du "pouvoir populaire" que cette réforme prétend approfondir !


Pour une critique de gauche

Dans l’hebdomadaire d’analyse et d’opinion TEMAS Venezuela publié ce vendredi 14 septembre, le journaliste José Roberto Duque mettait le doigt là où le proceso bolivarien se le fout dans l’œil. Le paragraphe vaut la peine d’être traduit tel quel :

"Il se révèle inconfortable et laborieux de critiquer le projet de réforme constitutionnelle. Non pas qu’on défende des postes ou privilèges que l’on n’a pas, ni qu’il existe une persécution formelle contre ceux qui ne suivent pas la ligne au pied de la lettre. Mais plutôt à cause d’une tendance naturelle au sein de la bureaucratie de l’Etat et également de certains secteurs du peuple chaviste, à considérer comme ennemi, antichaviste, ‘escuálido’ (2), tous ceux qui s’opposent à ce que dit le Président de la République".

"Il devient compliqué (et cela nous stimule à continuer d’essayer) de faire comprendre au peuple chaviste que l’on continue à être peuple, que l’on continue à être chaviste et que remettre en question Chávez à partir de notre position de gauche libertaire est une méthode qui vise à améliorer son projet et non pas à lui porter préjudice" soulignait l'auteur.

En effet, un des points sur lesquels, selon moi, le proceso fait fausse route, c’est de se nier à une véritable autocritique publique et ouverte ; non seulement du projet de réforme constitutionnelle mais également, d’une façon plus large, de sa gestion quotidienne.

Comme me le confiait en coulisses un des députés de l’Assemblée nationale (pourtant membre d’un des trois autres partis qui ont voté en faveur de la réforme) : "J’ai l’impression que les rencontres avec la population organisées par l’Assemblée nationale sur la réforme constitutionnelle sont plus des rencontres d’information que de débat. Informer sur un projet est une chose mais débattre et prendre en compte les propositions en est une autre".

Pour sa part, le représentant indigène et député du groupe Podemos, Arcadio Montiel, défendait la position de son parti en avertissant : "Prenons garde à ne pas croire que nous aidons le Président, quand ce que nous sommes en train de faire est d’adopter une attitude servile face au pays".

Les funambules

Ismael García jouait au funambule depuis longtemps, oscillant entre l’appui au proceso et la main tendue à l’opposition. Il savait que d’un moment à l’autre il basculerait dans le camp adverse, duquel il espère probablement prendre la tête.

Aujourd’hui le funambule est tombé et pourra désormais s’attacher à se construire une place au sein d’une opposition en mal d’idées, de leader et surtout en mal de représentation au parlement (la question pour lui sera de savoir si cette opposition l'accepte en son sein).

Cependant, au delà du fait de partager ses prises de position ou pas, il faut réaffirmer le besoin d'analyser, de critiquer la réforme et la nécessité d'écouter les propositions émanant des différents secteurs.
Mais il faut surtout réaffirmer et revendiquer le droit des révolutionnaires à critiquer de façon constructive ce projet de réforme au sein même du chavisme, sans pour autant être qualifié de contre-révolutionnaires ou de sympathisants de Podemos.

Notes :

(1) La troisième et dernière discussion devrait avoir lieu fin octobre.

(2) ‘Escuálido’ est une expression que les chavistes utilisent pour se référer à l’opposition. Selon la Real Academia Española le mot signifie quelque chose de maigre, mince, pâle...mais aussi sale, dégoûtant.

Remarque
Traduire et analyser les 33 articles concernés par la réforme constitutionnelle prendrait pas mal de temps. De plus, un texte intéressant et critique a déjà été publié à ce sujet sur le RISAL, sans pour autant reprendre textuellement les 33 points.

Pour plus de détails lire : "Constitutionnalisation du socialisme. Tous les pouvoirs au peuple… et à Chávez !"

mercredi 5 septembre 2007

Chávez, Uribe et la parapolitique colombienne

Photo : Seb

Ces dernières semaines, le président Chávez a fait irruption sur la scène internationale avec un thème qu’il avait jusqu’à présent très peu abordé, voire même franchement évité : le conflit colombien.

Il faut dire que le terrain est politiquement miné et que la moindre déclaration sur ce sujet pouvait lui valoir rapidement le qualificatif de "soutien au terrorisme", tant de la part de Bogota comme de Washington qui l’a déjà accusé d’être un allié des FARC.

Les médias européens se focalisent principalement sur l’Irak, l’Afghanistan et le Proche-Orient, laissant de côté de nombreux conflits dans le monde. Alors que ces guerres n’ont souvent d’"internes" que le nom. Le conflit colombien est de celles-là.

Ce pays sud-américain vit une véritable guerre civile depuis près de 50 ans. Mis à part les principaux groupes armés que sont les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, 17 000 hommes), l’Armée de Libération nationale (ELN, environ 5 000 hommes) et les paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC, environ 13 000 hommes), la répression de l’Etat est féroce et des centaines de syndicalistes y sont assassinés chaque année (2 400 morts et disparus depuis 1991) (1).

Près d’un tiers du Congrès colombien est contrôlé par les paramilitaires. Dernièrement, plusieurs sénateurs ont été détenus par la justice pour relations étroites avec le paramilitarisme. La ministre des Relations extérieures avait démissionné en février dernier dans le cadre de la même affaire qui est désormais connue comme le "scandale de la parapolitique", dans lequel Uribe lui-même est soupçonné d’avoir baigné.

Les négociations entre le gouvernement et les FARC, principal groupe insurgé du pays, ont jusqu’à présent échoué. Alors que par ailleurs, des accords ont été conclus avec les paramilitaires et plusieurs centaines d’entre eux ont été "réhabilités" dans la vie civile.

Les atouts de Chávez

C’est donc dans ces conditions que le Comandante fait sont apparition dans le jeu de quilles. Fin juillet, la sénatrice colombienne Piedad Córdoba, avait appelé à plusieurs reprises le mandataire vénézuélien à s’impliquer dans la résolution du conflit et dans un échange de prisonniers entre le gouvernement et les FARC.

Selon la députée, alors de passage à Caracas, le Venezuela pourrait jouer un rôle décisif dans les négociations en vue d’un accord humanitaire (2). "Non seulement pour la proximité géographique mais également pour la crédibilité et le soutien dont jouit le gouvernement vénézuélien auprès d’un large secteur de la population colombienne" affirmait-elle.

Un autre élément est également à prendre en compte et ce n’est un secret pour personne, le président Chávez bénéficie d’une certaine sympathie des FARC qui partagent son idéal bolivarien.

Dans son édition de ce mardi, le journal d’opposition vénézuélien, El Nacional, cite d’ailleurs une phrase de Raúl Reyes, responsable international des FARC, qui qualifie le président Chávez de "leader de grande importance sur le continent".

Après avoir rencontré les familles des détenus, dont la mère d’Ingrid Bétancourt à Caracas, Hugo Chávez s’est entretenu durant plus de six heures, ce vendredi 31 août, avec son homologue colombien à Bogota.

Il compte également se réunir avec les familles des guérilleros détenus par l’Etat colombien et essaie maintenant d’obtenir une rencontre avec un représentant des FARC.

Dans le même article, El Nacional signale que Manuel Marulanda (alias Tirofijo), le plus haut dirigeant des FARC, pourrait accepter prochainement une rencontre au Palais présidentiel de Miraflores, à Caracas.

Plan Colombie et autres infiltrations

Quand je dis que le sujet est politiquement miné, la métaphore n’est pas de trop. Le Plan Colombie promu par Washington avec l’argument de lutter contre le trafic de drogue, ouvre une porte d’accès de plus de 2000 kilomètres sur le Venezuela (la taille de la frontière partagée entre les deux pays). Les incursions de paramilitaires y sont d’ailleurs fréquentes (3).

En mai 2004, 120 paramilitaires colombiens ont été capturés dans une propriété de El Hatillo, à une vingtaine de kilomètres de Caracas. Ils s’y entraînaient pour mener des actions violentes vêtus d’uniformes de l’armée vénézuélienne, dans le but de déstabiliser le pays et de faire tomber le gouvernement de Hugo Chávez.

Le premier septembre 2007, le Comandante en a gracié 41 d’entre eux et les a remis aux mains du gouvernement colombien. Cela peut s’interpréter comme un geste de bonne foi envers Alvaro Uribe, même si on peut douter du bien fondé de cette décision (4).

Selon l’agence de presse EFE, le ministre vénézuélien de la Défense, Gustavo Rangel, aurait confirmé cette idée en déclarant, lors de la remise des prisonniers à la Consule colombienne, que ce geste faisait partie des efforts de Chávez pour arriver à un échange de détenus entre le gouvernement Uribe et la guérilla des FARC.

Plus récemment, en juillet, les corps de deux militaires ont été retrouvés dans l’Etat de Zulia. D’après l’ex vice-président vénézuélien, José Vicente Rangel, il s’agissait de deux membres des services secrets colombiens, appartenant à la division de Santa Marta.

Sur l’un d’entre eux, une clé USB a été retrouvée. Elle contenait les noms, adresses et photos des députés vénézuéliens membres du Parlement latino-américain (Parlatino). Que faisaient ces deux hommes en dehors de leurs frontières et dans quel but détenaient-ils ces informations ? L’affaire n’a toujours pas été éclaircie.

Lors d’une réunion avec les membres du Parlatino, José Vicente Rangel a d’ailleurs estimé qu’il "existe une dangereuse tendance à la banalisation de la part du Venezuela. Et cela a empêché l’approfondissement des enquêtes sur ce genre de faits". Il a également alerté sur l’infiltration de membres des services de renseignements colombiens dans le pays.

Le 2 septembre, le même José Vicente Rangel a évoqué, lors de son programme dominical sur la chaîne privée Televen, la possible installation d’une nouvelle base militaire nord-américaine en Colombie. Elle serait censée remplacer l’actuelle base de Manta, en Equateur, qui sert de plate-forme de déploiement aux unités du Commando Sud (Southcom).

L’accord entre les Etats-Unis et l’Equateur prend fin en 2009 et le président Rafael Correa a déjà annoncé qu’il ne le renouvellerait pas. L’armée US cherche donc un nouveau point de chute pour ses soldats, l’occasion est rêvée pour se rapprocher du Venezuela (5).

Selon les affirmations de José Vicente Rangel, des patrouilles mixtes de militaires colombiens et étasuniens sillonneraient le secteur de Santa Rosa, dans le sud du département Bolívar, zone limitrophe avec le département d’Antioquia, afin d’étudier la capacité opérationnelle de la zone pour l’installation de cette nouvelle base.

Bref, si on ne peut que se féliciter de l’effort déployé (enfin diront certains) par le président Chávez pour arriver à un accord humanitaire entre les différentes parties, il ne faut cependant pas oublier la menace que fait peser l’ingérence nord-américaine dans la région, tant à travers le paramilitarisme que par l’intermédiaire de l’armée régulière colombienne et du Plan Colombie.

Il est clair que pour Chávez, aboutir à un accord entre les deux parties constituerait une victoire politique et diplomatique de taille au niveau international.

D’un point de vue interne également, les vénézuéliens et surtout ceux vivant dans la zone frontalière verraient d’un très bon œil l’apaisement du conflit voisin. Il en va de même pour les réfugiés colombiens présents au Venezuela.

Début août, le député José Albornoz rappelait d’ailleurs que le Venezuela compte environ quatre millions de colombiens vivant dans le pays (sur une population de 26 millions de vénézuéliens!).

"Quatre millions de colombiens qui travaillent sur notre territoire, qui sont nos voisins, qui partagent des amitiés avec nombre d’entre nous. La paix de la Colombie est la paix du Venezuela" soulignait-il.

Ah! Comme on aimerait entendre parler de la sorte nos dirigeants européens à propos de l’immigration…


Notes :

(1) Lire aussi : (B.) Pérez, "Ces syndicalistes assassinés qui hantent les transnationales", RISAL, juillet 2007.

(2) On parle pour l’instant de la libération de 400 à 500 guérilleros contre 47 personnes retenues par les FARC. Le journal Últimas Noticias précisait dans son édition du samedi 1er septembre : "10 civils dont l’ex sénatrice Ingrid Bétancourt, 3 collaborateurs étasuniens du Plan Colombie et 34 policiers et militaires capturés au combat".

(3) Lire aussi : (H.) Calvo Ospina, "Aux frontières du Plan Colombie", Le Monde diplomatique, février 2005.

(4) Du moins d’un point de vue éthique. Car si on l’analyse d’un point de vue tactique on peut en conclure que c’est bien joué, même si ça peut d’un moment à l’autre se retourner contre lui.

(5) A propos des bases militaires étasuniennes sur le continent, consulter l’infographie sur le site de TeleSur (en espagnol) : Bases militares de EE.UU. en Latinoamérica


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