vendredi 1 octobre 2010

Chávez gagne les législatives sur le fil

La célébration fut discrète dimanche soir dans le camp bolivarien, à l’image de la victoire. Ce n’est qu’à 2 heures du matin que le Conseil national électoral (CNE) a annoncé les premiers résultats. Le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) obtient 98 députés sur 165, l’opposition 65 et les ex-chavistes du parti Patrie pour tous (PPT, qui se présentait seul) 2 députés.
Évidemment, il était impossible de rééditer le score de 2005, lorsque l’appel de l’opposition au boycott du scrutin avait permis à la coalition chaviste de l’époque de remporter 100% des sièges. Mais les candidats du PSUV espéraient remporter la majorité des 2/3 du Parlement unicaméral, afin de pouvoir continuer à approuver les lois organiques, élire les magistrats du Tribunal suprême de justice ou encore les membres du Conseil national électoral.
De même, les 3/5 de l’Assemblée (99 députés) sont nécessaires pour l’approbation des lois permettant au président de la République de légiférer sans passer par le Parlement. Cette proportion n’a pas non plus été atteinte, à un siège près.Le soir de l’élection, l’opposition a déclaré avoir gagné 52% des votes. Mais le lundi soir, le président Hugo Chávez a estimé pour sa part que le PSUV devançait de 100 000 voix la Mesa de la Unidad Democrática (MUD, Table de l’Unité démocratique, alliance des partis d’opposition), reprochant à celle-ci de comptabiliser comme siens, les votes recueillis par les partis indépendants.
Au moment où ces lignes sont écrites, le CNE n’avait toujours pas émis son deuxième bulletin avec la totalité des résultats. Mais il est certain que le score en nombre de votes est serré au niveau national. Par ailleurs, l’importante participation (66,45% des inscrits) est une réussite pour des législatives qui en général n’attirent pas un grand nombre d’électeurs.
Mais pourquoi une si large victoire en nombre de députés si la différence en nombre absolu de voix est si courte ? Parce que les États ruraux peu peuplés (en général acquis au chavisme) sont sur-représentés à l’Assemblée. De plus, un redécoupage des circonscriptions approuvé en janvier dernier a clairement favorisé le PSUV en divisant certaines de celles-ci où l’opposition était majoritaire.
Bref, le PSUV devra désormais négocier certaines décisions et la différence radicale qui existe entre les deux blocs promet des débats plus qu’animés. Mais au-delà de cette victoire sur le fil, il apparait que l’opposition remonte de plus en plus dans les votes. Celle-ci a bâti sa force, ces derniers mois, en mettant le doigt sur l’incapacité du gouvernement à répondre aux problèmes concrets de la population tels que l’insécurité et la violence urbaine, l’inflation et l’inefficacité des institutions publiques.
La révolution bolivarienne se concentre sur le discours et la bataille idéologique, tout en délaissant un important terrain de bataille : le quotidien des citoyens. C’est peut-être la leçon qu’elle doit tirer de ces élections et des signes d’érosion de sa base électorale.



Article publié dans l'hebdo Tout est à Nous! du 30 septembre 2010

mercredi 22 septembre 2010

Une campagne au pas de course

Le candidat Freddy Bernal dans les rues de Catia. (Photo: Seb)

Hugo Chávez est omniprésent dans la campagne et cela irrite l'opposition. Si le président a suspendu son programme dominical "Aló Presidente" pour la période électorale, il n'en multiplie pas moins les allocutions télévisées pour défendre "ses" candidats. Sur les affiches du Parti socialiste uni (PSUV) le message est clair: "Les candidats du PSUV sont les candidats de Chávez". Freddy Bernal est l'un d'entre eux. L'ex-maire de Libertador (la plus grande municipalité de Caracas) a le pas décidé. Cet ancien policier est l'une des figures emblématiques du "chavisme". Depuis le début de la campagne, il multiplie les déplacements à pied dans les barrios, les quartiers défavorisés de Caracas. Aujourd'hui, son parcours comprend le quartier populaire de Los Frailes de Catia, à l'ouest de la capitale. L'homme a le regard vif et les cheveux grisonnants. Il porte une chemise rouge, couleur chère au bolivarisme. Au long de son parcours, il serre des mains, s'arrête aux portes des maisons où on l'invite parfois à entrer; comme dans celle-ci qui fait aussi office de petit magasin communautaire que fournissent les missions alimentaires du gouvernement; ou encore dans le centre médical tenu par deux doctoresses cubaines (y fonctionnent aussi une radio et une bibliothèque). "Avec ces élections, la colonne vertébrale du processus révolutionnaire est en jeu. Pour que le projet socialiste continue à se développer comme alternative au capitalisme, nous avons besoin d'approuver une série de lois afin de créer une structure juridique et politique", explique-t-il sans s'arrêter.

"Nous sommes convaincus que l'alternative au capitalisme est l'Etat communal (centré sur les conseils communaux, ndlr). Et celui-ci se base fondamentalement sur l'organisation, la participation et l'inclusion de la majorité", ajoute celui qui a accompli deux mandats à la tête de Libertador. A première vue les contacts à la municipalité du candidat Bernal fonctionnent toujours; il reçoit en tout cas l'appui logistique de son équipe de presse. Interrogé sur les plaintes de l'opposition quant à un possible favoritisme, il répond: "Nous sommes majoritaires. Et cet avantage nous l'avons construit avec nos forces, par en bas. Nous l'avons construit, comme vous pouvez le voir ici, avec les gens humbles des barrios de Caracas. Ces gens sont membres des conseils communaux, des comités de terre, des comités de santé, des maisons d'alimentation, etc., ce ne sont pas des fonctionnaires, ce sont les leaders de notre campagne et ce sont des militants de base". Le nouveau parlement sera-t-il amené à se sacrifier pour céder la place au pouvoir populaire, à une sorte d'Assemblée nationale de conseils communaux? "Pour l'instant cela n'est pas prévu. Les processus politiques ne se déterminent pas par décret, ils se développent. Nous sommes convaincus que l'Assemblée nationale et le pouvoir communal peuvent travailler ensemble. Il n'y a aucune contradiction car les députés seront les porte-parole et l'expression de ce pouvoir communal". Cependant M. Bernal estime que le mécanisme de représentativité actuel de l'Assemblée nationale est obsolète: "Les hommes et les femmes qui iront au parlement doivent être l'expression de la communauté".

Betzaida Fernandez, membre du Conseil communal de Los Frailes, participe activement à la visite du candidat Freddy Bernal dans sa communauté. Elle est fière de montrer les avancées obtenues en matière d'organisation locale et assure qu'il faut consolider la révolution: "Si nous perdons l'Assemblée, nous perdrons tout ce que nous avons construit durant ces onze dernières années".



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 21 septembre 2010

"Il faut plus de pression populaire"

En mai dernier, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) a soumis au vote de ses militants la sélection des candidats qui le représenteront aux élections législatives de ce 26 septembre. A cette occasion, plus de 2,5 millions d'affiliés s'étaient déplacés pour participer au scrutin interne. Un chiffre important mais qui représente en fait moins de 40% des plus de 7 millions de membres que revendique le parti. D'après Raúl Cazal, directeur d'El Dipló, l'édition vénézuélienne du Monde diplomatique, ces 2,5 millions de personnes qui se sont déplacées pour les primaires sont celles que l'on peut vraiment considérer comme des militants: "Les 7 millions soutiennent le processus, ils sont là, attentifs à ce qui se passe, mais ne s'intègrent pas tous dans la discussion politique. Cependant, 2,5 millions de militants cela reste énorme, dans n'importe quel pays".

L'ambition du PSUV depuis sa création était de permettre à de nouvelles figures d'émerger, mais jusqu'à présent les principaux leaders du parti restent des cadres qui occupent les hautes fonctions du gouvernement. L'élection interne a cependant permis un certain renouveau. "Beaucoup de candidats du parti pour les prochaines élections sont des personnes inconnues jusqu'ici. Cela va incontestablement changer le visage de l'Assemblée nationale", assure M. Cazal, qui est également vice-président de l'Agencia Venezolana de Noticias, l'agence de presse officielle. Effectivement, lors du scrutin interne de mai dernier, seuls 22 députés sortants ont été reconduits en tant que candidats à 110 postes disponibles (vote nominal), pour lesquels s'affrontaien 3500 "pré-candidats". Par ailleurs, 52 candidats supplémentaires (vote liste) ont été désignés directement par le président du PSUV, qui n'est autre que Hugo Chávez. Ces 52 noms sont quant à eux issus, pour la plupart, de l'appareil traditionnel.

Le vote de la base a donc, d'une certaine manière, puni les députés sortants. Et il faut dire qu'ils n'ont pas vraiment la cote, même auprès des citoyens qui soutiennent le "chavisme". Malgré la majorité absolue dont il a disposé durant ces cinq dernières années, de nombreux projets de loi sont restés au frigo, comme ce fut le cas de la loi permettant de mettre sur pied un système national coordonné de santé publique ou encore la nouvelle loi sur le travail (comprenant la réduction du temps de travail et la création de conseils de travailleurs dans les entreprises). La loi sur le contrôle des armes se trouve, quant à elle, toujours en discussion au sein de l'Assemblée, son traitement a été "réactivé" récemment après la dure campagne des médias d'opposition sur le problème aigu de la violence urbaine. Le retour de l'opposition au parlement serait-il salutaire afin de dynamiser le camp présidentiel? Pour Raúl Cazal, élire une nouvelle génération (44% des candidats du PSUV ont moins de 30 ans) ne suffit pas: "Je pense que nous avons besoin de plus de pression populaire, pas seulement la pression du président, ni celle de la contre-révolution. Nous avons besoin de la pression de ceux qui sont de notre côté, du côté du socialisme. Parce que sans cela, sans la mobilisation populaire, nous ne parviendrons à aucun changement et les députés continueront à s'endormir sur leurs lauriers".




Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 21 septembre 2010

lundi 6 septembre 2010

"Les positions des dirigeants étudiants chavistes tendent à être conservatrices"

Andrea Pacheco est étudiante de l'École d'Études politiques de l'Université centrale du Venezuela. A 22 ans, elle est également membre de la Jeunesse du Parti socialiste uni du Venezuela (JPSUV) ainsi que du mouvement de jeunes de Marea Socialista, collectif de militants de gauche radicale au sein du PSUV. Nous l'avons rencontrée en mai dernier, lors de la première réunion nationale des jeunes de Marea Socialista à Caracas.


(Photo: Fernando Esteban)

Quelle évaluation fais-tu de l'élection de 10 jeunes militants lors des primaires du PSUV en vue des législatives de septembre?


Tout d'abord, on peut lire de ces primaires que 44% des candidats ont moins de 30 ans. Cela veut dire que réellement il y a un sentiment de renouvellement qui s'est exprimé parmi la base du PSUV. Cela veut dire que les gens ne voulaient plus des mêmes et cela reflète également le besoin de renouveler les cadres du parti. Enfin je pense qu'il est très positif pour la jeunesse que ces camarades participent en tant que titulaires, dans une moindre mesure, et dans un plus grand pourcentage en tant que suppléants.

Je pense aussi que ce besoin de renouvellement va probablement se renforcer lors des élections du 26 septembre. Malgré le fait que ces jeunes soient déjà des personnes connues, ils n'ont cependant jamais occupé de postes importants ni dans les ministères, ni ailleurs. Il est nécessaire qu'ils débattent réellement avec la base de la jeunesse et qu'ils fortifient la JPSUV grâce à leurs candidatures. Car s’ils sont membres de la JPSUV, ils n'étaient cependant pas les candidats issus d'un débat au sein de la JPSUV. Cela veut dire qu’ils ne seront réellement les candidats de la JPSUV que lorsqu'ils convoqueront la base de la jeunesse afin de construire un programme, une alternative, et ainsi fortifier l'organisation de cette jeunesse.

Quelle est ton opinion par rapport à la dynamique politique au sein de la JPSUV ?

Les jeunes de Marea Socialista ont participé au congrès de fondation il y a maintenant deux ans. Mais depuis, il y a eut de nombreux problèmes d'organisation. La JPSUV n'organise pas ses cellules de base en tant que telles. Il y en a très peu qui fonctionnent au niveau national et très peu mènent un travail actif au niveau politique, communautaire ou culturel. En réalité, il y a beaucoup plus d'initiatives communautaires ou culturelles qui proviennent de petits collectifs d'étudiants isolés que d’une jeunesse organisée au niveau national avec des canaux de communication qui garantiraient un réel fonctionnement de type centralisme démocratique. La dynamique de la JPSUV a été jusqu'à présent assez dispersée.

Comment expliquer que ces dernières années ce soit la droite qui ait le plus réussi à mobiliser les jeunes ?

Au Venezuela le nombre d'étudiants a augmenté (de pratiquement 300%) dans la mesure où le gouvernement révolutionnaire a créé des mécanismes afin d'intégrer la population à l'éducation moyenne et supérieure. Cependant le mouvement étudiant qui est pris comme référence par les médias ainsi qu'en terme de mobilisation, provient en général des universités autonomes. C'est un mouvement qui par le passé faisait partie de la gauche la plus radicale du pays, contre les gouvernements de la IV ème République, mais aujourd'hui on voit que la révolution n'a pas gagné dans ses rangs ce secteur de la classe moyenne, qui est celui de ces universités mais également des lycées.

On a assisté à un processus d'élitisation des universités autonomes au début des années 90 (renforcement des mécanismes d’admission, diminution des services gratuits aux étudiants comme les bourses, le transport, etc). Aujourd’hui, les classes moyennes et hautes sont celles qui dominent ces établissements. Tout cela s'est accentué ces dernières années lorsque les militants de gauche (professeurs et dirigeants étudiants principalement) ont commencé à assumer des postes de gouvernement. Il y a aussi eu une expulsion de nombreux cadres étudiants révolutionnaires de l'Université centrale du Venezuela en 2001, qui a fortement marqué le mouvement étudiant. La situation actuelle est la conséquence du fait que nous ayons abandonné l'université et que cette progressive élitisation, conjuguée à un discours très peu attractif pour la jeunesse, a empêché que nous puissions avoir une influence de masse. Fondamentalement la JPSUV n'a pas de politique concrète par rapport à ce secteur. Les seules démarches qui ont eu lieu ont été sectaires et ont contribué à éloigner ces étudiants universitaires, à les polariser, à les renvoyer plus vers la droite au lieu d'essayer de les gagner à la cause, de dialoguer avec eux.

"La jeunesse ne peut se sentir enthousiasmée par le discours de jeunes qui invitent à défendre le gouvernement, qui invitent à défendre la loi, à défendre la police"

Un autre point est que les positions défendues par les dirigeants étudiants chavistes tendent à être conservatrices. Aujourd'hui ceux qui jettent des pierres sont les étudiants de droite ! Contrairement aux années 1980, aujourd'hui c'est la gauche qui demande de ne pas aller manifester, de rester en classe, de ne pas faire grève. Au contraire, nous les jeunes de Marea Socialista pensons que nous sommes dans une époque de transition de la transformation de l'État bourgeois. Et c'est justement parce que nous sommes dans une étape de transition qu'il est nécessaire de jeter de pierres, qu'il est nécessaire de réclamer, de s'organiser. On n'a pas besoin de défendre les vices de l'État bourgeois !

Ce discours de défense de l'État éloigne les jeunes gagnés à un discours plus radical. La jeunesse, et surtout la jeunesse étudiante des universités, a été historiquement le déclencheur de nombreuses révoltes et révolutions. Comme ce fut le cas lors de Mai 68 en France, du Cordobazo en Argentine, ou de la chute de la dictature du Général Pérez Jiménez ici au Venezuela. La jeunesse ne peut se sentir enthousiasmée par le discours de jeunes qui invitent à défendre le gouvernement, qui invitent à défendre la loi, à défendre la police.

Quelle est la position de la Jeunesse de Marea Socialista, afin de ne pas tomber dans les revendications de la droite mais sans non plus jouer le jeu de la bureaucratie ?

La Jeunesse de Marea Socialista est née justement de cette caractérisation : les différents mouvements étudiants au sein du processus ont fortement diminué. Beaucoup d'organisations nées avec la révolution n'ont fait que limiter la jeunesse, elles empêchent la participation constante de leurs membres, elles imposent la ligne politique. Et finalement ce sont des organisations qui servent à la négociation de postes et de privilèges pour les dirigeants étudiants et qui n'aident pas à approfondir le processus.

Cela a permis à Marea Socialista de mettre le débat sur la table et de formuler une proposition : organiser une jeunesse autonome qui ne dépende, au niveau de sa ligne politique, d'aucune institution de l'État; une jeunesse internationaliste qui comprenne que le socialisme n'est pas possible dans un seul pays, qu'il est nécessaire de l'étendre, d'être solidaires et surtout de parier sur l'organisation des secteurs révolutionnaires dans d'autres pays. Nous voulons construire une jeunesse de classe qui comprenne son rôle en tant que mouvement étudiant et qui tente d’amplifier l'articulation avec le mouvement ouvrier.

Comment s'est construite la Jeunesse de Marea Socialista en interne, quelle a été son évolution?

Marea Socialista est avant tout un courant de travailleurs né avec la création du PSUV. Marea Socialista a développé son mouvement de jeunes depuis l'année dernière. Le fait que nous essayions de construire une jeunesse au niveau national est une avancée importante. Au départ nous n'étions actifs que sur Caracas, aujourd'hui nous essayons de nouer des contacts dans d'autres États et de lancer des campagnes nationales. Nous voulons créer une Jeunesse qui existe réellement, qui soit active dans les luttes et qui n'existe pas uniquement sur une liste.




Interview publiée dans la revue Inprecor de août/septembre 2010

mardi 29 juin 2010

Que vaut une vie à Caracas?

Graffiti représentant les barrios de Caracas. (Photo: Seb)

C'est le genre de chronique que l'on voudrait ne jamais avoir à écrire. L'année dernière je publiais un article sur l'insécurité à Caracas intitulé "La délinquance aura-t-elle la peau de la 'Révolution bolivarienne'?". Le reportage commençait avec le témoignage d'un chauffeur de taxi, Pastor. Samedi dernier il a perdu la vie, victime, lui aussi, de la délinquance.

«Pastor est chauffeur de taxi à Caracas. Il travaille la nuit pour éviter les embouteillages à l'entrée et à la sortie de la capitale. "Comme je vis un peu en dehors, je devrais me lever tous les jours à 4 h du matin pour pouvoir arriver à une heure décente dans le centre", commente-t-il. Mais la nuit le travail est plus risqué, alors il fonctionne presque exclusivement avec des clients connus: "Ils me passent un coup de fil et je vais les chercher là où ils sont. C'est plus sûr pour moi et aussi pour eux, on ne sait jamais sur qui on peut tomber".

Malgré sa prudence, Pastor a été victime d'un braquage il y a quelques mois, en conduisant un client dans un barrio (quartier défavorisé). "Deux motards nous ont braqué avec leur arme. Je n'ai pas résisté, j'ai préféré qu'ils partent avec la voiture et sortir de là vivant". L'incident en restera là et Pastor retrouvera même son véhicule quelques jours plus tard. Mais les histoires de vols à main armée ne se terminent pas toujours aussi bien. Entre 1999 et 2008, près de 22 000 personnes sont tombées sous les balles de la délinquance, rien qu'à Caracas (2 millions d'habitants). Au niveau national, un document du Corps d'investigations scientifiques, pénales et criminelles (CICPC), divulgué récemment dans la presse, avance le chiffre de 101 141 homicides en dix ans (pour 28 millions d'habitants)», expliquait l'article publié en mai 2009 (1).

Le weekend dernier, la chance de Pastor a tourné. Alors qu'il conduisait une cliente dans le quartier de Las Mercedes (pourtant reconnu comme quartier huppé, abritant entre autres l'ambassade de France) il a lui aussi fini par tomber sous le feu de la violence urbaine.

Au cours de ces années passées au Venezuela, il était devenu mon taxi de confiance. Je faisais moi aussi partie des ces "clients connus" avec lesquels il travaillait. Samedi dernier après une sortie cinéma, vers 23h30, je décidais de l'appeler pour rentrer à la maison. Mais c'est son collègue qui répondit au téléphone: "On a tué Pastor", me dit-il.

"On a tué Pastor". Quatre mots qui semblent, aujourd'hui encore, impossibles à combiner dans ma tête, comme si j'avais mal entendu, mal compris. Le drame venait d'arriver lorsque j'ai appelé. Après avoir bredouillé quelques questions, quelques plaintes, un long silence s'installa au téléphone. Le même silence, probablement, que celui qui s'installe tous les weekends à Caracas, chaque fois qu'une vie dérape sous les balles de la haine.

Pastor a perdu la vie pour une connerie. Un bête accrochage avec un passant. D'après le journal de ce lundi (2), la personne qui accompagnait le passant a sorti son arme et a tiré... dans le dos. Pastor est mort sur le coup. Le comble de la lâcheté. Le comble de la connerie. Le comble de l'ignorance. Sur la même page du journal, comme tous les jours, la violence et les morts font les gros titres: "Six morts lors d'une mutinerie dans la prison de Los Teques", "La délinquance en fait voir de toutes les couleurs dans les rues de Coche", "Attention aux paramilitaires", etc.

La mort préfère les pauvres

Le cas de Pastor est tragiquement banal, tragiquement courant. La guerre civile au Salvador, qui a duré 12 ans (dans un pays d'un peu moins de six millions d'habitants), a fait 75 000 victimes. La "Révolution bolivarienne", qui prétend être sur la voie du socialisme, a laissé mourir plus de 100 000 personnes en dix ans, en temps de paix, sans broncher. La violence n'est pas la même, évidemment. Celle du Salvador était politique; celle du Venezuela n'a pas de couleur, pas de nom, chacun peut y avoir droit. Pourtant la mort préfère les pauvres, les travailleurs qui comme Pastor risquent leur vie tous les jours pour ramener de quoi nourrir leur famille. "Les hommes jeunes, habitants de localités socioéconomiquement déprimées des grands centres urbains du pays", comme le mentionnait l'article de 2009. Les racines de la violence sont profondes, évidemment. Mais les réponses sont insuffisantes.

A 42 ans Pastor laisse derrière lui une femme et un bébé d'à peine sept mois. Qui leur assurera une vie digne et un avenir à présent? Le comble de la lâcheté ne vaut pas seulement pour celui qui appuie sur la gâchette, cela vaut aussi et surtout pour un État incapable de répondre à un appel criant de sa population. Cela vaut aussi pour un État incapable de protéger ses citoyens et, le cas échéant, de trouver et de punir les coupables. Cela vaut aussi pour une classe dirigeante de plus en plus concentrée sur la politique politicienne et de moins en moins sur les réalités du pays.

Les riches de toujours comme les nouveaux riches (cette "bolibourgeoisie", caste bureaucratique qui s'enrichit grâce à ses postes de pouvoir) ont beaucoup moins à s'inquiéter de la violence. Comme dans la plupart des capitales d'Amérique latine, les maisons des quartiers huppés sont entourées de hauts murs et de systèmes de surveillance. Les hauts fonctionnaires ont accès aux cliniques privées et leurs enfants étudient dans les meilleurs écoles, privées elles aussi. Au Venezuela, beaucoup d'entre eux prêchent le socialisme le jour et vivent comme des oligarques le reste du temps. Par hasard, il y a quelques jours lors d'une conversation avec une connaissance, celle-ci me commentait que les enfants de plusieurs hauts fonctionnaires "bolivariens" étudiaient au Lycée français de Caracas. Comme quoi ces gens ne croient pas une seule seconde aux politiques qu'ils contribuent aux-mêmes à implanter.

J'avais vu Pastor à peine trois jours avant sa mort. Il se plaignait de voir les autobus des équipes de softball (3) escortés par la Garde nationale, alors que les habitants de Caracas sont soumis au couvre-feu de la délinquance et au manque criant d'effectifs de police dans les rues. Ironie du sort, il en sera lui-même victime trois jours plus tard.

"La délinquance aura-t-elle la peau de la révolution bolivarienne?", était la question que posait l'article publié en 2009 dans le quotidien Le Courrier. Aujourd'hui pour y répondre, comme je l'avais alors fait avec Pastor, je me contenterai de citer une autre personne rencontrée dans les rues de Caracas. Il s'agit du vendeur du kiosque à journaux en bas de chez moi, dont je ne connais pas le nom mais qui résume bien le sentiment qui prévaut dans les quartiers populaires: "Moi je suis chaviste mais , vraiment, le Comandante et le gouvernement ne font rien pour améliorer la situation".

Notes:

(1) "La délinquance aura-t-elle la peau de la 'Révolution bolivarienne'?", Le Courrier, 26 mai 2009.

(2) "Transeúnte furioso mató a un taxista de un tiro", Últimas Noticias, 28 juin 2010.

(3) Le Venezuela accueille actuellement le XII ème Championnat mondial de Softball féminin.

mardi 1 juin 2010

TeleSUR exige la libération immédiate de son correspondant

Communiqué de TeleSUR



(Video de David Segarra et Guarataro.films)

TeleSUR exige, de la manière la plus énergique, la libération immédiate de son correspondant David Segarra, qui a été emprisonné après l'attaque et la massacre de l'armée israélienne à une flotte d'aide humanitaire destinée aux Palestins de la bande de Gaza.


Nous exhortons les autorités, autant les militaires que les civiles, à respecter son intégrité physique et à garantir ses droits.


Avec d'autres collègues, David Segarra accompagnait la flotte comme journaliste. Ses rapports durant les jours préalables ont démontré le caractère pacifique de la mission.


Nous faisons un appel au respect du libre exercice journalistique partant des principes de véracité et de liberté d'expression.


TeleSUR / à Caracas, le 31 mai 2010


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Voir le blog de David Sedarra : http://davidsegarrasoler.blogspot.com/

dimanche 31 janvier 2010

Hugo Chávez tente de "freiner l'avalanche des importations"

Le Venezuela poursuit toujours sont "vieux rêve"
de devenir une économie non dépendante. (Photo: Seb)

Pour atténuer la dépendance pétrolière, Caracas dévalue sa monnaie. Si la flambée spéculative est contrée, l'inflation devrait quand même s'accentuer.

Le 8 janvier dernier le président vénézuélien Hugo Chavez annonçait une dévaluation de la devise nationale. Le bolivar, qui s'échangeait jusque-là à un taux de 2,15 pour un dollar, est désormais soumis à un double taux de change. Les secteurs jugés prioritaires bénéficient d'un rapport de 2,60 bolivars/dollar, c'est le cas principalement des produits liés à la santé, à l'alimentation, aux importations du secteur public, aux équipements, etc. Pour les secteurs jugés "non-indispensables", le dollar s'échange maintenant contre 4,30 bolivars. Ce taux s'applique à tout le reste de l'économie (automobile, commerce, télécommunications, construction, textile, services, boissons, etc.).

Plutôt que de dévaluation, le gouvernement bolivarien préfère parler officiellement de "réévaluation" ou d'"ajustement" du bolivar. D'ailleurs, selon le président Hugo Chávez, cette mesure n'a pas été prise pour "faire face à une crise fiscale, ni afin de payer la dette interne ou externe", mais en vue de "freiner l'avalanche d'importations". De fait, le Venezuela dépend par exemple à 70% de l'étranger pour ses denrées alimentaires. "Avec un dollar 'bon marché', les entreprises se sont concentrées sur les importations et ont abandonné la production interne", soutient Hugo Chávez.

Un dollar subventionné


Au dire de l'économiste Victor Alvarez, ancien ministre des Industries de base et des Mines, la surévaluation du bolivar, maintenue en place jusqu'à présent par le contrôle des changes, avait rendu nécessaire la dévaluation. "Cette mesure d'adaptation du taux de change a d'ailleurs été longuement reportée, elle aurait dû être appliquée à peine détectés les premiers signes de surévaluation", estime-t-il.


Par surévaluation, on entend le fait que le pouvoir d'achat du bolivar soit plus important sur les marchés internationaux que sur le marché local. "Et cela est dû à une inflation au Venezuela supérieure à celle qu'on retrouve dans les autres pays et notamment chez nos principaux partenaires commerciaux", explique M. Alvarez.

Le taux de change fixe, contrôlé par l'Etat depuis 2003 et maintenu à 2,15 depuis 2005, soutenait en fait le bolivar à un taux irréel et constituait dans la pratique un subside aux importations. "Alors que le Venezuela a systématiquement critiqué, au sein des institutions internationales comme l'OMC, les subventions accordées par les Etats-Unis et l'Union européenne à leurs exportations (notamment dans le domaine de l'agriculture), cette surévaluation du bolivar constituait en fait une contradiction terrible de la part du gouvernement", ajoute l'ancien président de la Banque de commerce extérieur.

Une situation paradoxale, qui a énormément affecté l'appareil productif que le gouvernement de Hugo Chávez prétend pourtant développer afin de contrer la dépendance historique au pétrole.

Face à la volonté affichée par l'exécutif, beaucoup s'interrogent néanmoins sur la capacité de l'industrie vénézuélienne à exporter alors qu'elle peine bien souvent à couvrir le marché national. "Les entreprises mises en difficulté par le contrôle des changes et la surévaluation de la monnaie ne refleuriront pas d'un jour à l'autre, elles ne se transformeront pas tout à coup en entreprises efficaces. Les entreprises vénézuéliennes sont structurellement inefficaces, elles disposent d'un niveau technologique très faible et ne font pas d'économies d'échelle. Il sera donc très difficile d'être compétitifs sur le marché mondial", analyse pour sa part l'économiste Manuel Sutherland, de l'Association latino-américaine d'économie politique marxiste (ALEM).

Spectre de l'inflation


Pour l'instant, la principale appréhension de la population et des analystes est que cette dévaluation contribue à augmenter une inflation qui se situe déjà autour des 25% par an. Au lendemain de l'annonce de la mesure, plusieurs magasins d'électroménager ont été pris d'assaut par des consommateurs inquiets d'une possible flambée des prix des produits importés. Mais la situation étant restée sous contrôle, les faits ne se sont pas étendus.

"Le gouvernement parle de 'freiner les importations non-nécessaires'. Mais ces importations ne vont pas diminuer, elles vont simplement devenir plus chères", avertit toutefois M. Sutherland. L'économiste estime en outre "tout à fait arbitraire" la différence établie entre les biens dits "nécessaires" et les autres. "Des chaussures, des vêtements, un téléphone sont des biens nécessaires pour la population mais tout cela va devenir plus cher et cette situation va appauvrir les travailleurs", argumente-t-il.

Expropriations

Relancer efficacement l'appareil productif prendra donc du temps. Dans l'immédiat, le gouvernement a lancé une importante campagne de sensibilisation et de contrôle pour lutter contre la spéculation et contre ce qu'il considère comme une augmentation abusive des prix; appelant même les consommateurs à dénoncer les abus et menaçant d'expropriation les commerces soupçonnés de spéculer. Le 20 janvier, Hugo Chávez a d'ailleurs joint la parole aux actes en signant le décret d'expropriation des hypermarchés Exito, détenus majoritairement par le groupe français Casino et accusés d'irrégularités
.

Afin d'atténuer au maximum les effets de la dévaluation, le gouvernement a annoncé deux mesures complémentaires principales. La première est l'augmentation du salaire minimum de 25% entre mars et septembre. La seconde consiste en des émissions de bons par la Banque centrale (pour 140 millions de dollars jusqu'à présent) afin de fournir des devises au taux régulé aux entreprises et personnes physiques et ainsi les dissuader d'avoir recours au marché noir plus élevé et considéré comme l'un des facteurs favorisant l'inflation.

Investir le surplus fiscal


D'après Victor Alvarez, ces mesures sont nécessaires mais pas suffisantes. L'économiste pense qu'il faudrait renforcer et compléter l'ajustement du taux de change par un ensemble de mesures macro et microéconomiques, comme par exemple s'assurer que l'augmentation des rentrées fiscales de l'Etat (due à la vente de dollars à un prix plus élevé) soit réinvestie dans l'amélioration des infrastructures productives et pas seulement dans les dépenses courantes: "Ces sommes additionnelles doivent être investies dans la réactivation de l'agriculture, de l'industrie, afin de créer des emplois productifs et de pouvoir, enfin, réaliser ce vieux rêve vénézuélien de transformer l'économie rentière en une économie productive exportatrice".



Electricité rationnée

Cette pénurie d'électricité risque d'affecter l'économie: les entreprises de base ont aussi dû réduire fortement leur production. (Photo: Seb)

"Si on ne fait rien, on risque de voir s'effondrer le système électrique national." Cette déclaration du président de la Fédération des travailleurs du secteur électrique, Angel Navas, date d'octobre 2009. A l'époque, les travailleurs dénonçaient le manque de planification et la mauvaise gestion de la Corporation électrique nationale (Corpoelec). Aujourd'hui, l'entreprise publique est contrainte de lancer un plan de rationnement dans tout le pays et le système risque effectivement de s'effondrer à la mi-avril si des mesures drastiques ne sont pas prises pour diminuer la demande de 1600 mégawatts (MW).

Aux manquements dénoncés par les travailleurs est venue s'ajouter une année 2009 particulièrement sèche. Dans un pays qui dépend à 70% de la génération hydroélectrique, la combinaison des deux facteurs devient explosive. D'après la direction du barrage du Guri, dont dépend la majeure partie de la production hydroélectrique, atteindre le niveau critique impliquerait l'arrêt de huit turbines. Ce qui signifierait la perte de 5000 MW, c'est-à-dire l'équivalent de deux Caracas et demie sans électricité.

Les "mesures drastiques" ont déjà commencé. Le gouvernement a réduit les horaires des fonctionnaires de l'administration qui ne travaillent désormais plus que de 8 h à 13 h, et ce pour une période prévue de 150 jours. Par ailleurs, cette pénurie d'électricité risque d'affecter l'économie: les entreprises de base (sidérurgies, métallurgies, briqueteries, etc.) ont aussi dû réduire fortement leur production. Pour y pallier, le président Hugo Chávez a annoncé un investissement de 200 millions de dollars dans l'achat à l'entreprise russe Gazprom de quatre stations électriques.

Finalement, un plan de rationnement à Caracas a été suspendu en moins de 24 h pour avoir été "mal exécuté". Cette mauvaise manoeuvre a coûté son poste au récemment nommé ministre de l'Energie électrique, Angel Rodríguez.



Articles publiés dans le quotidien suisse Le Courrier le 26 janvier 2010

lundi 11 janvier 2010

L'UNT tente de se positionner comme une centrale syndicale indépendante


Plus de 800 travailleurs se sont réunis à Caracas pour participer au Congrès de l'UNT
(Photo: Fernando Esteban)


Le 5 décembre dernier, plus de 800 travailleurs provenant de différents secteurs et régions du Venezuela se sont réunis à Caracas pour participer au premier Congrès extraordinaire de l'Union nationale des Travailleurs (UNT). L'objectif: mettre sur pied une véritable centrale syndicale indépendante capable de peser sur l'orientation du processus bolivarien, dont beaucoup considèrent aujourd'hui qu'il traverse son époque la plus critique.


C'était en quelque sorte le congrès de la dernière chance. Plus de six ans après sa création, l'UNT reste jusqu'à présent une centrale qui existe surtout dans les esprits mais de manière très floue dans la réalité. Revendiquant près d'un million de membres, elle est cependant peu présente sur la scène nationale et ses divisions l'avaient jusque là empêchée de mener à bien tout processus d'élections internes. "Ce fut d'une certaine manière un congrès miraculeux", commentait l'un de ses membres quelques jours après la réunion de Caracas.


L'esprit et le discours étaient en tout cas à l'unité et au travail en commun, un peu comme si la gravité de la situation appelait à réagir et vite. "Ce congrès se réalise à un moment crucial pour notre pays et pour l'ensemble du continent", affirmait l'un des documents discutés par l'assemblée. Cependant les travailleurs connaissent leurs faiblesses: "La classe ouvrière se présente affaiblie face à la conjoncture; elle n'est pas unie en tant que classe pour affronter les batailles à venir. Elle n'a pas réussi a optimiser sa conscience de classe et l'idéologie dominante maintient le contrôle sur la conscience ouvrière et populaire, répandant son discours de 'validité perpétuelle' de l'ordre établi".


Dans la pratique, le congrès s'est fixé un nouveau rendez-vous le 20 février 2010. L'assemblée a, entre autres, élu une équipe de travail provisoire qui sera active jusqu'au 15 juin au plus tard. Cette équipe est actuellement chargée de la restructuration interne de la centrale et de la préparation de la seconde rencontre nationale qui abordera deux points fondamentaux: mettre sur pied le processus électoral interne et réformer les statuts. En effet, une commission électorale a également été désignée par l'assemblée afin de préparer les élections qui devront se tenir dans les prochains mois, avec le 15 juin comme date butoir.


Pas que des amis

Évidemment, une telle initiative indépendante, de classe et ouvertement anti-bureaucratique, ne se fera pas que des amis au sein du gouvernement bolivarien. Les médias officiels ont d'ailleurs très peu relayé l'information dans les jours suivants. Mais les travailleurs en étaient conscients bien avant la rencontre: "Bien entendu nous recevrons des critiques, nous nous exposerons à nos ennemis traditionnels que sont l'impérialisme et l'oligarchie mais les ennemis internes nous attaqueront aussi, la bureaucratie et la technocratie qui profitent de leurs postes dans le gouvernement et qui causent tant de mal au processus révolutionnaire. De leur part, nous n'espérons que du mépris et des coups-bas".

Mais les critiques doivent aussi se faire en interne, l'UNT a perdu un temps précieux ces dernières années entre divisions et laisser-aller. Un travail de formation idéologique profond devient urgent, aussi bien dans les entreprises privées que dans le secteur public. Dans ce dernier, la bataille de la production est loin d'être gagnée. Bien souvent, les usines "nationalisées" (rachetée par l'État à des prix plus que satisfaisants pour les capitalistes) connaissent une importante baisse de la production, parfois due à l'inefficacité de la gestion, parfois au manque de clarté politique des travailleurs. Dans certains cas, "les travailleurs se la coulent douce, ils prennent de faux congés maladie, ils pensent que l'État va tout résoudre", commentait récemment une source impliquée dans le secteur syndical.


Finalement, l'assemblée de l'UNT s'est prononcée en faveur d'une centrale de lutte de classes, qui rompt avec les pratiques syndicales clientélistes habituelles, et totalement indépendante tant de l'État que du parti majoritaire, le PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela). Quoi qu'il en soit, 2010 sera plus que jamais une année clé pour le processus bolivarien et les militants de l'UNT ne pourraient être plus clairs sur ce point: "La situation est aujourd'hui entre nos mains, soit la révolution bolivarienne devient une référence historique, soit elle succombera et deviendra une caricature de révolution".



Article publié sur le site de La Gauche le 10 janvier 2010

Le discret retour des Etats-Unis au Panama

Le redéploiement étasunien en Amérique latine ne passe pas que par la Colombie. Onze nouvelles bases sont planifiées au Panama, petit pays habitué aux interventions de Washington.

Le canal de Panama, aujourd'hui sous administration panaméenne (Photo: Seb)

Ce samedi 9 janvier, le Panama commémorait comme chaque année le "Jour des Martyres", en souvenir de ce 9 janvier 1964 où quelque deux cents étudiants essayèrent de hisser le drapeau panaméen dans la zone du canal, alors sous administration étasunienne. La répression qui s'en suivit laissa un bilan de vingt-et-un morts et plus de quatre cents blessés. Durant les 9, 10 et 11 janvier, l'armée étasunienne occupa différentes voies de communication dans la capitale ainsi que dans la ville de Colon, où s'étaient étendues les manifestations.

Fait inédit dans l'histoire de ce pays qui a toujours vécu sous la tutelle de son voisin du nord, le gouvernement de l'époque décida de rompre les relations diplomatiques avec Washington, en signe de protestation face à la réaction disproportionnée de l'armée US.

Cet incident est aussi considéré comme le détonateur d'une série de négociations qui aboutiront à la signature des accords Torrijos-Carter en 1977, fixant le 31 décembre 1999 comme date limite pour le retour de l'ensemble des installations du canal en mains panaméennes, ainsi que la fermeture des bases militaires américaines dans la zone.


Le retour de la IVe Flotte


Dix ans après le départ des Marines, la situation régionale a changé. Embourbés en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis ont durant quelques années délaissé ce qu'ils considèrent, depuis la doctrine Monroe, comme leur "arrière-cour". Et l'émergence de gouvernements progressistes non-alignés à ses politiques a obligé Washington à réorganiser son jeu.


C'est Georges W. Bush qui avait commencé à inverser la vapeur en juillet 2008, en réactivant la IVe Flotte destinée à patrouiller dans les eaux du continent et des Caraïbes sous la double tutelle de la Marine et du commandement Sud de l'armée. Basée en Floride, cette flotte avait été créée pendant la Seconde Guerre mondiale pour protéger le trafic dans l'Atlantique Sud et dissoute en 1950.
Plus récemment, le président étasunien et Prix Nobel de la paix, Barack Obama, a obtenu du gouvernement colombien l'autorisation d'utiliser sept bases militaires sur son territoire.

Mais les Etats-Unis n'avaient pas complètement abandonné l'Amérique du Sud ces dix dernières années. Depuis 2000, ils ont apporté plus de 5,5 milliards de dollars à Bogota à travers le Plan Colombie, officiellement pour lutter contre le trafic de drogue et les groupes insurgés. Le pays est ainsi devenu le premier bénéficiaire d'aide militaire étasunienne du continent et le troisième du monde.


En septembre dernier, suite à une rencontre à Washington entre la secrétaire d'Etat Hillary Clinton et le président Ricardo Martinelli, le gouvernement panaméen annonçait la signature d'un accord de coopération avec les Etats-Unis en vue de l'installation de deux bases navales en territoire panaméen. Ceci afin de renforcer la lutte contre le trafic de drogue grâce à des "opérations d'intelligence et des patrouilles maritimes appuyées de radars", comme l'indiquait le journal local
La Prensa.

Cependant, quelques jours plus tard, les autorités panaméennes démentaient toute participation active des Etats-Unis dans l'opération des bases, qui étaient passées au nombre de quatre et ensuite de onze. "Il s'agit de stations aéronavales nettement panaméennes. Et il n'y en aura pas quatre mais bien onze au total", déclarait le ministre de Gouvernement et Justice José Raúl Mulino, lors de l'inauguration de la première base le 2 décembre dernier, sur l'archipel de Las Perlas dans l'océan Pacifique.


Bases militaires... sans armée

Mais au Panama, les déclarations officielles ne convainquent pas tout le monde. Les organisations sociales, les syndicats et certains intellectuels dénoncent que ces bases fonctionneront forcément en collaboration avec les Etats-Unis, d'autant plus que le Panama ne dispose pas d'armée et n'en a pas été doté durant la majeure partie de son histoire.

"Comment allons-nous maintenir ces bases en activité alors que nous n'avons même pas de marine de guerre? Notre pays est en train d'aller au-delà de la défense de sa propre souveraineté et de la lutte anti-drogue", estime Julio Yao, professeur de relations internationales à l'université de Panama et ex-assesseur du général Omar Torrijos lors des négations des accords de 1977.

D'après M. Yao, ces nouvelles installations sont clairement liées aux sept bases militaires dont disposeront les Etats-Unis en Colombie et qui leur permettront de contrôler toute l'Amérique du Sud. "Les gens se demandent si ces bases seront des bases étasuniennes et si elles vont être utilisées pour autre chose que pour lutter contre le trafic de drogue. Mais d'après l'expérience que nous avons ici au Panama avec ce genre d'installations, on peut facilement en déduire qu'elles seront utilisées pour d'autres objectifs", ajoute-t-il.

Alignement politique


Depuis son élection en mai dernier, le président panaméen Ricardo Martinelli s'est positionné comme l'un des plus fidèles alliés de Washington dans la région et a renforcé les liens de son pays avec les chefs d'Etats conservateurs de Colombie et du Mexique, Alvaro Uribe et Felipe Calderon.

"M. Martinelli a scellé le destin du Panama aux intérêts de la politique extérieure des Etats-Unis; il a rapproché davantage le pays du Plan Mérida (initiative étasunienne visant officiellement à contrôler le trafic de drogue et le crime organisé en Amérique centrale, ndlr) et nous a sortis du parlement centre-américain sans proposer aucune alternative concrète d'intégration régionale", ajoute-t-il.

Après avoir renversé la dictature du général Noriega le 20 décembre 1989, les Etats-Unis ont essayé à plusieurs reprises de convaincre les gouvernements suivants de ne pas suivre au pied de la lettre les échéances progressives des accords de 1977. "De ce point de vue là, ils avaient été contraints à l'échec durant un certain temps", assure le professeur Yao. "Ce n'est qu'avec le gouvernement de Mireya Moscoso (1999-2004) et la signature des accords Salas-Becker qu'ils ont de nouveau obtenu l'accès à notre espace aérien, terrestre et maritime".

Vingt ans après l'intervention militaire étasunienne dans ce petit pays d'Amérique centrale, les familles des victimes (dont le nombre n'est toujours pas connu avec précision) continuent de réclamer que la lumière soit faite sur les évènements de 1989. Mais le président actuel semble avoir d'autres priorités politiques à court terme. "M. Martinelli va permettre le retour militaire des Etats-Unis au Panama", professe déjà Julio Yao.




Article publié dans le quotidien suisse
Le Courrier le 09 janvier 2010


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