mercredi 25 novembre 2009

Le processus bolivarien face à lui-même

Graffiti lors d'une manifestation des travailleurs du secteur électrique:
"Dans le PSUV ce sont les bases qui décident".
Pour l'instant plus un combat qu'un acquis... (Photo: Seb)


Le 15 novembre dernier, les militants du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) étaient appelés à élire leurs délégués au Congrès extraordinaire qui se déroulera du 21 novembre au 19 avril 2010. Ce congrès arrive à un moment clé pour le parti mais aussi pour le processus bolivarien qui affronte de plus en plus les conséquences de sa bureaucratisation.

Près de 2,5 millions de militants du PSUV étaient appelés à élire 772 délégués parmi 1800 candidats et candidates, le tout supervisé par le Conseil national électoral (1). "Il n'y a aucun doute sur le fait que cela a été une grande journée démocratique", commente Gonzalo Gómez, militant du PSUV élu parmi les délégués pour l'arrondissement de Caracas.

Pourtant Gonzalo, comme de nombreux militants de base, aurait aimé voir une plus grande représentation de camarades liés aux travailleurs, aux paysans et à ce qu'on appelle ici "la révolution dans la révolution". C'est une demande qui se fait de plus en plus sentir dans le mouvement populaire face à l'inefficacité de la bureaucratie et, bien souvent, la corruption qu'elle entraîne.

"Les militants ont élu directement leurs représentants au congrès, cependant tous ces votes n'ont pas la même orientation. Il existe des différences politiques parmi les délégués, des différences sur les rythmes que doit suivre la révolution, des différences sur la relation entre le parti et l'Etat, etc.", explique Gonzalo, qui est également co-fondateur du site web d'information alternative Aporrea.org.

Il faut dire que jusqu'à présent, la relation parti-Etat n'a pas vraiment favorisé l'apparition de nouvelles figures politiques. En mai dernier le président vénézuelien Hugo Chávez, qui est aussi le président du PSUV, avait annoncé une réorganisation du parti en désignant les responsables des directions régionales. Résultat : la première vice-présidente du parti n'est autre que Cilia Flores, présidente de l'Assemblée nationale (Parlement). Et parmi les six responsables régionaux, quatre sont des ministres en fonction.

C'est donc là l'un des principaux défis de ce congrès, arriver à installer un rapport de force face à la bureaucratie. "Le parti représente encore énormément l'appareil d'Etat", reconnait Gonzalo. Mais l'organisation manque également de structures intermédiaires, entre les "patrouilles" (unités de bases réorganisées récemment et composées de 20 à 30 de militants) et les directions régionales, ce qui rend la tâche des cadres moyens plus difficile et ne facilite pas du tout la communication entre ces mêmes patrouilles.

Un congrès au tiroir?

En janvier 2008, le PSUV avait réalisé son congrès de fondation, qui devait jeter les bases de son fonctionnement démocratique. Cependant, beaucoup de questions restent toujours sans réponse à l'heure actuelle. Gonzalo Gómez estime que ce congrès de décembre sera le véritable congrès de fondation du parti. "Le congrès de 2008 n'a pas été mené à son terme. Les statuts et la déclaration de principes ont été approuvés, mais le parti et sa direction n'ont pas assimilé ces apports avec maturité. Nous étions en période préélectorale et cela a fait en sorte que ces propositions se retrouvent au tiroir", ajoute-t-il.

Le fonctionnement du parti sera donc à l'ordre du jour mais les militants demandent aussi une définition claire du projet socialiste. La participation des travailleurs dans la gestion des entreprises, la nécessité de rompre les structures de l'Etat bourgeois et d'avancer vers un véritable pouvoir populaire seront également mis sur la table par certains délégués. "Les propositions des mouvements sociaux doivent parvenir au parti, les travailleurs doivent eux aussi avoir une plus grande place dans la direction et passer des revendications syndicales aux revendications politiques. Il y a des pas qui sont fait dans ce sens", précise Gonzalo.

Finalement, les failles internes du PSUV ne sont que le reflet des freins qui pèsent sur le processus en cours au Venezuela. Enquilosé par la bureaucratie, il a encore l'opportunité d'avancer mais doit agir vite. L'ex-vice président de la République, José Vicente Rangel, alertait récemment dans un article publié dans la presse locale sur "le pessimisme qui avance dangereusement". Le titre de son article: "Quelque chose est en train de se passer"...

Note:

(1) Au Venezuela le "pouvoir électoral" constitue un pouvoir à part entière, en plus de l'Exécutif, du Législatif, du Judiciaire et du pouvoir citoyen. Le Conseil national électoral (CNE) est chargé d'organiser non seulement les élections classiques mais également les élections internes des organisations syndicales et politiques. Parmi ces dernières, le PSUV est la seule jusqu'à présent à avoir rempli cette exigence démocratique pourtant reconnue dans la Constitution.

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Article à paraître dans le prochain numéro de La Gauche et repris sur le site du NPA

mardi 24 novembre 2009

Le projet d’Hugo Chávez se heurte au mur de la bureaucratie

La crise électrique révèle les difficultés du gouvernement à faire bouger son administration, jugée tour à tour monolithique ou incohérente.

"Nous avons commis des erreurs: des projets mal exécutés, des délais mal calculés, des failles dans la planification, dans la maintenance..." Fin octobre, le président vénézuélien Hugo Chávez mettait le doigt sur les problèmes du secteur électrique, l'un des domaines stratégiques au centre de la critique ces derniers mois. Malgré les investissements faramineux (5 milliards de dollars entre 2008 et 2009; et 20 milliards prévus pour les cinq prochaines années), les coupures de courant sont fréquentes dans le pays et la Corporation électrique nationale (Corpoelec) est contrainte de rationner dans certaines régions.

D'après Angel Navas, président de la Fédération des travailleurs du secteur électrique, cette contradiction entre investissements massifs et inefficacité n'est pas uniquement propre à ce secteur. "Cela se passe dans de nombreuses institutions et entreprises de l'Etat où la bureaucratie maquille les faits, ment et dissimule les problèmes afin de maintenir ses positions et ses privilèges", explique-t-il.

Contrôle social


Le sujet est d'autant plus sensible que des secteurs primordiaux sont touchés, tels que la santé (lire ci-dessous), la justice, la sécurité, la production alimentaire, le fonctionnement des institutions et affecte même le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, présidé par M. Chávez), dont le premier congrès extraordinaire, qui doit se dérouler du 21 novembre au 13 décembre (1), est déjà perçu par la base comme un moment décisif dans la définition non seulement du parti lui-même mais aussi du processus politique en cours.

Dans le secteur électrique, il aura fallu la mobilisation des travailleurs eux-mêmes pour mettre enfin le thème à l'agenda et ouvrir des négociations. Les problèmes du réseau ont pris une telle ampleur que le 21 octobre Hugo Chávez a décrété la création d'un ministère exclusivement dédié à l'énergie électrique (cette matière était jusque-là compétence du ministère de l'énergie et pétrole). En outre, une "commission stratégique" a été instituée, histoire de faire la lumière sur la gestion de Corpoelec, dont le directeur vient d'être remercié.

Reste à savoir si un nouveau ministère pourra résoudre les problèmes créés par un autre ministère. Apparemment conscient des limites de la mesure, le président vénézuélien a fait un pas en direction des revendications des travailleurs et "donné des instructions" pour qu'ils soient incorporés directement à la gestion de l'entreprise électrique nationale. "Ils et elles seront les principaux artisans de la relance dont nous avons besoin", a-t-il assuré.


L'esprit des missions


L'idée de la participation active de la population et des travailleurs dans la prise de décision n'est pas neuve, elle est même omniprésente dans le discours officiel. Cependant, dans les faits, les expériences ont jusqu'à présent démontré toutes les difficultés de la mettre en pratique au sein des structures actuelles de l'État. Les fonctionnaires détenant un certain pouvoir ne sont évidemment pas pressés de le perdre. Face à cela, le manque d'organisation des travailleurs et d'articulation politique populaire au niveau national se fait cruellement sentir.


Pour Roland Denis, vice-ministre de Planification et du développement entre 2002 et 2003 et critique de gauche de l'action gouvernementale, la politique participative bien que toujours présente est de plus en plus contrecarrée par ce qu'il défini comme "la machine bureaucratique, oligarchique et économique".


D'après lui, le meilleure exemple des effets de ce frein bureaucratique sont les missions sociales impulsées par le gouvernement. "Les missions ont été conçues entre 2002 et 2003 comme la naissance d'un nouvel ordre d'État, d'un nouveau pouvoir complètement étranger à la logique bureaucratique. Les militants sociaux s'y sont incorporés massivement. Mais l'énorme capacité financière de l'État ces dernières années lui a donné énormément de pouvoir pour coopter le travail militant. Les missions ont perdu leur vision d'autonomie et de rupture avec la bureaucratie, elles se sont institutionnalisées. En général, on peut dire qu'une bureaucratie politique a capturé le langage, le programme et l'imagerie d'espoir qui s'était développée (dans les luttes) dans les années 1980 et 1990 dans ce pays", analyse-t-il.


Redresser la barre


C'est dans ce contexte que se profilent déjà à l'horizon les élections législatives de fin 2010. Pour les plus critiques, la bataille promet d'être serrée et constituera probablement un moment clé pour le gouvernement de Hugo Chávez et pour le mouvement populaire. Quel que soit le résultat, l'opposition a tout à y gagner, étant donné qu'elle ne compte pratiquement aucune représentation à l'Assemblée nationale actuelle (pour avoir boycotté les législatives de 2005).


Enfin, après le PSUV, c'est l'Union nationale des Travailleurs (UNT) qui devrait tenir son congrès en cette fin d'année pour tenter de surmonter les divisions et de créer une véritable organisation syndicale progressiste autonome capable de peser dans les revendications et d'affronter la bureaucratie. Le processus de changements sociaux réalisables dans le cadre de l'État bourgeois aurait-il atteint ses limites?


Note:

(1) Le congrès extraordinaire du PSUV a commencé le samedi 21 novembre et devrait s'étendre jusqu'au premier trimestre 2010.



Un système de santé atteint de "contradiction idéologique"

"Le gouvernement investi dans la santé comme aucun gouvernement ne l'avait fait auparavant. Mais malgré les dépenses considérables les réponses sont insatisfaisantes" (Photo: Seb)

L'extension du système de santé
aux couches les plus pauvres de la population a été l'un des premiers et des plus importants défis qu'a assumé le gouvernement bolivarien. Selon l'Institut national de statistiques (INE), plus de 8 millions de personnes profitent aujourd'hui de la mission d'attention médicale Barrio Adentro et le Venezuela destine actuellement environ 9% de son PIB à la santé (contre 2,3% en 1998).


Pourtant ici aussi les problèmes se font sentir: manque de personnel qualifié, de places disponibles, de matériel, de coordination entre les différents réseaux, projets paralysés ou inaugurés à la va-vite, etc. Pour y pallier, le 8 octobre dernier le président Chávez a annoncé l'incorporation de 1000 nouveaux médecins cubains au programme Barrio Adentro, dont 220 étaient déjà arrivés la veille à Caracas.


Mais d'après Luisana Melo, médecin membre du Mouvement socialiste pour la qualité de vie et la santé (Moscavis), les dernières mesures prises par le gouvernement ne sont pas suffisantes pour résoudre le problème structurel. Elle estime que l'obstacle fondamental est le manque d'un véritable système national de santé publique capable de coordonner et de planifier ses propres politiques.
"Nous avons actuellement une quantité impressionnante de sous-systèmes et de régimes de prestations de santé. Barrio Adentro en fait partie mais n'est qu'un sous-système de plus, parallèle à tous ceux que nous comptons déjà".

Il existe en effet de nombreux réseaux: celui du ministère de la Santé, de l'Institut vénézuélien de sécurités sociales (IVSS), chaque mairie dispose de son propre système, de même que chaque Etat régional, sans parler des cliniques privées et autres. "Cela a constitué l'un des principaux inconvénients pour la construction et le fonctionnement adéquat d'un système publique national de santé", insiste-t-elle.

Par ailleurs, l'État central contribue paradoxalement à financer les institutions de santé privées via les assurances privées HCM (Hospitalisation, Chirurgie et Maternité) dont jouissent les employés du secteur public. "De l'argent public qui va directement dans les caisses du système privé", juge Mme Melo, qui estime que cette "énorme contradiction idéologique" ne garanti même pas le droit à la santé des fonctionnaires de l'État.
"Aujourd'hui le gouvernement investi dans la santé comme aucun gouvernement ne l'avait fait auparavant. Mais étant donné que chaque investissement se fait de façon isolée, les résultats se traduisent au jour le jour par des dépenses considérables et des réponses insatisfaisantes", ajoute-t-elle. En plus de cela, elle estime que ce modèle de financement segmenté contribue à reproduire le germe de la corruption.

Selon le Dr Melo, "L'État
doit approfondir les avancées obtenues jusqu'à présent en matière de santé et respecter ce qui est établi dans la constitution, envers laquelle il a une dette de dix ans déjà qui comprend la promulgation d'une loi de la santé, basée sur les principes de gratuité, d'équité et d'universalité".



Articles publiés dans le quotidien suisse Le Courrier le 14 novembre 2009

samedi 5 septembre 2009

Washington amplifie sa présence militaire en Amérique latine


Des militaires vénézuéliens montent la garde le 13 avril 2002.
(Image issue du reportage de Guarataro.films, "Un golpe y una carta")


Face à la montée de l’unité latino-américaine et au développement de blocs régionaux comme le sont l’ALBA (Alternative bolivarienne pour l’Amérique), PetroCaribe (accords pétroliers et sociaux), la Banque du Sud ou encore la Unasur (Union des Nations sudaméricaines) ; les Etats-Unis tentent de reprendre la main dans la région en augmentant drastiquement leur présence militaire.

Le gouvernement d'Alvaro Uribe a annoncé récemment son intention d’autoriser les Etats-Unis à utiliser sept bases militaires en territoire colombien, officiellement pour combattre le trafic de drogue et les groupes insurgés. De cette façon, Washington s’offre en fait une porte d’entrée sur tout le continent et ses ressources naturelles, parmi lesquelles l’Amazonie. La Colombie dispose en effet de cinq frontières (avec le Panama, le Venezuela, le Brésil, le Pérou et l'Equateur) et d’un accès à deux océans (Pacifique et Atlantique par la mer des Caraïbes).

Jusqu’à présent la politique de Washington avait consisté à surarmer la Colombie, son allié stratégique dans la région, et créer ainsi un déséquilibre militaire en faveur de celui-ci face à d’autres pays considérés comme des menaces potentielles. Stratégie bien connue et qui a fait ses preuves au Proche-Orient avec l’Etat d'Israël. Depuis 2000, les Etats-Unis ont apporté plus de 5,5 milliards de dollars à la Colombie à travers le Plan Colombia. Le pays est ainsi devenu le premier récepteur d’aide militaire étasunienne du continent et le troisième du monde.

Alors que les médias accusent fréquemment le Venezuela d’être le responsable d’une course aux armements en Amérique latine (notamment pour ses achats d’armes ou d’avions Sukhoi à la Russie), très peu se donnent la peine d’expliquer ce qui se passe en Colombie et quel budget y est dépensé en armement. Avec l’excuse de la "lutte contre le terrorisme" (dans ce cas-ci les FARC, l’ELN et les groupes paramilitaires d'extrême droite), les forces armées colombiennes sont en fait les mieux équipées du continent.

Alors que le Brésil, le plus grand pays du cône sud, consacre 1,5% de son PIB à la défense, la Colombie en consacre officiellement 3,8%. Et selon le journaliste uruguayen Raúl Zibechi, des études indépendantes estiment que les dépenses militaires de Bogota s’élèvent en réalité à 6,5% du PIB, bien au-dessus des dépenses des Etats-unis eux-mêmes en la matière.

De plus, la Colombie est aussi le pays qui destine la plus importante partie de son budget militaire à l’acquisition d’équipements, 25%. Alors que le Venezuela y destine dix fois moins, 2,3%. La Colombie dispose également de la plus grande armée du continent. Ses troupes sont passées de 86 000 effectifs en 1986 à 120 000 en 1994. Ce chiffre a ensuite doublé en à peine 15 ans avec le lancement du Plan Colombia, atteignant les 217 000 actuellement. Cependant, si on ajoute à cela la totalité des effectifs de défense, de sécurité et de police, on comptabilise 460 000 hommes. Face à cela, le Venezuela voisin ne pèse pas très lourd avec ses 63 000 hommes.

En plus des sept nouvelles bases dont ils disposeront très prochainement en Colombie, les Etats-Unis peuvent également compter sur leurs installations militaires dans les pays suivants : Honduras, El Salvador, Costa Rica, Pérou, Paraguay, ainsi que sur îles de Aruba, Curaçao, Puerto Rico et Cuba (Guantanamo). La fermeture de la base équatorienne de Manta (suite au refus du président Correa d’en renouveler le contrat) est donc plus que largement compensée.

Enfin, il est bon de rappeler qu’en juillet 2008 l’armée américaine avait réactivé sa Quatrième Flotte, chargée de patrouiller les mers du continent latino-américain. Cette flotte n’était plus active depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.



Article à paraître dans le prochain numéro du Drapeau Rouge.

lundi 24 août 2009

Le projet autogestionnaire reprend vie au fil des nationalisations

Beaucoup pensent que la plupart des problèmes pourraient se résoudre si l'entreprise était dirigée par les travailleurs eux-mêmes et non par la bureaucratie. (Photo: Seb)

Acier, ciment, électricité, banque: les nationalisations se multiplient au Venezuela. Les travailleurs, eux, en attendent davantage que l'amélioration de leurs conditions de travail, ils veulent avoir leur mot à dire.

En mai dernier l'Etat vénézuélien officialisait le rachat de la principale aciérie du pays, Sidérurgie de l'Orénoque (SIDOR), pour 1,97 milliard de dollars. Quelques jours plus tard, lors d'une rencontre avec les travailleurs de la région de Guayana (dans l'est du pays), le président Hugo Chávez annonçait la nationalisation de quatre entreprises du secteur briquetier (produisant des briquettes de minerai de fer, lire ci-dessous). Ces mesures prétendent réorganiser tout le secteur de la sidérurgie autour du "Plan Guayana socialiste 2019" avec la participation active des travailleurs.

Le premier pas avait été franchi le 9 avril 2008, avec l'annonce de la nationalisation de SIDOR après quinze mois de lutte des travailleurs contre le consortium argentin Techint (appartenant au groupe Ternium, basé au Luxembourg), qui refusait d'améliorer les conditions de travail lors de la négociation d'un nouveau contrat collectif. Les travailleurs luttaient pour leurs salaires, leurs retraites, ainsi que pour l'intégration des 9000 salariés sous-traitants. Ils avaient finalement réussi à imposer un rapport de force et à arracher une nationalisation au départ perçue comme un possible sujet de discorde entre le Venezuela et l'Argentine des Kirchner.

"Mieux à 200%!"

Un an après ces événements, beaucoup de choses ont changé à SIDOR. "Les bénéfices des travailleurs se sont améliorés de 200%. Avant, nous étions marginalisés, humiliés, sacrifiés par une multinationale qui nous volait notre vie, qui nous volait tout", commente José Eduardo, quelques minutes avant de prendre son tour de travail entre la poussière, le vacarme des machines et la chaleur exténuante des fours.

Sirio Velasquez, chef de bureau aux ressources humaines, précise qu'à l'époque de Techint, vu les conditions de travail, "il y avait une grande rotation des effectifs. Actuellement, il existe une volonté d'adapter les emplois à l'âge, à l'expérience et aux capacités de chaque travailleur". De fait, de nombreux partenaires privés ont décidé de ne plus travailler avec SIDOR après la nationalisation. "Le nombre d'entreprises sous-traitantes est passé de 630 à environ 300. Beaucoup ne voulaient pas travailler avec l'Etat, d'autres ont refusé de s'adapter au nouveau cahier des charges", explique-t-il.

Mais les conditions de travail n'ont pas été les seules à évoluer, les salaires aussi ont connu un changement significatif. Sirio indique qu'un ouvrier non qualifié débutant touchait sous Techint 800 bolivars (l'équivalent de 400 francs), soit le salaire minimum. Aujourd'hui, ce même ouvrier gagne 2600 bolivars. Et un ouvrier d'exhiber fièrement sa fiche de paie qui affiche, après vingt ans d'ancienneté, un salaire de 5800 bolivars. La nationalisation obtenue prend d'un coup un aspect plus concret.

Les travailleurs non titularisés ont pu, eux aussi, en vérifier les avantages. Peu à peu, les disparités entre ouvriers s'estompent. Quelque 1300 sous-traitants ont été régularisés, portant le nombre de "sidoristes" à 6200.

La proposition de Chávez

D'autres problématiques se font néanmoins jour. Il y a peu, les travailleurs de SIDOR paralysaient de nouveau leur usine pour réclamer des prestations sociales non payées. Ils protestaient aussi pour attirer l'attention sur les conditions de sécurité, un de leurs compagnons ayant perdu la vie dans l'explosion d'un four.

Par ailleurs, la production de l'entreprise est à la baisse depuis la transition. Et les bas prix de l'aluminium sur les marchés internationaux ne facilitent pas la tâche.

Plusieurs rencontres entre différents ministères et les travailleurs ont débouché sur la constitution de quatorze tables de travail, afin d'analyser les failles de chaque département ainsi que les priorités et les investissements nécessaires, conjointement avec la direction. Hugo Chávez avait mentionné en mai dernier la possibilité pour les ouvriers d'élire leur propre direction, en concertation avec lui. "Je suis d'accord pour qu'on commence à élaborer une loi afin de réguler cela" dans le but de "commencer la transition", avait-il annoncé.

Beaucoup pensent que la plupart des problèmes pourraient se résoudre si l'entreprise était dirigée par les travailleurs eux-mêmes et non par la bureaucratie. "Nous sommes obligés de dessiner une nouvelle voie qui n'est pas un capitalisme privé mais qui ne doit pas être non plus un capitalisme d'Etat", explique José Tatá, dirigeant du courant Alliance syndicale. "Que se soit l'Etat ou que se soit le privé, si nous n'obtenons pas la participation active des travailleurs sur la production, il n'y aura pas de véritables changements dans l'entreprise, ni dans le pays", assure-t-il.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 15 août 2009

Le contrôle ouvrier, remède à la bureaucratie?

Daniel Rodríguez, secrétaire général du syndicat de Matesi. (Photo : Seb)

Daniel Rodríguez est membre du collectif Marea Socialista et secrétaire général du syndicat de Matesi (Materiales Siderúrgicos), l'une des quatre briqueteries nationalisées. Le groupe argentin Techint avait acheté l'entreprise pour 120 millions de dollars en 2004 dans le but de contribuer, à terme, à augmenter la production de SIDOR.

Au moment de la nationalisation de cette dernière, les travailleurs de Matesi discutaient eux-aussi une convention collective. A peine trois mois après l'approbation de cette convention, l'entreprise privée décida de casser son engagement et de réduire le salaire des travailleurs de 45% (mais pas celui des employés administratifs), argumentant l'imminence d'une crise financière.

Comment avez-vous mené la lutte en faveur de la nationalisation?

Daniel Rodríguez: L'attaque sur les salaires a agi comme un détonateur et a mis en évidence le degré d'exploitation exercé par la multinationale. Cela nous a également renforcés dans notre travail politico-stratégique, avec une vision plus large incluant les quatre briqueteries. Au départ, Matesi n'était pas concernée directement par la nationalisation de SIDOR. Le groupe Techint en était le principal actionnaire mais nous étions repris comme une entité mercantile à part.

Lorsque la décision de nationaliser SIDOR a été prise, nous nous sommes rendu compte du projet qu'était en train d'impulser le président de la République: une nouvelle Corporation sidérurgique du Venezuela. Nous avons aussi réalisé à quel point nous représentions une branche importante dans le cycle de production du fer et de l'acier.

Avec le conflit salarial surgi chez Matesi, les directions des autres briqueteries s'étaient mises d'accord afin de générer le chaos (par des licenciements notamment), de mobiliser les travailleurs dans la rue et d'aller vers une grève du secteur. S'ils arrivaient à paralyser les quatre briqueteries, cela aurait provoqué des problèmes tant en amont (Ferrominera, l'entreprise minière) qu'en aval (SIDOR). Leur stratégie était de créer un mouvement de masse des travailleurs et de le rediriger contre le gouvernement. Mais cette stratégie a été avortée avec l'annonce du président de nationaliser les quatre entreprises.

Quel rôle ont joué les travailleurs dans cette décision?

La nationalisation de SIDOR a été pour nous un élan qui nous a permis de nous unir en tant que secteur industriel. Avant cela, malgré le travail qu'on avait mené au sein des briqueteries, les différences idéologiques entre les travailleurs ne permettaient pas de passer à l'offensive. Avec SIDOR, on a réalisé que c'était possible pour nous aussi et qu'il fallait pousser dans ce sens-là avec des propositions concrètes.

Etant donné qu'il existait un projet de réorganisation de la sidérurgie et que nous nous trouvions au milieu de la chaîne de production, nous avons proposé au président la nationalisation. Tout d'abord afin d'appuyer la conformation de cette nouvelle corporation sidérurgique mais aussi pour réduire les coûts de la matière première pour SIDOR et donc permettre une réduction des prix de vente au consommateur final.

Notre proposition est que tout ce que nous produisons serve à la communauté et à un prix économique. Nous voulons avancer vers la création d'un lien entre l'entreprise et la communauté, entre les travailleurs et la communauté. Tout cela bien entendu en impulsant le contrôle ouvrier. Il n'existe pas d'autre mécanisme pour diriger notre entreprise efficacement, surtout en cette période de crise. Il doit bien entendu avoir une définition concrète de ce qu'est le contrôle ouvrier et une loi qui lui donne un caractère légal, car il existe aussi de nombreux secteurs syndicaux qui s'y opposent.

Pensez-vous que le gouvernement ait la même définition que vous du contrôle ouvrier?

J'en doute (rires). Mais, même si c'est très compliqué, je pense que nous devons mener cette lutte, nous, les travailleurs. Avec de la conscience et de l'idéologie, nous pouvons y arriver. Il s'agit de contrôler les finances, de connaître le modèle productif, de connaître le destinataire, etc., de la mine d'où sort le minerai jusqu'à la vente du produit fini. Face à cela, il existe une bureaucratie au sein du gouvernement qui est en train de réagir. Cela s'est vu avec les briqueteries; la bourgeoisie et la bureaucratie d'Etat ont tout fait que pour que la nationalisation n'aboutisse pas. Ce que nous devons faire, c'est arriver à les contrer.

Que pensez-vous de la proposition d'Hugo Chávez que le choix de la direction de l'entreprise se fasse en concertation entre le président de la République et les travailleurs?

C'est un premier pas important. Mais avant de chercher à l'extérieur des personnes sans doute compétentes mais ne connaissant pas les problématiques de l'usine, il peut être judicieux de voir les talents qui pourraient émerger en interne. Et les travailleurs sont sans doute, de ce point de vue, les mieux placés pour les connaître.


Entretien publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 15 août 2009

samedi 18 juillet 2009

HONDURAS : "La population est désespérée face au silence des médias"

Depuis le coup d'Etat du 28 juin dernier et l'instauration d'un gouvernement de fait au Honduras, de nombreuses voix se sont élevées au sein du mouvement de solidarité pour dénoncer les agressions contre la presse indépendante et le silence des principaux médias locaux. Laviana Alarcon, journaliste et documentariste espagnole résidant au Venezuela, s'est rendue à Tegucigalpa pour y couvrir les événements. De retour à Caracas, elle nous livre ses impressions sur la situation des médias. Elle choisi de le faire en utilisant un pseudonyme car, affirme-t-elle, apparaître sous son vrai nom pourrait lui causer des problèmes pour entrer de nouveau au Honduras.

Quelle est la situation actuelle de la presse dans le pays?
Il y a clairement une persécution contre les journalistes. Les quelques radios qui essayaient d'informer sur la situation ont été fermées et occupées par les militaires, mais beaucoup réapparaissent en transmettant dans la clandestinité. La chaîne publique a été fermée le jour du coup d'Etat et rouverte par la suite. Aujourd'hui cette chaîne a atteint un niveau de manipulation que je n'avais jamais imaginé. Ils passent constamment des vidéos pour endoctriner les gens, sur la "paix" et sur ce qu'ils considèrent comme la "démocratie", de la propagande à la gloire du "nouveau président constitutionnel", contre le gouvernement légitime et contre les manifestations qui réclament le retour du président Zelaya.

Il y a également toute une campagne contre le président vénézuélien Hugo Chávez, évoquant son "régime castro-communiste", dénigrant le système de vote au Venezuela et dénonçant la prétendue répression qui existerait dans ce pays. Tout cela a pour but de faire peur à la population.

Nous avons voulu interviewer certaines figures connues de la télévision publique pour notre documentaire mais elles craignaient de témoigner. De nombreuses personnes ont peur et sont poursuivies. Le célèbre caricaturiste hondurien Allan McDonald, dont les dessins sont publiés notamment dans le journal El Heraldo et sur le site Rebelion.org, a été arrêté en pleine nuit, détenu durant toute une journée avant d'être libéré.

Les chaînes privées quant à elles appuient le gouvernement dictatorial. C'est également le cas de la presse écrite. L'un des principaux journaux, La Tribuna, appartient à Carlos Flores Facussé, un homme proche de Micheletti et suspecté d'être l'un des principaux idéologues du coup d'Etat. Facussé fut également président du Honduras entre 1998 et 2002. C'est un homme très puissant.

En tant que journaliste, comment avez-vous vécu cela?
La rue est aux mains des militaires et de la police. A peine arrivée à Tegucigalpa avec mon collègue caméraman, la police a débarqué à notre hôtel pour nous interroger, ils ont examiné nos papiers, ils voulaient tout savoir sur nous. Lors de la manifestation du dimanche 5 juillet à l'aéroport (où le président Zelaya a essayé d'atterrir), nous étions tous là, aussi bien la population que les journalistes, et l'armée a tiré sans faire de distinction. J'ai vu les balles tomber à moins de deux mètres de moi. J'ai essayé de me mettre à l'abri et les balles pleuvaient de toute part. J'étais terrifiée. Il n'y a eu aucun respect pour la presse internationale.

Comment la population réagit-elle face à cette situation?
Les gens souhaitent vivement avoir des médias sur place, peu importe d'où ils viennent. Je n'avais jamais vu cela, les gens applaudissent la presse, ils en ont besoin. Que la police tire sur une manifestation désarmée et que la presse locale n'en dise pas un mot le lendemain est quelque chose de terrible. La présence de médias alternatifs ou communautaires est donc très importante. Mais ils sont très peu nombreux car il est très difficile d'entrer dans le pays en tant que journaliste, surtout si celui-ci provient de l'un des pays progressistes d'Amérique latine. Les Vénézuéliens, par exemple, y sont diabolisés.

Que pensez-vous du travail réalisé par la chaîne latino-américaine TeleSUR, dont les correspondants ont été expulsés récemment du Honduras?

La population hondurienne est tellement désespérée face au silence des médias que le travail de TeleSUR a été fondamental pour eux. Ils considèrent ses journalistes comme de véritables héros. En plus, les gens ont peur parce que les correspondants s'en vont. Maintenant que les journalistes partent, il va y avoir davantage de répression. Ceux qui ne sont pas partis de leur propre gré ont été expulsés, comme c'est arrivé à l'équipe de TeleSUR. Le fait qu'ils aient expulsé les journalistes qui ont le plus informé donne une idée de ce qui se passe au Honduras.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier
le 17 juillet 2009.

mardi 9 juin 2009

La délinquance aura-t-elle la peau de la "Révolution bolivarienne"?

Alors que ces dix dernières années la pauvreté a diminué d'un tiers au Venezuela, la courbe de la violence y a suivi une trajectoire inverse. Sur la même période, le nombre d'homicides est passé de près de 6000 à plus de 13 000 par an. Balbutiant sur le sujet durant une bonne partie de sa gestion, le gouvernement d'Hugo Chávez semble désormais décidé à prendre le problème à bras-le-corps. Car la simple amélioration des conditions sociales ne suffit apparemment pas à faire chuter le crime.


"Pas un mort de plus dans le 23 de Enero". (Photo: Seb)

Pastor est chauffeur de taxi à Caracas. Il travaille la nuit pour éviter les embouteillages à l'entrée et à la sortie de la capitale. "Comme je vis un peu en dehors, je devrais me lever tous les jours à 4 h du matin pour pouvoir arriver à une heure décente dans le centre", commente-t-il. Mais la nuit le travail est plus risqué, alors il fonctionne presque exclusivement avec des clients connus: "Ils me passent un coup de fil et je vais les chercher là où ils sont. C'est plus sûr pour moi et aussi pour eux, on ne sait jamais sur qui on peut tomber".

Malgré sa prudence, Pastor a été victime d'un braquage il y a quelques mois, en conduisant un client dans un barrio (quartier défavorisé). "Deux motards nous ont braqué avec leur arme. Je n'ai pas résisté, j'ai préféré qu'ils partent avec la voiture et sortir de là vivant". L'incident en restera là et Pastor retrouvera même son véhicule quelques jours plus tard. Mais les histoires de vols à main armée ne se terminent pas toujours aussi bien. Entre 1999 et 2008, près de 22 000 personnes sont tombées sous les balles de la délinquance, rien qu'à Caracas (2 millions d'habitants). Au niveau national, un document du Corps d'investigations scientifiques, pénales et criminelles (CICPC), divulgué récemment dans la presse, avance le chiffre de 101 141 homicides en dix ans (pour 28 millions d'habitants).

Selon le rapport 2007 des Nations Unies sur l'état des villes dans le monde, l'augmentation de la violence est un phénomène global et est surtout notoire dans les pays en voie de développement qui connaissent une forte croissance urbaine. Avec une population concentrée à 93% dans les villes, le Venezuela dépasse largement la moyenne régionale qui tourne autour de 79%. A titre d'exemple, au Brésil, depuis les années 1970, le taux d'homicides a triplé à Rio de Janeiro et quadruplé à São Paulo. A Caracas, en vingt ans il s'est pratiquement multiplié par dix.

L'Organisation panaméricaine de la santé (OPS) signale qu'entre 1980 et 2002, le taux d'homicides au Brésil est passé de 11,4 à 28,4 pour 100 000 habitants. Le Venezuela a, lui, effectué un bon de 19,4 à 50,9 entre 1998 et 2003. A contario, le Salvador et la Colombie, jusqu'ici les plus violents du continent, ont amorcé une baisse de cette morbidité (respectivement de 62,5 à 54,9 et de 64 à 38).

Gauche sans solutions?

Alors qu'Hugo Chávez entame sa onzième année à la tête du gouvernement, l'opposition n'hésite pas à faire le parallèle entre l'augmentation de la violence et la gestion du président. "Dites 'non' à l'insécurité, votez 'non'!", était l'un des slogans utilisés pendant la campagne du référendum constitutionnel remporté en février dernier par le camp bolivarien. Mais si les résultats des derniers scrutins montrent toujours un soutien majoritaire au gouvernement, les élections régionales de novembre 2008 ont laissé apparaître un certain mécontentement dans les zones les plus peuplées. Sur les sept Etats perdus lors de ce scrutin, quatre figurent parmi les plus violents du pays (le district de Caracas et les Etats de Carabobo, Zulia et Miranda). Et d'après le dernier sondage de l'Institut vénézuélien d'analyse de données (IVAD), l'insécurité constitue la première préoccupation pour sept Vénézuéliens sur dix.

Selon le criminologue Andrés Antillano, la délinquance pose un réel problème aux gouvernements progressistes d'Amérique latine: "Il n'y a pas de discours de gauche consistant sur le sujet. L'agenda de l'insécurité est un agenda colonisé par la droite, dans la plupart des pays". Professeur à l'Institut des sciences pénales de l'Université centrale du Venezuela (UCV), M. Antillano considère que les progressistes se limitent à concevoir le problème sous forme de mythes. "Le premier est le mythe de la négation: il n'y a pas d'insécurité, c'est une invention des médias, c'est une façon de criminaliser le peuple, etc. Cela a été la position de ce gouvernement durant une certaine époque".

Pauvres et victimes

Un autre mythe est celui qu'il qualifie de "fonctionnalisme de gauche" et qui revient à penser que "simplement" en améliorant les conditions de vie et l'inclusion sociale, on peut faire baisser les chiffres de l'insécurité. "La réalité du Venezuela démontre que cela n'est pas vrai, qu'il n'y a pas de relation mécanique. Il y a en plus un effet paradoxal, car non seulement les politiques d'inclusion sociale n'entraînent pas une diminution de l'insécurité, mais en plus l'insécurité elle-même augmente l'exclusion sociale", commente-t-il.

Au Venezuela, le taux de chômage est passé de 10,3% en 1995 à 7,4% en 2008. La pauvreté est quant à elle passée de 49,4% de la population en 1999, à 28,5% en 2007. Mais le segment de la population le plus touché par la violence demeure le secteur le plus marginalisé par rapport au reste de la société. Dans son rapport de l'année 2008, l'ONG locale PROVEA définit la victime-type de cette façon: "Des hommes jeunes, habitants de localités socioéconomiquement déprimées des grands centres urbains du pays".

Policiers délinquants

Mais si le nombre d'homicides a effectivement augmenté ces dix dernières années, l'insécurité apparaît cependant comme un problème structurel puisant aussi ses racines dans les politiques publiques des décennies passées. En particulier au niveau des forces de l'ordre régulièrement accusées d'inefficacité voire de complicité.

Dans les barrios, les policiers ne sont pas vraiment perçus comme la solution au problème, mais plutôt comme des auteurs potentiels de graves délits, tels qu'enlèvements, extorsions, vols ou trafics de drogue. "Les flics ici revendent la drogue qu'ils confisquent aux trafiquants, ou leur font payer une vacuna (rançon) pour fermer les yeux. Certains agents vont même jusqu'à louer leur arme aux délinquants", témoigne Francisco, habitant du quartier populaire de La Vega, à Caracas.

Selon le ministre de l'Intérieur et Justice, Tareck El Aissami, 20% des délits commis dans le pays sont perpétrés par ces mêmes fonctionnaires. Il faut dire que la multiplicité des corps de police ne facilite pas la tâche ni le contrôle sur les effectifs. Au Venezuela il existe 25 polices départementales et 67 municipales. A cela viennent s'ajouter le CICPC, les autorités de transport et circulation (qui ne portent pas d'arme), ainsi que la Garde nationale et les Forces armées. Et il aura fallu attendre 2001 pour que soit approuvé le décret de "coordination de sécurité citoyenne", qui a pour tâche de relier entre eux les différents organismes de maintien de l'ordre.

Un second pas, en avril 2006, a été la création d'une Commission nationale de réforme policière (Conarepol). Qui a fait le même constat qu'une précédente commission en 1991: le Venezuela paie "l'inexistence d'une politique nationale en matière de police, la carence de mécanismes de coordination policière, la superposition de fonctions entre les différents corps de sécurité", etc.

Arsenal législatif

Le 18 mars dernier, le gouvernement a annoncé l'activation de "sept fronts contre la violence", avec la création d'un Conseil national de prévention et sécurité citoyenne, intégré par plusieurs ministères. Figurent aussi au menu la création d'un Système intégré de polices et le lancement d'une Université expérimentale de la sécurité, visant à améliorer le niveau de formation des fonctionnaires. A plus long terme, l'ambition est de réformer les polices départementales et municipales. Un sujet délicat dans ce pays si polarisé, où l'opposition s'accroche à quelques bastions locaux .

Plusieurs lois sont également en cours d'élaboration à l'Assemblée nationale. C'est le cas de l'amélioration du statut social et professionnel du policier et du durcissement des peines pour port d'armes.

"Pas besoin d'arme"

Toutes ces mesures se cantonnent pour l'instant à un cadre strictement législatif. Mais bien souvent, dans les quartiers, c'est le travail quotidien qui paie. Parce que, comme le fait remarquer Francisco, à La Vega comme ailleurs "il n'y pas vraiment de dynamique qui t'amène à autre chose" qu'à entrer dans une bande ou à porter un "flingue" pour obtenir la reconnaissance des autres.

Alors, avec quelques copains, il a choisi un autre combat, celui de sortir les plus jeunes de l'engrenage en les initiant à la culture contemporaine mais aussi à celle de leurs ancêtres. Ensemble ils ont créé une radio communautaire et une coopérative audiovisuelle grâce à laquelle ils forment les adolescents à l'initiation aux médias. Ils combinent cela avec la musique originaire des percussions, et le seul bruit qui résonne ici est celui des tambours. "Dans le quartier tout le monde nous respecte pour ce qu'on fait, même les délinquants, parce qu'ils savent que nous travaillons pour la culture, nous ne les considérons pas comme des ennemis et eux non plus. Ils ont aussi des enfants et quand ils voient qu'on travaille avec leurs gosses pour les sortir du cercle, ils nous sont reconnaissants. On n'a pas besoin de porter une arme pour se faire respecter".



La réponse populaire du 23 de Enero

Dans le quartier du 23 de Enero à Caracas, une construction pas comme les autres se plante au milieu des tours à appartements. Il s'agit du local de la Coordinadora Simón Bolívar (CSB), un ex-commissariat de police transformé en centre culturel. Cours de danse, accès gratuit à Internet et à l'alphabétisation informatique, radio communautaire, missions sociales: depuis 2005 l'endroit est devenu un lieu de rencontre et de participation. La CSB est née en 1993, bien avant le début de la "Révolution bolivarienne", dans ce quartier réputé pour son organisation et ses luttes sociales.

Juan Contreras, membre de la Coordinadora, se souvient que la naissance du collectif répondait alors au besoin de "construire un pouvoir local, ce qu'on appelle aujourd'hui le 'pouvoir populaire', et ce à partir de trois axes principaux: la récupération des espaces, la récupération des traditions et le sport". L'idée était, entre autres, de se rapproprier les espaces qui à un certain moment, à cause de l'absence de politiques publiques, étaient tombés aux mains de la délinquance. Aujourd'hui l'objectif n'a pas changé: "Notre but est aussi de tendre des ponts entre les gens afin qu'ils communiquent entre eux, et ce à travers la culture et le sport. Et nous y sommes parvenus, maintenant les gens participent".

La CSB organise des activités ludiques et culturelles dans le quartier afin que les jeunes occupent leur temps libre et ne tombent pas dans les filets des bandes et de la drogue. Mais qui dit organisation sociale dit aussi formation politique: "Chaque groupe, chaque collectif apporte son travail social, son travail politique, afin d'empêcher la délinquance et le trafic de drogue de s'installer dans le quartier. Il y a d'ailleurs eu des affrontements et des camarades ont été assassinés par les narcotrafiquants". Pour Juan et les autres, le fléau a aussi ses origines politiques: "Ici nous menons une lutte de longue date contre la drogue et la délinquance. Dès la fin des années 1970, l'Etat a commencé a mener une 'guerre sale' et à inonder le quartier de drogue afin de venir à bout des luttes sociales qui réclamaient la transformation de la société".

La semaine dernière, trois personnes du quartier ont été assassinées en pleine rue, vers minuit. Parmi les victimes, un militant impliqué depuis de nombreuses années dans les luttes sociales. A l'époque, il avait même participé à la Révolution sandiniste au Nicaragua. "La néfaste logique du capital ne fait pas que promouvoir la mercantilisation de la drogue, elle promeut aussi la mercantilisation de la mort", pouvait-on lire sur un tract distribué dans le 23 de Enero, lors d'une mobilisation de protestation contre cet assassinat.


Références consultées:

- "Enhancing Urban Safety and Security - Global Report on Human Settlements 2007", UN-Habitat, disponible sur www.unhabitat.org.

- Annuaire statistique 2008 de la CEPAL (Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, organisme des Nations Unies), disponible sur www.cepal.org.

- "Situación de los derechos humanos en Venezuela - Informe anual 2008", PROVEA, disponible sur www.derechos.org.ve.

- "Salud en las Américas", OPS, 2007.

- "La consulta national sobre la reforma policial en Venezuela: Una propuesta para el diálogo y el consenso", Comisión Nacional para la Reforma Policial, Caracas 2007.

- "La policía venezolana, desarrollo institucional y perspectivas de reforma al inicio del tercer milenio", Tomo I, Comisión Nacional para la Reforma Policial, Caracas 2007.

-
Selon l’Institut national de Statistiques (INE), en 2006 Caracas (District-capitale) comptait un peu plus de 2 millions d'habitants.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 26 mai 2009.

mardi 26 mai 2009

Manif et classe moyenne

(Photo: Seb)

Mercredi dernier l'opposition a manifesté. Un peu contre tout, un peu en faveur de rien. Parce que "non c'est non" comme dit son slogan. Une manif d'étudiants à laquelle étaient présents de nombreux non étudiants, ainsi que les dirigeants politiques de l'opposition: le député de Podemos (Pour une Démocratie sociale) Ismael García, le maire de la grande Caracas Antonio Ledezma et Oscar Pérez, meneur du fameux "Commando national de la Résistance", une organisation aux idées d'extrême droite mais heureusement aux rangs peu fournis.

Le cortège est parti de l'Université centrale du Venezuela (UCV) et s'est rendu jusqu'au siège du ministère de l'Education supérieure, où une délégation composée de représentants des étudiants et des autorités universitaires (qui avaient elles aussi appelé à manifester) a été reçue par le Ministre. Ils y ont remis un document. Leur argument principal est que le gouvernement a réduit le budget des universités de 6%. En réalité, c'est tout le budget de l'Etat qui fut récemment réduit de 6% à cause de la crise économique mondiale et de la chute des prix du pétrole qu'elle a entraînée.

L'Exécutif demande aux universités de ne pas faire porter le poids de cette réduction aux étudiants ni aux ouvriers des établissements mais plutôt de couper dans les frais non indispensables et dans les dépenses luxueuses des hauts fonctionnaires (1). Mais au Venezuela les universités (tant privées que publiques) sont autonomes et décident donc elles-même comment elles vont appliquer cette réduction. L'occasion était trop belle, donc, pour ne pas tenter de remobiliser ce bon vieux mouvement étudiant aux mains blanches; même si la réputation de celui-ci a perdu de sa blancheur depuis que ses principaux leaders se sont ouvertement investis dans les partis politiques de l'opposition.

Rappelons également que, selon le journal Ultimas Noticias de ce dimanche, l'Assemblée nationale (Parlement) et plusieurs groupes universitaires "chavistes" ont exhorté l'inspection générale des Finances (Contraloría General de la República) à ouvrir une enquête sur la manière dont les universités publiques investissent leur budget. Ces dernières nient pour l'instant tout audit sur leurs finances internes (un comble pour des universités publiques, le tout sous le couvert de "l'autonomie") et, d'après le quotidien, "elles n'ont toujours pas expliqué, par exemple, pourquoi en 2008 elles n'ont pas utilisé 45% de leur budget, alors qu'aujourd'hui elles dénoncent la réduction de 6%".

Globovision

Par ailleurs, la guerre médiatique est de nouveau sur le tapis. Avec cette fois l'entreprise privée de communication Globovision au milieu du jeu de quilles. "Nous allons en finir avec ce fou armé d'un fusil (2) ou je ne m'appelle plus Hugo Chávez", a averti récemment le Président vénézuélien en visant le directeur de la chaîne, Alberto Federico Ravell. Relançant ainsi le débat sur les médias et, par la même occasion, toute la campagne pour la "liberté d'expression".

Une erreur politique de Chávez? Une attaque frontale à Globovision le serait probablement. Il est évident qu'une fermeture de la chaîne, même si elle est réclamée par certains militants du mouvement populaire, réveillerait les mobilisations et serait une occasion pour l'opposition de se refaire une santé. Nous aurons l'occasion de revenir sur le sujet dans les semaines qui viennent.

Bref, l'opposition a manifesté mercredi dernier: Lunettes de soleil, casquettes aux logos de Globovision ou RCTV, petit parasol pour les dames les plus chics. La classe moyenne était dans la rue, "moyennement riche, moyennement cultivée" comme disait le poète uruguayen Mario Benedetti, décédé la semaine dernière. En prenant quelques photos de la mobilisation, je n'ai pu m'empêcher de repenser à ce texte génial. En hommage a Benedetti, monument de la poésie latino-américaine; mais aussi comme "légende poétique" pour accompagner les clichés de la manifestation, je publie ci-dessous son "Poème à la classe moyenne", d'une brûlante actualité.


Mesdames... (Ph: Seb)


Mesdames aussi... en première ligne. (Ph: Seb)

Face aux mains blanches des étudiants,
la Police métropolitaine a laissé les armes au vestiaire. (Ph: Seb)



Poème à la classe moyenne

Classe moyenne
moyennement riche
moyennement cultivée
entre ce qu'elle croit être et ce qu'elle est
il existe une distance moyennement grande
Du milieu elle regarde à moitié mal
les noirs
les riches, les sages
les fous
les pauvres
Si elle écoute un Hitler
elle apprécie à moitié
si c'est un Che qui parle
à moitié aussi
Au milieu de rien
elle doute moyennement
comme tout l'attire (moyennement)
elle analyse à moitié
tous les faits
et (à moitié confuse) elle descend dans la rue avec des demi-casseroles
elle arrive alors à moyennement attirer l'attention
de ceux qui dirigent (à moitié dans l'ombre)
parfois, parfois seulement, elle se rend compte (à moitié tard)
qu'on l'a utilisée comme pion
dans un jeu d'échec qu'elle ne comprend pas
et qui ne la converti jamais en Reine
Ainsi, à moitié rageuse
elle se lamente (à moitié)
d'être le moyen grâce auquel les autres mangent
ces autres qu'elle n'arrive pas à comprendre
même pas à moitié.

Mario Benedetti (3)

Notes:

(1) Voir aussi sur ce blog "Le Venezuela trace la voie d'une réponse progressiste à la crise".
(2) "Ese loco con cañon...".
(3) La traduction est de la voix du sud.

mardi 12 mai 2009

Contre l'insécurité, du plomb et de la culture

"Contre le capitalisme et son industrie mercantiliste de la mort..." (Photo: Seb)

L'assemblée est réunie sur le petit terrain de football, juste au pied des tours du quartier du 23 de Enero, à Caracas. Des personnes venues d'autres quartiers et des sympathisants participent, mais peu descendent de chez eux pour discuter de la problématique qui rassemble les personnes présentes: "Pas un mort de plus au 23 de Enero".


La semaine dernière, trois personnes ont été assassinées en pleine rue, vers minuit. Parmi les victimes, un militant impliqué depuis de nombreuses années dans les luttes sociales. A l'époque, il avait même participé à la Révolution sandiniste au Nicaragua.


La manifestation et l'assemblée de ce samedi après-midi ont été convoquées par les collectifs de la zone, réputée pour ses luttes et son organisation sociales. A l'aide de hauts-parleurs, les intervenants invitent tour à tour les voisins à descendre de chez eux et à participer, sans avoir peur. L'idée est d'occuper les espaces afin de ne pas y laisser proliférer le trafic de drogue et la violence qu'il engendre.


Les discours tendent vers une récupération des espaces à travers la culture et l'organisation. D'autres sont plus radicaux: "Nous devons les combattre sur leur terrain. Et si c'est avec du plomb (des balles) ce sera avec du plomb, pas seulement avec la culture!", lance un intervenant. "La conformation des communes et des milices populaires, c'est le chemin de que nous devons prendre", rétorque un autre.


La scène se déroule sous l'oeil attentif d'un représentant du ministère de l'Intérieur et Justice. Accompagné par trois agents de la Police métropolitaine (PM), ils sont plus d'une fois pris à parti: "Je voudrais demander à nos 'amis' de la police ici présents: Quelle vente de drogue est clandestine dans le quartier? Aucune! Toutes les ventes de drogues sont publiques et notoires. Vous savez très bien où se trouvent les délinquants. Alors pourquoi est-ce si difficile d'y mettre un frein?".


Le fonctionnaire du ministère ne pourra qu'acquiescer: "Je dois reconnaître que vous n'avez pas tort". Parmi les mesures mises en place par l'Exécutif, figure le projet de Police communale qui devra travailler étroitement avec les communautés organisées. "Les hommes qui m'accompagnent sont là pour vous écouter et vous obéir. C'est vous qui devez contrôler la police et eux doivent être vos subordonnés".


Note :


Un long reportage sur le thème de l'insécurité au Venezuela sera publié prochainement dans le quotidien suisse Le Courrier. Des passages seront probablement publiés sur ce blog par la suite.

vendredi 3 avril 2009

"La crise pourrait mener à une économie mondiale organisée sur la base de blocs régionaux"

Cet entretien avec l’économiste chilien Orlando Caputo fut réalisé en décembre 2008 à Santiago du Chili et publié en espagnol sur le site Rebelion.org en janvier. Malgré les trois mois écoulés depuis lors, j'estime qu'il garde en bonne partie sa pertinence, surtout à l'heure où les "maîtres du monde" se réunissent à Londres dans le cadre du G20.

(Photo: Seb)

Orlando Caputo est économiste et a dédié la majeure partie de sa vie à l’activité académique, sauf durant la période de gouvernement du président Salvador Allende, pendant laquelle il se trouva à la tête de l’industrie chilienne du cuivre. A 28 ans, il fut nommé représentant personnel d’Allende au comité exécutif de Codelco (Corporation nationale du Cuivre) et a ensuite occupé le poste de gérant général de cette entreprise publique.


Après le coup d’Etat militaire il s’est exilé au Mexique où il a vécu 17 ans et a enseigné à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Dans ce pays, il a participé à la création du Réseau d’Etudes de l’Economie mondiale (1), dont il est toujours membre aujourd’hui.


Son sujet d´étude principal est l’économie mondiale et il insiste: "pas ‘inter-nationale’, mondiale". Monsieur Caputo revendique une interprétation différente de la crise économique, "y compris de celle que font certains secteurs progressistes". Il estime que la crise pourrait ouvrir de nouvelles possibilités et alternatives, mais il signale de nombreuses déficiences parmi les partis et un manque de conscience politique chez les mouvements sociaux. "Le capitalisme a la capacité de résoudre cette crise", prévient-il.


Quelle est votre interprétation de la crise actuelle ?


Il s'agit d'une crise immobilière qui s'est transformée récemment en crise de l'économie mondiale et je pense que nous n'en sommes qu'au début. Cette crise, depuis le départ, a été analysée sur la base d'éléments qui me paraissent très critiquables. Parmi ceux-ci le fait de la qualifier de crise financière.

Cela me paraît bizarre parce que c'est en fait une crise immobilière qui regroupe deux secteurs: un secteur réel et un secteur financier. Mais en plus on parle de crise financière alors que la globalisation de l'économie mondiale a fait en sorte que le capital productif soit devenu relativement indépendant du capital financier.


Dans les années 80, environ 50% des bénéfices des entreprises productrices de biens et services étaient captés par le secteur financier. Cela a diminué énormément jusqu'à atteindre entre 10 et 18%. Et cela va même plus loin, ces entreprises ont obtenu des bénéfices si élevés qu'elles se sont transformées en prestataires nettes du système financier.


Souvenons-nous que la globalisation de l'économie mondiale, appuyée par le néolibéralisme, s'est instaurée parce que les bénéfices et les taux de rentabilité (2), dans les années 60 et 70, étaient bas. Les entreprises ont alors commencé à affronter cela en s'ouvrant au monde, en investissant partout, en exigeant le libre commerce, etc.


Que signifie cette globalisation de l'économie du point de vue des relations sociales de production?


Elle signifie une domination du capital sur le travail: flexibilité du travail, tertiarisation, etc. La flexibilisation des processus productifs divise le monde du travail. Qu'est-ce que cela implique? Cela implique que dans le monde il y a eu une diminution des salaires accompagnée d'une augmentation directe des bénéfices des entreprises.

L'augmentation des bénéfices est due aussi à d'autres raisons, notamment parce que les entreprises s'approprient les ressources naturelles. Le néolibéralisme défend comme cause principale, en plus de la "liberté de choisir", la propriété privée des ressources naturelles. Par ailleurs, on augmente aussi le pouvoir du capital sur les Etats.

Le monde est dominé par les grandes multinationales productrices de biens et services et non par le capital financier. Cela ne veut pas dire que le capital financier ne soit pas important, il est très important. Mais le capital a besoin de créer un bénéfice et pas seulement de jouer avec des bénéfices antérieurs, des accumulations de fonds, etc.

Dans les pays développés, cette indépendance relative se réalise concrètement. Dans le cas de l'Amérique latine, le capital financier mondial et le capital productif agissent conjointement car les dénationalisations, l'organisation de la production et les nouvelles entreprises se créent avec très peu de capital frais et avec beaucoup de crédits associés. Et donc en Amérique latine, pour ainsi dire, l'exploitation est double.

"Le monde est dominé par les grandes multinationales productrices de biens et services et non par le capital financier"

Si on voit les choses de cette manière, cela veut dire que dans le monde il y a un excès de capital qui va vers les fonds, vers l'appareil financier. Les entreprises y mettent tout le capital liquide qu'elles ne vont pas utiliser, les gouvernements aussi y mettent leurs réserves; des fonds souverains se créent dû aux prix élevés des matières premières durant une certaine période, les fonds de pensions et aussi d'autres types de fonds se créent aussi.

Les entreprises ne sont plus demandeuses de crédits car elles sont désormais des prestataires nettes. Mais cela représente un problème: à qui vont-elle prêter? C'est là que se développent les entreprises technologiques, les "point com", qui expliquent la crise de 2001. Mais après, où investissent-elles leur capital excessif? Elle n'avaient plus où prêter et c'est là que le secteur construction a joué un rôle important, non seulement aux Etats-Unis mais aussi dans le monde.


Les entreprises n'ont pas besoin de capital car elles réalisent leurs investissements, leurs élargissements et fusions à partir de capitaux propres. Evidemment tout est relatif, sur 100% elles obtiennent peut être 15% de crédits. Mais ce qu'elles trouvent comme sortie c'est le développement du secteur immobilier, en finançant de grands projets à grands coups de crédits.


Ça c'est le système qui a échoué aux Etats-Unis et ailleurs. Cette interprétation est complètement différente de ce qu'on peut entendre sur le sujet. Cette crise n'a jamais été seulement financière, c'est une crise de la globalisation et du néolibéralisme. Et la crise s'est maintenant transformée parce que, jusqu'au deuxième trimestre 2008, les bénéfices des entreprises productrices de biens et services, non résidentielles, ne diminuaient pas énormément aux Etats-Unis. Les véritables crises ne peuvent se développer s'il n'y a pas une importante chute des bénéfices et des taux de rentabilité. Et cela est en train d'avoir lieu à l'heure actuelle.

Considérez-vous cette crise comme une opportunité pour développer des alternatives?

Cette crise pourrait mener à une rupture du processus de globalisation actuel et à une économie mondiale organisée sur la base de blocs régionaux. Mais continuer à l'analyser comme une "crise financière" c'est déplacer la préoccupation fondamentale. C'est déplacer le fait que la plus importante contradiction de notre époque se trouve entre le capital et la société humaine, représentée par les travailleurs et les mouvements sociaux qui défendent aussi les ressources naturelles et la nature.

La crise peut ouvrir des possibilités mais je pense qu'il y a beaucoup de déficiences politiques, il n'y a pas de conscience. Le mouvement est très faible mais s'il y avait une conscience politique et si les partis se positionnaient, il pourrait alors surgir un processus de rébellion afin d'exiger de nouvelles structures mondiales, un nouveau système financier et monétaire.

En Amérique latine on peut arriver à faire de grandes choses: un processus d'intégration qui tienne compte de l'intérêt des peuples et pas seulement des entreprises, qui diversifie les économies nationales, qui ne soit pas seulement commercial mais qui soit plutôt un processus d'intégration globale et avec une monnaie propre, une Banque du Sud, etc. Les conditions sont réunies.


Notes :

(1) Red de Estudios de la Economía Mundial (www.redem.buap.mx). Orlando Caputo est également membre du groupe de travail sur l'Economie mondiale, les Corporations transnationales et les Economies nationales, du CLACSO (Conseil latino-américain des Sciences sociales, www.clacso.org.ar).

(2) «Las tasas de ganancias».

mardi 24 mars 2009

Le Venezuela trace la voie d'une réponse progressiste à la crise

Le président vénézuélien Hugo Chávez a présenté ce samedi 21 mars une série de mesures économiques face à la crise mondiale. Alors que les gouvernements néolibéraux entendent faire payer la débâcle capitaliste aux travailleurs, Caracas ouvre la voie d'une réponse progressiste. Il s'agit, entre autres, de débloquer 100 milliards de dollars d'investissements publics sur les quatre prochaines années, d'augmenter de 20% le salaire minimum en 2009 et de limiter les revenus des hauts fonctionnaires.

Ces 100 milliards de dollars d'investissements publics se traduiront, entre autres, par la construction d'infrastructures et de nouveaux logements. (Photo: Seb)

L'annonce était attendue par beaucoup, y compris par l'opposition qui espérait des mesures impopulaires comme l'augmentation du prix de l'essence ou une dévaluation du Bolivar (la monnaie locale). Rien de tout cela ne figurera finalement à l'agenda. (1)

A contre-courant des recommandations classiques du FMI ou de la Banque mondiale, Caracas a présenté ce samedi un plan d'investissements publics à hauteur de 100 milliards de dollars (2) sur les quatre prochaines années. "Le gouvernement révolutionnaire va investir une masse globale de 100 milliards de dollars. Et cela n'inclut pas les investissements pétroliers qui eux atteindront 125 milliards. C'est une des plus fortes mesures anticycliques et anticrise", a expliqué le président Chávez.

Par ailleurs, le budget 2009 de l'Etat sera revu à la baisse (- 6,7%) et recalculé sur un prix du baril de pétrole à 40 dollars, au lieu des 60 dollars comme base actuelle. Afin de faire face à cette réduction, l'Etat doublera pratiquement son endettement interne et fera des économies sur les salaires des haut fonctionnaires.

Selon les chiffres présentés par le président Chávez en Conseil des ministres, la dette externe du Venezuela représentait 64,1% du Produit intérieur brut (PIB) il y a 20 ans et se situe aujourd'hui à 9,3% (fin 2008). La dette interne se situe quant à elle à 4,3% du PIB. "Ce pourcentage peu élevé nous permet aujourd'hui de prendre des mesures d'augmentation (de la dette interne), calculées de façon exacte afin de nous protéger et de nous renforcer", a-t-il expliqué.

Par ailleurs, le mandataire a appelé l'Assemblée nationale (le Parlement) à légiférer afin de limiter les salaires des hauts fonctionnaires. En ce qui concerne l'Excécutif, un décret devrait être publié dans les prochains jours afin de réviser et réduire les revenus les plus élevés. Les dépenses somptueuses sont également concernées. "Nous allons éliminer les frais des véhicules de luxe, les cadeaux, la construction de nouveaux sièges, les missions à l'étranger, la publicité superflue, etc.".

Hausse du salaire minimum

Parmi les mesures figure également une augmentation du salaire minimum de 20% en deux étapes: 10% à partir du premier mai et 10% en septembre prochain. Celui-ci passera donc, cette année, de l'équivalent de 274 euros à 331 euros par mois, se maintenant parmi les plus élevés d'Amérique latine.

La seule décision qui sera directement répercutée sur le portefeuille de la population, afin d'équilibrer en partie le budget de l'Etat, est l'augmentation de 3% de la TVA. Elle passe ainsi de 9 à 12%, loin derrière les 16% de la fin des années 90. "De la même manière que nous avions réduit la TVA de 14 à 9% lorsque nous jouissions des hauts revenus pétroliers, maintenant nous effectuons une augmentation prudente", a fait remarquer Chávez.

Finalement, le gouvernement a confirmé la nationalisation (annoncée il y a déjà plusieurs mois) de la banque filiale du groupe espagnol Santander, Banco de Venezuela. Si cette décision se concrétise, l'Etat vénézuélien contrôlera 25% du secteur bancaire et en sera l'acteur le plus important. Ces actions, accompagnées de la ferme volonté de maintenir les dépenses sociales en matières d'éducation, de santé et d'infrastructures, démontrent qu'il n'y a pas de fatalité face à la crise capitaliste et qu'un gouvernement souverain, non soumis aux diktats des institutions financières internationales et des entreprises, peut agir en fonction des intérêts des travailleurs... lorsque l'intention y est.

Notes:

(1) La chaîne privée Globovision était même allée jusqu'à inventer l'annonce imminente d'une diminution de la quantité de devises étrangères octroyées à chaque Vénézuélien. L'information, qui s'est révélée totalement fausse, fut relayée par plusieurs médias d'opposition avant d'être démentie par un communiqué du ministère de l'Economie et des Finances.

(2) Le 23 mars, un dollar était égal à 0,73 euro.


Article publié sur le site de La Gauche le 23 mars 2009


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