mercredi 23 mars 2011

Le Venezuela suspend son projet de centrale

NUCLÉAIRE - La catastrophe de Fukushima remet en cause le développement nucléaire avec Moscou.

Le président Hugo Chávez a annoncé mardi dernier avoir "donné l'ordre de geler les plans et les études préliminaires" du programme nucléaire pacifique vénézuélien. "Ce qui s'est passé ces dernières heures est quelque chose d'extrêmement dangereux pour le monde entier. Et malgré la grande technologie et les avancées du Japon en la matière, regardez ce qui se passe avec certains réacteurs nucléaires. Et on ne connaît pas encore la portée du problème...", a-t-il déclaré lors d'une rencontre au Palais présidentiel avec des investisseurs chinois.

En octobre 2010, durant une visite à Moscou, Hugo Chávez avait officialisé un accord avec son homologue russe Dimitri Medvedev pour la construction de la première centrale nucléaire au Venezuela. Projet qui avait alors "inquiété" Washington. Mais la crise japonaise semble avoir refroidi les ambitions vénézuéliennes, présentées à l'époque comme une avancée vers l'indépendance technologique et énergétique. "Je n'ai pas le moindre doute que cela va modifier très fortement les projets de développement de l'énergie nucléaire dans le monde", a estimé le président vénézuélien.

Paolo Traversa, chef du programme "P Gamma" de l'Institut vénézuélien de recherches scientifiques (IVIC), estime que c'est une bonne décision: "La situation dramatique du Japon doit être prise en compte. Si on veut continuer à utiliser l'énergie nucléaire dans le monde, il va falloir revoir les plans des futures installations. En ce qui concerne le Venezuela, nous n'avons pas de centrale nucléaire. Ce que nous devons faire maintenant c'est développer et diversifier nos sources d'énergie. Nous avons de grandes réserves de gaz et des zones ou il y a du vent en permanence, nous pourrions y développer des parcs éoliens".

Selon les déclarations du ministre de l'Energie, Alí Rodríguez Araque, lors d'une comparution devant le Parlement le 17 février, la région de la Guajira vénézuélienne disposerait d'une capacité de génération d'énergie éolienne équivalente à 10 000 mégawatts, alors que le projet nucléaire avec Moscou aurait quant à lui dû atteindre les 4000 MW au cours des dix prochaines années. Cependant, le seul projet éolien actuellement en construction, dans la péninsule de Paraguaná (qui devrait apporter 100 MW), n'est toujours pas entré en fonctionnement. La première pierre du chantier a été posée en novembre 2006 par le président Chávez et l'inauguration était alors prévue pour l'année suivante.

Enfin, le président colombien Juan Manuel Santos a lui aussi salué "le geste d'opportune précaution" de son voisin vénézuélien. "Nous ne devons pas seulement nous préparer à affronter le changement climatique, nous devons aussi nous concentrer sur la prévention d'autres catastrophes que l'action de l'homme, de par sa course à la technologie, peut occasionner", a-t-il déclaré.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 22 mars 2011.

lundi 14 mars 2011

Réveil vénézuélien

Tournage au Venezuela du film "El chico que miente" de Marité Ugás.
(Ph: SUDACA FILMS)

CINÉMA - Au Venezuela, la production nationale commence à gagner sa place auprès du public avec, en coulisses, une politique de soutien aux talents locaux. La sélection du film "El chico que miente" dans la compétition du dernier Festival de Berlin témoigne de cette renaissance.

Le film El chico que miente (Le garçon qui ment) raconte l'histoire d'un adolescent de 13 ans qui a perdu sa mère lors des tragiques inondations dans l'Etat de Vargas, en 1999. Dix ans plus tard, persuadé qu'elle est toujours en vie, il décide de partir à sa recherche le long des côtes du Venezuela. Réalisé par la Péruvienne Marité Ugás, mais écrit et produit par la Vénézuélienne Mariana Rondón, ce road movie sélectionné en compétition au dernier Festival de Berlin participe de ce qu'on pourrait appeler la renaissance du cinéma vénézuélien.

"Après avoir été un genre en soi, notre cinéma commence à se diversifier. On produit maintenant des films historiques, des comédies romantiques, etc. Ce qui ouvre un grand nombre de possibilités", explique Mariana Rondón. Scénariste et productrice d'El chico que miente, elle a par ailleurs réalisé Cartes postales de Leningrad, primé au festival Biarritz Amérique latine en 2007.

Lors du tournage de ce film, en 2003, les structures publiques d'aide à la production n'existaient pas encore. "A l'époque, il n'y avait pas d'argent. Je dirais qu'il a fallu attendre 2007 pour voir arriver des subventions au cinéma".

C'est effectivement en 2006 qu'a été créée la Villa del Cine, une maison de production 100 % publique. La même année naissait aussi Amazonia Films, fondation de l'Etat destinée à la diffusion des oeuvres cinématographiques. C'est encore en 2006 qu'a vu le jour le Fonds de promotion et de financement du cinéma (Fonprocine), administré par le Centre national autonome de cinématographie (CNAC), institution qui existe, elle, depuis 1994.

Investissements publics

L'effort commence à porter ses fruits et les chiffres en témoignent: 50 longs métrages ont été produits au Venezuela entre 1993 et 2005, puis 75 au cours des cinq années suivantes. Et d'après Mariana Rondón, la tendance devrait se confirmer en profitant d'un phénomène intéressant: "Beaucoup de cinéastes qui ont étudié ou qui vivaient à l'étranger reviennent maintenant au Venezuela. Le CNAC vient d'ouvrir les candidatures pour l'année en cours et ils sont tous ici en train de déposer leurs projets".

La réforme de la Loi sur le cinéma en 2005 constitue un autre instrument décisif de cette renaissance. Elle a permis entre autres la création du Fonprocine et oblige les salles à distribuer les films nationaux durant deux semaines au moins. "Les résultats sont fantastiques. Pour vous donner un exemple, à la sortie de mon premier long métrage, le distributeur a annulé la projection la veille de l'avant-première, sous prétexte qu'il avait un 'meilleur film' à passer. Et je me suis retrouvée avec mon film sur les bras sans savoir quoi faire! Aujourd'hui, avec la loi et ces instruments pour nous défendre, les avancées sont immenses".

Former les spectateurs

Au-delà des progrès dans la production de longs métrages, l'un des défis majeurs reste de capter un public habitué presque exclusivement et depuis des décennies au cinéma commercial nord-américain. Dans cette optique, Amazonia Films distribue les oeuvres nationales en DVD à des prix accessibles, mais aussi des films étrangers. La Cinémathèque a par ailleurs inauguré un ample réseau de salles communautaires dans les différentes régions du pays. Et la chaîne publique TVes diffuse chaque semaine des films vénézuéliens et latino-américains pour le grand public.

Fondée en mai 2007 pour remplacer la chaîne commerciale RCTV arrivée à la fin de sa concession, TVes entend concilier culture et divertissement. "L'une de nos lignes de travail est la promotion de la production audiovisuelle nationale –ce mandat est même inscrit dans nos statuts. Nous devons créer un modèle de télévision qui permette de montrer nos créations et celles de nos voisins latino-américains, c'est notre objectif fondamental", explique William Castillo, président de la chaîne. "Nous savons que la télévision sert surtout à divertir et nous l'acceptons, mais sans souscrire au modèle commercial. Le but n'est pas d'abrutir les gens avec de la télé-poubelle, ni de les inciter à consommer. Nous pensons qu'on peut se divertir avec la culture, avec une réflexion sur notre propre réalité", précise-t-il.

Pour Manuela Blanco, anthropologue et réalisatrice de documentaires, le cinéma vénézuélien a pris de l'importance en devenant le réceptacle de certaines valeurs et en favorisant l'éveil d'une population plus conscientisée. "Il y a une vraie politique impulsée par l'Etat dans ce sens, même si tout ne fonctionne pas à merveille et qu'il manque parfois des mesures d'accompagnement. Mais on y arrive... L'année dernière a été particulièrement positive avec environ onze avant-premières de films nationaux. On peut dire que les gens ont recommencé à aller voir les films vénézuéliens".



Le cinéma, "miroir de l'âme des peuples"

Réalisatrice de documentaires et activiste à la longue trajectoire, Liliane Blaser évoque l'évolution du cinéma au Venezuela. Née d'un père suisse originaire du canton de Berne, elle dirige depuis 1986 une école de cinéma à Caracas.

Tournage du film "El chico que miente" de Marité Ugás.
(Ph: SUDACA FILMS)

Comment êtes-vous arrivée au documentaire?

Liliane Blaser: Ma mère avait une caméra 16 mm et filmait énormément. Elle était très pédagogue et, pour mes 16 ans, elle m'a acheté ma première caméra, une Super 8. J'ai commencé à filmer et j'ai réalisé un premier court métrage expérimental où je racontais toute l'histoire du monde en 3 minutes!

Ensuite, au début des années 1970, avec un groupe de quatre ou cinq fous, nous avons créé la Communauté de travail et d'investigation (Cotrain). Au départ, nous faisions du travail social dans les quartiers défavorisés de Caracas. Je me suis rendue compte que, pour changer les choses, notre action était importante mais pas suffisante. Nous avons alors fait du théâtre, du cinéma et des revues, en cherchant un peu quel serait notre média. L'art est pour moi une très belle fin en soi, mais c'est aussi un moyen pour transformer la réalité: ce n'est pas juste de "l'art pour l'art".

Quelles sont les étapes qui ont marqué l'évolution du cinéma vénézuélien?

– Dans les années 1960, il y avait un cinéma très militant, "imparfait" dans le sens où il était réalisé avec des bouts de ficelle. Ces films ont eu une grande influence idéologique, même s'ils n'ont pas pour autant provoqué de révolution. Durant la décennie suivante, avec la hausse du prix du pétrole (et l'importante entrée d'argent dans le pays qui en découle, ndlr), on a vu apparaître beaucoup de fictions et de long métrages. Les moyens nécessaires à leur production étaient là. Ces films qui étaient encore attachés à nos racines sociales s'en sont peu à peu détachés pour s'orienter vers des formes plus commerciales, tout en restant quand même du cinéma d'auteur.

A la Communauté de travail et d'investigation, nous avions à l'époque une vision différente de ce qu'était le septième art: nous étions un peu comme une île qui résistait face aux attaques du néolibéralisme. Aujourd'hui, avec la Villa del Cine et toutes ces facilités, le cinéma d'auteur a plus de possibilités. Celui qui a un bon scénario et un peu d'expérience parvient facilement à trouver un financement. En ce qui concerne le profil idéologique des oeuvres, on se rend compte que les institutions soutiennent des productions de natures très différentes, qu'on peut tourner toutes sortes de films au Venezuela.

Comment voyez-vous le futur du secteur?

– Je pense qu'il y aura de plus en plus de personnes formées et d'opportunités. On peut observer une volonté, tant individuelle qu'institutionnelle, de démocratiser le cinéma dans le pays. Cela dit, il faut encore que les gens –le gouvernement comme l'homme de la rue– comprennent que le cinéma est le miroir de l'âme des peuples. Qu'il s'agit là de quelque chose d'important, car c'est le reflet des processus vécus par ces populations.



Articles publiés dans le quotidien suisse Le Courrier le 12 mars 2011.

lundi 7 mars 2011

Le fiasco libyen de TeleSUR

(Photo: Seb)

Après les déclarations plus que douteuses des gouvernements dits "progressistes" d’Amérique latine, c’est la chaîne multiétatique TeleSUR qui a surpris en serrant les rangs derrière le régime libyen.


"L’ennemi de mon ennemi est mon ami", c’est probablement la formule qui résume la position adoptée ces derniers jours par certains gouvernements réputés progressistes d’Amérique latine face aux soulèvements populaires que vit la Libye. Mais la prise de position la plus inattendue fut sans doute celle de la chaîne publique latino-américaine basée à Caracas. Développant depuis quelques mois déjà sa couverture de l’actualité au Moyen-Orient, TeleSUR a disposé d’un correspondant à Tripoli à partir du 23 février. L’envoyé spécial de la chaîne (Jordan Rodríguez) a reconnu, lors de son premier contact téléphonique, avoir été détenu durant près de cinq heures par les forces de sécurité à son arrivée à l’aéroport. Cependant, vu les bonnes relations que le gouvernement vénézuélien (principal actionnaire de TeleSUR) entretient avec la Libye, quelques coups de fil haut placés ont probablement permis de débloquer la situation et rendu possible l’entrée du jeune journaliste en territoire proscrit à la plupart des médias.


Les premiers commentaires sur place de l’envoyé spécial ont fait preuve d’un manque total d’honnêteté intellectuelle, se limitant à assurer que tout était "normal" à Tripoli et que les manifestations étaient "de soutien à Kadhafi". Par la suite, le site web de la chaîne publiera un article titré : "Tripoli se manifeste en faveur de Kadhafi et les opposants disent contrôler l’est de la Libye" (1). Alors que le journal Le Monde disposait d’une envoyée spéciale dans l’est du pays en plein soulèvement, la chaîne qui se prétend le porte-voix des opprimés du Sud se contentait de reportages sur la place Verte de Tripoli, au milieu de quelques manifestants pro-Kadhafi.


L’anti-impérialisme à quel prix ?


Ce n’est qu’à partir du 25 février que le site www.telesurtv.net reflètera les commentaires d’un autre correspondant depuis Benghazi, en donnant cette fois la parole aux opposants. Ce second envoyé spécial, Reed Lindsay, informera enfin clairement des crimes commis par le régime et commentera même depuis son compte Twitter (@reedtelesur) le 28 février : "Les habitants de Benghazi demandent que les gouvernements de l’ALBA abandonnent Kadhafi et appuient la lutte révolutionnaire du peuple libyen".


Ce parti pris de la chaîne (et des gouvernements de l’Alternative bolivarienne des Amériques -ALBA- en général) prétend défendre un soi-disant anti-impérialisme de la Libye de Kadhafi face aux Etats-Unis et à l’Europe. Il montre cependant toutes les limites d’une telle appréciation politique qui mène ses partisans, consciemment ou non, à se positionner contre les peuples au nom de l’anti-impérialisme.



Note:


(1) Trípoli se manifiesta a favor de Gaddafi y opositores dicen controlar el este de Libia, le 23 février 2011.




Article publié dans la rubrique "Vu d'Amérique" du bimensuel suisse L’Anticapitaliste n° 42, le 3 mars 2011.


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