samedi 13 septembre 2008

L'opposition bolivienne tente le passage en force

Une trentaine de paysans ont été assassinés jeudi dernier par des milices armées de l'opposition dans le département de Pando. (Photo: Abi)

Le référendum du 10 août dernier a réaffirmé la légitimité du premier président indigène de Bolivie. Élu en 2005 avec 53,7% de voix, Evo Morales a en effet été réélu par plus de 67% des électeurs. Mais ses principaux opposants, les préfets autonomistes des riches départements de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija, ont également été ratifiés lors de ce scrutin. Ils parient désormais sur un passage en force pour tenter d'enrayer le processus de transformations sociales en marche.


"Nous démontrons une fois de plus que le Beni est uni, qu'il va défendre son autonomie et ses recettes provenant de l'IDH (Impôt direct sur les Hydrocarbures). Ces manifestations ne sont rien d'autre que l'exécution d'un plan que nous avons élaboré pour la récupération de l'IDH".

Telles sont les déclarations du président du Comité civique juvénile du Beni, José Luis Peñafiel, après la prise des installations du Service départemental d'Education de cette région du nord du pays. Durant l'action menée par les membres du Comité, un dirigent paysan et une femme furent malmenés par les assaillants.

Ce type d'action est devenu monnaie courante depuis l'échec de l'opposition bolivienne de révoquer le président Morales par les urnes. Voyant le vent tourner, les préfets autonomistes avaient même un moment envisagé de boycotter un référendum qu'ils avaient eux-même exigé.

Le 15 août dernier, les membres de l'Union des Jeunesses de Santa Cruz ont essayé d'occuper par la force le siège départemental de la Police nationale. Les membres de cette organisation de droite radicale ont attaqué les installations policières à jets de pierres, bâtons et pétards.

Selon l'aveu de Peñafiel, les opposants à Evo Morales n'hésiteront pas a exécuter "de telles mesures radicales" dans les prochaines semaines, notamment pour récupérer les recettes provenant de l'IDH.

Sur décision du gouvernement bolivien, 30% des recettes de cet impôt (l'équivalent de 166 millions de dollars par an) destinées aux régions, sont actuellement utilisés pour financer les retraites des personnes de plus de 60 ans, sous le nom de "Rente de la Dignité" (Renta Dignidad).

Le panorama reste complexe

Les mesures sociales comme la Renta Dignidad, les politiques d'éducation pour tous appuyées par un plan d'alphabétisation avec l'aide de Cuba et du Venezuela, ainsi que la politique de nationalisation et de récupération des ressources naturelles, entre autres, ont convaincu 67,41% des boliviens (2 103 732 personnes sur 3 120 724 votes valides) de permettre à Evo Morales et à son vice président, Alvaro García Linera, de terminer leur mandat.

Lors du scrutin du 10 août, les préfets de huit des neuf départements du pays se sont également soumis à référendum. La neuvième, Savina Cuellar (1), du département de Chuquisaca, venait d'être élue en juin suite à la démission de l'autorité précédente et n'a donc pas dû se soumettre à l'épreuve des urnes.

Deux préfets d’opposition ont été révoqués, il s'agit de Manfred Reyes de Cochabamba et de José Luis Paredes de La Paz. Du côté des appuis à Evo Morales, tous ont été confirmés dans leurs fonctions. Après dépouillement de 100% des urnes, la Court nationale électorale (CNE) a annoncé fin août la ratification de justesse d'Alberto Aguilar, du département d'Oruro, avec 50,85% des voix.

Mais si le référendum révocatoire était sensé clarifier le jeu politique, la ratification des préfets autonomistes, qui avaient organisé des consultations régionales (considérées illégales par la CNE) en faveur d'une autonomie départementale, n'a pas permis de débloquer la situation.

Appelés au dialogue par l'exécutif national au lendemain du 10 août, les leaders de l'opposition ont bien vite claqué la porte des négociations et appelé à la grève générale.

Celle-ci ne fut suivie que partiellement mais les dirigeants "civiques" et les préfets d'opposition, réunis au sein du Conseil national démocratique (Conalde), ont ensuite annoncé fin août des blocages de routes, l'occupation d'installations pétrolières et la fermeture de valves de gazoducs, notamment dans la région de Santa Cruz. Et ce de manière indéfinie jusqu'à obtenir la récupération de la totalité de l'IDH pour les budgets départementaux.

Le 22 août, un porte-parole du Comité civique de Tarija avait même déclaré ne pas exclure des actions plus radicales allant jusqu'à "obliger" le gouvernement du président Morales à "rendre ce qu'il a volé".

Face à ces menaces, le gouvernement bolivien a sommé l'armée de garantir la sécurité des installations gazières et pétrolières, principales ressources économiques du pays. L'exécutif a également répondu par un décret établissant des sanctions aux préfectures, mairies ou fonctionnaires qui se feraient écho de telles actions.

Selon l'Agence bolivienne d'Information (ABI), les coûts qui découlent de la réparation et de la remise en marche des installations affectées par les blocages, ainsi que les pertes occasionnées à l'Etat, devront être assumés par les entités concernées.

Retarder l'approbation de la constitution

Malgré sa victoire dans 95 des 112 provinces du pays, Evo Morales n'a pas obtenu la reconnaissance espérée d'une opposition qui se radicalise de jour en jour. Le référendum révocatoire était déjà un stratagème avancé par la droite pour retarder l'approbation de la nouvelle constitution, les revendications sur l'IDH en sont un autre.

Le gouvernement bolivien doit maintenant s’atteler à convoquer de nouvelles élections à Cochabamba et La Paz pour remplacer les préfets révoqués, ainsi qu’à faire voter la nouvelle constitution. Rédigé par une Assemblée constituante, le nouveau texte fondamental fut approuvé en décembre dernier par celle-ci, malgré le boycott des partis de droite.

Fin août, Mr. Morales avait annoncé la réalisation des deux scrutins régionaux (Cochabamba et La Paz) pour le 7 décembre prochain, ainsi que la tenue du référendum national sur le texte constitutionnel.

La journée devait également inclure une consultation populaire sur le nombre maximum d’hectares autorisés pour les propriétés terriennes privées (5 000 ou 10 000 hectares), article qui figure dans le projet de constitution et qui n’a pu être tranché par l’Assemblée constituante.

Cependant, quelques jours plus tard, la Court nationale électorale rejetait le décret émis par le Président de la République et exigeait que la convocation se fasse par un projet de loi qui doit maintenant être approuvé par le Congrès.

La date du prochain référendum reste donc encore floue, d’autant plus que l’opposition va essayer de bloquer ce projet de loi au Congrès.

La ratification d'une nouvelle constitution, qui permettrait une réélection du président Morales et enclencherait surtout la mise en oeuvre d'une réforme agraire interdisant les propriétés agricoles de plus de 5 000 ou 10 000 hectares, n'est pas du goût des latifundistes locaux. Certains d'entre eux sont en effet à la tête d'exploitations pouvant aller jusqu'à 200 000 hectares.

Pour empêcher cela, beaucoup sont prêts à aller jusqu'au bout. C'est le cas par exemple du président du Comité civique de Santa Cruz, Branco Marinkovic. Fils d'immigrés croates collaborateurs du régime oustachi, il est aujourd'hui à la tête d'une grande entreprise dans l'industrie du soja et, entre autres, ex président de la Fédération des Entrepreneurs privés de Santa Cruz.

La haine raciale qui anime également ces secteurs a occasionné en mai dernier des actes d'humiliation de paysans indigènes dans la ville de Sucre, capitale du département de Chuquisaca. Ceux-ci furent à moitié dénudés, rués de coups et obligés à marcher à genoux, et leurs vêtements brûlés sur la place publique.

Ambassadeur US persona non grata

Récemment, le 10 septembre, le président Morales a déclaré persona non grata l’ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie, Philip Goldberg, et exigé son départ du pays.

Goldberg, qui avait occupé par le passé le poste de chef de mission à Pristina, au Kosovo, est accusé par les autorités boliviennes de "conspirer contre la démocratie et promouvoir la division de la Bolivie".

Cette mesure n’est que l’aboutissement d’une série de plaintes officielles du gouvernement bolivien face à l’administration étasunienne. A plusieurs reprises, La Paz avait accusé Goldberg d’exercer des fonctions qui allaient au-delà de la simple mission diplomatique, et notamment de soutenir financièrement les groupes d’opposition à Morales (2).

Enfin, accident ou sabotage, l'hélicoptère Super Puma prêté par le Venezuela et qui transportait régulièrement le président Morales s'est mystérieusement écrasé en juillet dernier, lors d'un vol entre Cochabamba et la ville de Cobija à la frontière brésilienne, tuant 4 militaires vénézuéliens et un bolivien.

Le président Morales, qui aurait dû utiliser l'appareil quelques heures plus tard, affirma par la suite que "le processus de changement continuera à coûter du sang, pour certains en luttant et pour d'autres, comme ces pilotes, en servant le peuple bolivien".

Notes:

(1) Savina Cuellar est une dirigeante indigène qui a rallié les rangs l'opposition. Elle fut membre de l'Assemblée constituante à laquelle elle fut pourtant élue sur la liste du MAS (Mouvement au Socialisme, parti d'Evo Morales). Avant cela, elle avait appris à lire avec la méthode cubaine d'alphabétisation "Yo sí puedo".

(2) L’USAID (United States Agency for International Development) avait déjà été exclue de la région indigène du Chapare pour les mêmes motifs, avec l’appui massif des mouvements sociaux locaux.



Article publié dans Le Drapeau Rouge de septembre 2008 et dans FALMAG


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