mercredi 27 avril 2011

Sabino et la lutte pour la répartition des terres

Le cacique yukpa Sabino Romero lors d'un débat
à l'Université centrale du Venezuela. (Ph: Seb)


Arrêté en 2009 après des affrontements ayant coûté la vie à deux personnes, le cacique indigène vénézuélien Sabino Romero dénonce un procès tronqué avec, en trame de fond, la démarcation des terres ancestrales riches en ressources naturelles.


La lutte pour la terre dans les montagnes de Perijá remonte aux années 1930, lorsque les éleveurs de bétail (ganaderos) commencèrent à s'approprier les territoires historiquement occupés par les peuples indigènes de la zone, parmi lesquels les Yukpas. Par la suite, l'exploitation des mines de charbon par les multinationales fut également un facteur de déplacement de ces populations.

Sabino Romero, cacique d'une des communautés yukpas de la Sierra de Perijá (dans l'Etat de Zulia, à l'ouest du Venezuela), bataille depuis près de 30 ans pour la récupération de ces territoires ancestraux. En 2007, son père était assassiné par des sicarios (tueurs à gage).


Un décret présidentiel qui limite la participation des peuples

Lors des affrontements d'octobre 2009, Sabino lui-même figurait parmi les blessés. Il fut ensuite arrêté et accusé d'homicide. Le second cacique, Alexander Fernández, y perdit sa femme enceinte. Il fut lui aussi arrêté. Il dénonce aujourd'hui les mauvais traitements endurés: coups et sac sur la tête pour l'obliger à témoigner contre Sabino en échange de sa liberté. Mais Alexander n'a jamais plié. Depuis le 15 mars, tous deux jouissent de liberté conditionnelle mais le procès se poursuit. "Lors des audiences nous avons systématiquement dénoncé l'absence d'un procès équitable. Les 97 “preuves” présentent toutes des vices de procédure", explique Leonel Galindo, avocat volontaire qui défend la cause des Yukpas.

Les médias locaux ont tenté de présenter l'affaire comme une simple querelle entre familles indigènes. Mais les enjeux sont tout autres: il s'agit de la continuité du processus de démarcation des terres (et des intérêts financiers en jeu pour les ganaderos). Sabino en est l'un des plus fervents défenseurs, ayant rejeté tout "arrangement" favorable à ces derniers et refusant également de se plier aux discours et recommandations officielles. Car, si les populations indigènes ont vu leurs droits, langues et cultures officiellement reconnus par la Constitution de 1999, ainsi que par la Loi des Peuples et Communautés indigènes de 2005, leurs dispositions restent encore trop souvent lettres mortes. Aujourd'hui, Sabino profite de sa liberté pour dénoncer le lourd silence qu'ont par exemple maintenu les médias officiels envers la cause des Yukpas. Il dénonce également les prises de position de la ministre des Peuples indigènes, Nicia Maldonado.


Le jour même de sa libération, les organisations indigènes de l'Amazonie vénézuélienne (à l'autre extrême géographique du pays) se prononçaient elles aussi pour exiger une révision du processus de démarcation, qu'elles estiment confisqué par les autorités. Elles signalent ainsi que le décret présidentiel de novembre 2010, qui modifie les conditions de démarcation, "limite la participation directe des peuples et organisations indigènes". Elles dénoncent aussi la ministre Maldonado qu'elles accusent de "promouvoir la division, l'affrontement et de délégitimer les peuples indigènes et leurs organisations, compliquant de la sorte le processus de démarcation dans différentes régions du pays".



Article publié dans la rubrique "Vu d'Amérique" du bimensuel suisse L’Anticapitaliste n° 44, le 31 mars 2011.


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