mercredi 25 novembre 2009

Le processus bolivarien face à lui-même

Graffiti lors d'une manifestation des travailleurs du secteur électrique:
"Dans le PSUV ce sont les bases qui décident".
Pour l'instant plus un combat qu'un acquis... (Photo: Seb)


Le 15 novembre dernier, les militants du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) étaient appelés à élire leurs délégués au Congrès extraordinaire qui se déroulera du 21 novembre au 19 avril 2010. Ce congrès arrive à un moment clé pour le parti mais aussi pour le processus bolivarien qui affronte de plus en plus les conséquences de sa bureaucratisation.

Près de 2,5 millions de militants du PSUV étaient appelés à élire 772 délégués parmi 1800 candidats et candidates, le tout supervisé par le Conseil national électoral (1). "Il n'y a aucun doute sur le fait que cela a été une grande journée démocratique", commente Gonzalo Gómez, militant du PSUV élu parmi les délégués pour l'arrondissement de Caracas.

Pourtant Gonzalo, comme de nombreux militants de base, aurait aimé voir une plus grande représentation de camarades liés aux travailleurs, aux paysans et à ce qu'on appelle ici "la révolution dans la révolution". C'est une demande qui se fait de plus en plus sentir dans le mouvement populaire face à l'inefficacité de la bureaucratie et, bien souvent, la corruption qu'elle entraîne.

"Les militants ont élu directement leurs représentants au congrès, cependant tous ces votes n'ont pas la même orientation. Il existe des différences politiques parmi les délégués, des différences sur les rythmes que doit suivre la révolution, des différences sur la relation entre le parti et l'Etat, etc.", explique Gonzalo, qui est également co-fondateur du site web d'information alternative Aporrea.org.

Il faut dire que jusqu'à présent, la relation parti-Etat n'a pas vraiment favorisé l'apparition de nouvelles figures politiques. En mai dernier le président vénézuelien Hugo Chávez, qui est aussi le président du PSUV, avait annoncé une réorganisation du parti en désignant les responsables des directions régionales. Résultat : la première vice-présidente du parti n'est autre que Cilia Flores, présidente de l'Assemblée nationale (Parlement). Et parmi les six responsables régionaux, quatre sont des ministres en fonction.

C'est donc là l'un des principaux défis de ce congrès, arriver à installer un rapport de force face à la bureaucratie. "Le parti représente encore énormément l'appareil d'Etat", reconnait Gonzalo. Mais l'organisation manque également de structures intermédiaires, entre les "patrouilles" (unités de bases réorganisées récemment et composées de 20 à 30 de militants) et les directions régionales, ce qui rend la tâche des cadres moyens plus difficile et ne facilite pas du tout la communication entre ces mêmes patrouilles.

Un congrès au tiroir?

En janvier 2008, le PSUV avait réalisé son congrès de fondation, qui devait jeter les bases de son fonctionnement démocratique. Cependant, beaucoup de questions restent toujours sans réponse à l'heure actuelle. Gonzalo Gómez estime que ce congrès de décembre sera le véritable congrès de fondation du parti. "Le congrès de 2008 n'a pas été mené à son terme. Les statuts et la déclaration de principes ont été approuvés, mais le parti et sa direction n'ont pas assimilé ces apports avec maturité. Nous étions en période préélectorale et cela a fait en sorte que ces propositions se retrouvent au tiroir", ajoute-t-il.

Le fonctionnement du parti sera donc à l'ordre du jour mais les militants demandent aussi une définition claire du projet socialiste. La participation des travailleurs dans la gestion des entreprises, la nécessité de rompre les structures de l'Etat bourgeois et d'avancer vers un véritable pouvoir populaire seront également mis sur la table par certains délégués. "Les propositions des mouvements sociaux doivent parvenir au parti, les travailleurs doivent eux aussi avoir une plus grande place dans la direction et passer des revendications syndicales aux revendications politiques. Il y a des pas qui sont fait dans ce sens", précise Gonzalo.

Finalement, les failles internes du PSUV ne sont que le reflet des freins qui pèsent sur le processus en cours au Venezuela. Enquilosé par la bureaucratie, il a encore l'opportunité d'avancer mais doit agir vite. L'ex-vice président de la République, José Vicente Rangel, alertait récemment dans un article publié dans la presse locale sur "le pessimisme qui avance dangereusement". Le titre de son article: "Quelque chose est en train de se passer"...

Note:

(1) Au Venezuela le "pouvoir électoral" constitue un pouvoir à part entière, en plus de l'Exécutif, du Législatif, du Judiciaire et du pouvoir citoyen. Le Conseil national électoral (CNE) est chargé d'organiser non seulement les élections classiques mais également les élections internes des organisations syndicales et politiques. Parmi ces dernières, le PSUV est la seule jusqu'à présent à avoir rempli cette exigence démocratique pourtant reconnue dans la Constitution.

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Article à paraître dans le prochain numéro de La Gauche et repris sur le site du NPA

mardi 24 novembre 2009

Le projet d’Hugo Chávez se heurte au mur de la bureaucratie

La crise électrique révèle les difficultés du gouvernement à faire bouger son administration, jugée tour à tour monolithique ou incohérente.

"Nous avons commis des erreurs: des projets mal exécutés, des délais mal calculés, des failles dans la planification, dans la maintenance..." Fin octobre, le président vénézuélien Hugo Chávez mettait le doigt sur les problèmes du secteur électrique, l'un des domaines stratégiques au centre de la critique ces derniers mois. Malgré les investissements faramineux (5 milliards de dollars entre 2008 et 2009; et 20 milliards prévus pour les cinq prochaines années), les coupures de courant sont fréquentes dans le pays et la Corporation électrique nationale (Corpoelec) est contrainte de rationner dans certaines régions.

D'après Angel Navas, président de la Fédération des travailleurs du secteur électrique, cette contradiction entre investissements massifs et inefficacité n'est pas uniquement propre à ce secteur. "Cela se passe dans de nombreuses institutions et entreprises de l'Etat où la bureaucratie maquille les faits, ment et dissimule les problèmes afin de maintenir ses positions et ses privilèges", explique-t-il.

Contrôle social


Le sujet est d'autant plus sensible que des secteurs primordiaux sont touchés, tels que la santé (lire ci-dessous), la justice, la sécurité, la production alimentaire, le fonctionnement des institutions et affecte même le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, présidé par M. Chávez), dont le premier congrès extraordinaire, qui doit se dérouler du 21 novembre au 13 décembre (1), est déjà perçu par la base comme un moment décisif dans la définition non seulement du parti lui-même mais aussi du processus politique en cours.

Dans le secteur électrique, il aura fallu la mobilisation des travailleurs eux-mêmes pour mettre enfin le thème à l'agenda et ouvrir des négociations. Les problèmes du réseau ont pris une telle ampleur que le 21 octobre Hugo Chávez a décrété la création d'un ministère exclusivement dédié à l'énergie électrique (cette matière était jusque-là compétence du ministère de l'énergie et pétrole). En outre, une "commission stratégique" a été instituée, histoire de faire la lumière sur la gestion de Corpoelec, dont le directeur vient d'être remercié.

Reste à savoir si un nouveau ministère pourra résoudre les problèmes créés par un autre ministère. Apparemment conscient des limites de la mesure, le président vénézuélien a fait un pas en direction des revendications des travailleurs et "donné des instructions" pour qu'ils soient incorporés directement à la gestion de l'entreprise électrique nationale. "Ils et elles seront les principaux artisans de la relance dont nous avons besoin", a-t-il assuré.


L'esprit des missions


L'idée de la participation active de la population et des travailleurs dans la prise de décision n'est pas neuve, elle est même omniprésente dans le discours officiel. Cependant, dans les faits, les expériences ont jusqu'à présent démontré toutes les difficultés de la mettre en pratique au sein des structures actuelles de l'État. Les fonctionnaires détenant un certain pouvoir ne sont évidemment pas pressés de le perdre. Face à cela, le manque d'organisation des travailleurs et d'articulation politique populaire au niveau national se fait cruellement sentir.


Pour Roland Denis, vice-ministre de Planification et du développement entre 2002 et 2003 et critique de gauche de l'action gouvernementale, la politique participative bien que toujours présente est de plus en plus contrecarrée par ce qu'il défini comme "la machine bureaucratique, oligarchique et économique".


D'après lui, le meilleure exemple des effets de ce frein bureaucratique sont les missions sociales impulsées par le gouvernement. "Les missions ont été conçues entre 2002 et 2003 comme la naissance d'un nouvel ordre d'État, d'un nouveau pouvoir complètement étranger à la logique bureaucratique. Les militants sociaux s'y sont incorporés massivement. Mais l'énorme capacité financière de l'État ces dernières années lui a donné énormément de pouvoir pour coopter le travail militant. Les missions ont perdu leur vision d'autonomie et de rupture avec la bureaucratie, elles se sont institutionnalisées. En général, on peut dire qu'une bureaucratie politique a capturé le langage, le programme et l'imagerie d'espoir qui s'était développée (dans les luttes) dans les années 1980 et 1990 dans ce pays", analyse-t-il.


Redresser la barre


C'est dans ce contexte que se profilent déjà à l'horizon les élections législatives de fin 2010. Pour les plus critiques, la bataille promet d'être serrée et constituera probablement un moment clé pour le gouvernement de Hugo Chávez et pour le mouvement populaire. Quel que soit le résultat, l'opposition a tout à y gagner, étant donné qu'elle ne compte pratiquement aucune représentation à l'Assemblée nationale actuelle (pour avoir boycotté les législatives de 2005).


Enfin, après le PSUV, c'est l'Union nationale des Travailleurs (UNT) qui devrait tenir son congrès en cette fin d'année pour tenter de surmonter les divisions et de créer une véritable organisation syndicale progressiste autonome capable de peser dans les revendications et d'affronter la bureaucratie. Le processus de changements sociaux réalisables dans le cadre de l'État bourgeois aurait-il atteint ses limites?


Note:

(1) Le congrès extraordinaire du PSUV a commencé le samedi 21 novembre et devrait s'étendre jusqu'au premier trimestre 2010.



Un système de santé atteint de "contradiction idéologique"

"Le gouvernement investi dans la santé comme aucun gouvernement ne l'avait fait auparavant. Mais malgré les dépenses considérables les réponses sont insatisfaisantes" (Photo: Seb)

L'extension du système de santé
aux couches les plus pauvres de la population a été l'un des premiers et des plus importants défis qu'a assumé le gouvernement bolivarien. Selon l'Institut national de statistiques (INE), plus de 8 millions de personnes profitent aujourd'hui de la mission d'attention médicale Barrio Adentro et le Venezuela destine actuellement environ 9% de son PIB à la santé (contre 2,3% en 1998).


Pourtant ici aussi les problèmes se font sentir: manque de personnel qualifié, de places disponibles, de matériel, de coordination entre les différents réseaux, projets paralysés ou inaugurés à la va-vite, etc. Pour y pallier, le 8 octobre dernier le président Chávez a annoncé l'incorporation de 1000 nouveaux médecins cubains au programme Barrio Adentro, dont 220 étaient déjà arrivés la veille à Caracas.


Mais d'après Luisana Melo, médecin membre du Mouvement socialiste pour la qualité de vie et la santé (Moscavis), les dernières mesures prises par le gouvernement ne sont pas suffisantes pour résoudre le problème structurel. Elle estime que l'obstacle fondamental est le manque d'un véritable système national de santé publique capable de coordonner et de planifier ses propres politiques.
"Nous avons actuellement une quantité impressionnante de sous-systèmes et de régimes de prestations de santé. Barrio Adentro en fait partie mais n'est qu'un sous-système de plus, parallèle à tous ceux que nous comptons déjà".

Il existe en effet de nombreux réseaux: celui du ministère de la Santé, de l'Institut vénézuélien de sécurités sociales (IVSS), chaque mairie dispose de son propre système, de même que chaque Etat régional, sans parler des cliniques privées et autres. "Cela a constitué l'un des principaux inconvénients pour la construction et le fonctionnement adéquat d'un système publique national de santé", insiste-t-elle.

Par ailleurs, l'État central contribue paradoxalement à financer les institutions de santé privées via les assurances privées HCM (Hospitalisation, Chirurgie et Maternité) dont jouissent les employés du secteur public. "De l'argent public qui va directement dans les caisses du système privé", juge Mme Melo, qui estime que cette "énorme contradiction idéologique" ne garanti même pas le droit à la santé des fonctionnaires de l'État.
"Aujourd'hui le gouvernement investi dans la santé comme aucun gouvernement ne l'avait fait auparavant. Mais étant donné que chaque investissement se fait de façon isolée, les résultats se traduisent au jour le jour par des dépenses considérables et des réponses insatisfaisantes", ajoute-t-elle. En plus de cela, elle estime que ce modèle de financement segmenté contribue à reproduire le germe de la corruption.

Selon le Dr Melo, "L'État
doit approfondir les avancées obtenues jusqu'à présent en matière de santé et respecter ce qui est établi dans la constitution, envers laquelle il a une dette de dix ans déjà qui comprend la promulgation d'une loi de la santé, basée sur les principes de gratuité, d'équité et d'universalité".



Articles publiés dans le quotidien suisse Le Courrier le 14 novembre 2009


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