lundi 14 mars 2011

Réveil vénézuélien

Tournage au Venezuela du film "El chico que miente" de Marité Ugás.
(Ph: SUDACA FILMS)

CINÉMA - Au Venezuela, la production nationale commence à gagner sa place auprès du public avec, en coulisses, une politique de soutien aux talents locaux. La sélection du film "El chico que miente" dans la compétition du dernier Festival de Berlin témoigne de cette renaissance.

Le film El chico que miente (Le garçon qui ment) raconte l'histoire d'un adolescent de 13 ans qui a perdu sa mère lors des tragiques inondations dans l'Etat de Vargas, en 1999. Dix ans plus tard, persuadé qu'elle est toujours en vie, il décide de partir à sa recherche le long des côtes du Venezuela. Réalisé par la Péruvienne Marité Ugás, mais écrit et produit par la Vénézuélienne Mariana Rondón, ce road movie sélectionné en compétition au dernier Festival de Berlin participe de ce qu'on pourrait appeler la renaissance du cinéma vénézuélien.

"Après avoir été un genre en soi, notre cinéma commence à se diversifier. On produit maintenant des films historiques, des comédies romantiques, etc. Ce qui ouvre un grand nombre de possibilités", explique Mariana Rondón. Scénariste et productrice d'El chico que miente, elle a par ailleurs réalisé Cartes postales de Leningrad, primé au festival Biarritz Amérique latine en 2007.

Lors du tournage de ce film, en 2003, les structures publiques d'aide à la production n'existaient pas encore. "A l'époque, il n'y avait pas d'argent. Je dirais qu'il a fallu attendre 2007 pour voir arriver des subventions au cinéma".

C'est effectivement en 2006 qu'a été créée la Villa del Cine, une maison de production 100 % publique. La même année naissait aussi Amazonia Films, fondation de l'Etat destinée à la diffusion des oeuvres cinématographiques. C'est encore en 2006 qu'a vu le jour le Fonds de promotion et de financement du cinéma (Fonprocine), administré par le Centre national autonome de cinématographie (CNAC), institution qui existe, elle, depuis 1994.

Investissements publics

L'effort commence à porter ses fruits et les chiffres en témoignent: 50 longs métrages ont été produits au Venezuela entre 1993 et 2005, puis 75 au cours des cinq années suivantes. Et d'après Mariana Rondón, la tendance devrait se confirmer en profitant d'un phénomène intéressant: "Beaucoup de cinéastes qui ont étudié ou qui vivaient à l'étranger reviennent maintenant au Venezuela. Le CNAC vient d'ouvrir les candidatures pour l'année en cours et ils sont tous ici en train de déposer leurs projets".

La réforme de la Loi sur le cinéma en 2005 constitue un autre instrument décisif de cette renaissance. Elle a permis entre autres la création du Fonprocine et oblige les salles à distribuer les films nationaux durant deux semaines au moins. "Les résultats sont fantastiques. Pour vous donner un exemple, à la sortie de mon premier long métrage, le distributeur a annulé la projection la veille de l'avant-première, sous prétexte qu'il avait un 'meilleur film' à passer. Et je me suis retrouvée avec mon film sur les bras sans savoir quoi faire! Aujourd'hui, avec la loi et ces instruments pour nous défendre, les avancées sont immenses".

Former les spectateurs

Au-delà des progrès dans la production de longs métrages, l'un des défis majeurs reste de capter un public habitué presque exclusivement et depuis des décennies au cinéma commercial nord-américain. Dans cette optique, Amazonia Films distribue les oeuvres nationales en DVD à des prix accessibles, mais aussi des films étrangers. La Cinémathèque a par ailleurs inauguré un ample réseau de salles communautaires dans les différentes régions du pays. Et la chaîne publique TVes diffuse chaque semaine des films vénézuéliens et latino-américains pour le grand public.

Fondée en mai 2007 pour remplacer la chaîne commerciale RCTV arrivée à la fin de sa concession, TVes entend concilier culture et divertissement. "L'une de nos lignes de travail est la promotion de la production audiovisuelle nationale –ce mandat est même inscrit dans nos statuts. Nous devons créer un modèle de télévision qui permette de montrer nos créations et celles de nos voisins latino-américains, c'est notre objectif fondamental", explique William Castillo, président de la chaîne. "Nous savons que la télévision sert surtout à divertir et nous l'acceptons, mais sans souscrire au modèle commercial. Le but n'est pas d'abrutir les gens avec de la télé-poubelle, ni de les inciter à consommer. Nous pensons qu'on peut se divertir avec la culture, avec une réflexion sur notre propre réalité", précise-t-il.

Pour Manuela Blanco, anthropologue et réalisatrice de documentaires, le cinéma vénézuélien a pris de l'importance en devenant le réceptacle de certaines valeurs et en favorisant l'éveil d'une population plus conscientisée. "Il y a une vraie politique impulsée par l'Etat dans ce sens, même si tout ne fonctionne pas à merveille et qu'il manque parfois des mesures d'accompagnement. Mais on y arrive... L'année dernière a été particulièrement positive avec environ onze avant-premières de films nationaux. On peut dire que les gens ont recommencé à aller voir les films vénézuéliens".



Le cinéma, "miroir de l'âme des peuples"

Réalisatrice de documentaires et activiste à la longue trajectoire, Liliane Blaser évoque l'évolution du cinéma au Venezuela. Née d'un père suisse originaire du canton de Berne, elle dirige depuis 1986 une école de cinéma à Caracas.

Tournage du film "El chico que miente" de Marité Ugás.
(Ph: SUDACA FILMS)

Comment êtes-vous arrivée au documentaire?

Liliane Blaser: Ma mère avait une caméra 16 mm et filmait énormément. Elle était très pédagogue et, pour mes 16 ans, elle m'a acheté ma première caméra, une Super 8. J'ai commencé à filmer et j'ai réalisé un premier court métrage expérimental où je racontais toute l'histoire du monde en 3 minutes!

Ensuite, au début des années 1970, avec un groupe de quatre ou cinq fous, nous avons créé la Communauté de travail et d'investigation (Cotrain). Au départ, nous faisions du travail social dans les quartiers défavorisés de Caracas. Je me suis rendue compte que, pour changer les choses, notre action était importante mais pas suffisante. Nous avons alors fait du théâtre, du cinéma et des revues, en cherchant un peu quel serait notre média. L'art est pour moi une très belle fin en soi, mais c'est aussi un moyen pour transformer la réalité: ce n'est pas juste de "l'art pour l'art".

Quelles sont les étapes qui ont marqué l'évolution du cinéma vénézuélien?

– Dans les années 1960, il y avait un cinéma très militant, "imparfait" dans le sens où il était réalisé avec des bouts de ficelle. Ces films ont eu une grande influence idéologique, même s'ils n'ont pas pour autant provoqué de révolution. Durant la décennie suivante, avec la hausse du prix du pétrole (et l'importante entrée d'argent dans le pays qui en découle, ndlr), on a vu apparaître beaucoup de fictions et de long métrages. Les moyens nécessaires à leur production étaient là. Ces films qui étaient encore attachés à nos racines sociales s'en sont peu à peu détachés pour s'orienter vers des formes plus commerciales, tout en restant quand même du cinéma d'auteur.

A la Communauté de travail et d'investigation, nous avions à l'époque une vision différente de ce qu'était le septième art: nous étions un peu comme une île qui résistait face aux attaques du néolibéralisme. Aujourd'hui, avec la Villa del Cine et toutes ces facilités, le cinéma d'auteur a plus de possibilités. Celui qui a un bon scénario et un peu d'expérience parvient facilement à trouver un financement. En ce qui concerne le profil idéologique des oeuvres, on se rend compte que les institutions soutiennent des productions de natures très différentes, qu'on peut tourner toutes sortes de films au Venezuela.

Comment voyez-vous le futur du secteur?

– Je pense qu'il y aura de plus en plus de personnes formées et d'opportunités. On peut observer une volonté, tant individuelle qu'institutionnelle, de démocratiser le cinéma dans le pays. Cela dit, il faut encore que les gens –le gouvernement comme l'homme de la rue– comprennent que le cinéma est le miroir de l'âme des peuples. Qu'il s'agit là de quelque chose d'important, car c'est le reflet des processus vécus par ces populations.



Articles publiés dans le quotidien suisse Le Courrier le 12 mars 2011.

6 commentaires:

khanouff a dit…

Tunisien, blogueur et intéressé par l’expérience du Venezuela en matière de lutte contre la corruption. Avec des amis nous somme entrés en contacte avec Transparency International pour la création d’une antenne Tunisie, mais les outils de travail proposé par cette association ne convenaient pas tous aux attentes d’un pays qui sort de 23 ans de dictature et de pillage. Voilà ma requête si c’est possible pour vous de m’aider à entrer en contacte avec la société civile vénézuélienne. Merci.
http://tnkhanouff.hautetfort.com/

olivia kroth a dit…

Bonjour,
encore un post très informatif. Merci.
Le cinéma, c'est le "miroir de l'ame d'un peuple", c'est vrai.

Kepler a dit…

Khanouff,

Je suis vénézuélien. Mon pays était déjà très corrupt en 1998. Depuis que Chávez et ses militaires sont au pouvoir, la corruption est devenue pire. Transparency International a déjà documenté la situation chez nous. J'ai aussi écrit au sujet.
mots clés: Plan Bolívar, Pudreval (avec un du clan Chávez), Diosdado Cabello, etc.

olivia kroth a dit…

Transparency International est une facade de la CIA. Que Dieu sauve Hugo Chávez et le Vénézuéla de l'agréssion du "Western Fourth Reich" !

khanouff a dit…

Merci Kepler, est-il possible d'avoir un échange d'idées et d'expériences avec vous? Mon mail est khanouff(at)voila.fr mon profile sur facebook est Rifaât Kristou.

Kepler a dit…

Chere Madame Kroth,

Vous avez écrit les mots "IV Reich" et "retourne à Naziland" etc dans plusieurs blogs (comme le mien). Vous accusez les personnes qui critiquent le gouvernement des militaires au Vénézuéla de "agents de la CIA" etc. Vous ecrivez que Muammar Gaddafi est un démocrat, qu'il est un hero, etc. Pour vous, c'est "l'enemi de mon enemi est mon ami", toujours: voici l'Etats Unis et Israel et les mechants et voilà les bons, qui sont avec le gouvernement actuel du Vénézuela, avec le regime d'Iran, avec le regime de la Syrie. Depuis 2010 vous avez commencé à visiter les blogs et forums qui parlent du Vénézuéla en français ou en allemand. Vous insultez les personnes qui ne sont pas pro-Chávez.
Vous parlez toujours des autres comme de "zioniste-CIA-nazis". S.V.P, ne croyez vous que vous êtez un peu trop obsédée par des théories du complot?
Bien à vous.



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