mercredi 6 juin 2007

Où le ciel et la terre se rejoignent

Photo : Seb

Los Llanos, la région des plaines. Etendues de terres à perte de vue. Seuls les arbres fraîchement reverdis par la saison des pluies viennent interrompre l’évasion du regard vers l’horizon, là où le ciel et la terre se rejoignent. La population y est métissée, la faune et la flore foisonnantes.

"Alcabala", tout le monde descend ! Les barrages routiers viennent vous rappeler fréquemment où vous vous trouvez. Nous sommes à Guasdualito, au fin fond de l’Etat d’Apure. De l’autre côté de la rivière Arauca s’étale le village du même nom, en territoire colombien.

La proximité avec la Colombie voisine (à peine 30 minutes en voiture et un pont à traverser) rend la zone délicate. Guasdualito, El Amparo et La Victoria au Venezuela, ainsi qu'Arauca du côté colombien, sont connus pour la présence de paramilitaires et de guérilleros. Ces derniers mois, des affrontements en pleine rue entre membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et de l’Armée de Libération nationale (ELN) ont éclaté à plusieurs reprises (1). On n’y voit cependant pas de combattants armés ni en uniforme. Du moins pas à Guasdualito, où j’ai passé 3 jours, ni à Arauca où j’ai effectué un passage éclair d’une demi-heure pour renouveler le cachet sur mon passeport.

Il faut dire que la police et l’armée y sont omniprésentes. A Guasdualito, certaines stations essence sont sous la surveillance des militaires vénézuéliens. Le trafic de carburant aux abords de la frontière donne des cheveux gris aux autorités.

Les Forces bolivariennes de Libération

- "Journalistes ? Et vous n’avez pas peur ?"

- "Non, rétorque notre guide, je les ai prévenus"

Le jeune homme qui nous interpelle est en tenue civile mais il porte une arme à la cuisse. Notre guide nous avait en effet prévenus qu’on rencontrerait peut-être des hommes de la guérilla vénézuélienne, les Forces bolivariennes de Libération (FBL).

- "Moi je ne suis pas journaliste. Le journaliste c’est lui !" s’empresse de préciser, en me signalant, l’étudiante espagnole qui m’accompagne… Vive la solidarité !

Après quelques questions l’ambiance se détend. C’est samedi soir, les bouteilles de bière jonchent la table du petit buibui au bord de la rivière. Le soleil se couche, le paysage est digne d’une toile des plus grands peintres. Des hommes chargent des régimes de bananes plantins sur un camion. J’arrache quelques clichés. Les plantations de platanos recouvrent en effet les alentours. Une rafale de bières fraîches passe à notre portée. C’est pour nous !

Photo : seb

- "Je n’ai jamais trinqué avec des Européens" me commente Michael qui a passé son arme à un autre compañero. Il ne m’a pas fallu deux secondes pour lui rétorquer que je n’avais jamais trinqué avec un guérillero.

Michael (c’est comme ça qu’il se fait appeler) a 26 ans. "Nous sommes des jeunes gens comme vous. Nous soutenons le Comandant Chávez. Notre ennemi n’est ni l’Etat ni l’armée régulière. Notre ennemi est extérieur."

Les FBL luttent principalement contre les incursions des paramilitaires colombiens en territoire vénézuélien. Mais ils ont aussi le regard tourné vers le nord et une éventuelle intervention des Etats-Unis. "Si les Gringos se font déjà botter le cul en Irak alors qu’il n’y a que du sable, imagine ce qu’on leur mettrait ici !" s’exclame-t-il fièrement.

La nuit s’épaissit. Bientôt 21h30, Michael et ses compañeros font tousser le moteur de la barque. De notre côté, les nids de poules sur le chemin et l’obscurité nous maintiennent à plus de 45 minutes de la route principale et de là, retour vers Guasdualito. En plus le ciel commence à perler, la pluie s’annonce.

On se sépare, poignées de mains et accolades. "Vous qui venez d’Europe, racontez la vérité sur ce qui se passe ici. Nous luttons pour que notre pays soit libre. Et pas seulement pour le Venezuela, nous sommes latino-américanistes."

Un gamin déambule sur le chemin de terre, insouciant. "C’est pour lui qu’on lutte", ajoute Michael en le signalant du bout du menton. "Moi j’ai une petite fille et c’est pour elle que je me bats. Pour qu’elle puisse avoir un pays meilleur, que je n’ai pas connu. Pas un pays où tout est privatisé et où la seule chose qui prime c’est l’argent…"

Photo : Seb

Ils affirment être 1 600 rien que dans cette région. Un paquet d’hommes qui veillent jalousement sur leur proceso. Michael et ses compañeros s’élancent en glissant sur la rivière. L’horizon les engloutit. Ils iront retrouver le reste de leurs camarades quelque part, là où le ciel et la terre se rejoignent.

(1) Lire aussi (H.) Marquez, "La frontière, une aubaine entre les dangers", RISAL, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1069

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