mercredi 21 novembre 2007

La réforme se jouera dans la rue comme dans les urnes

Article publié sur le site de La Gauche, le 25 novembre 2007


Photo : Seb

Le 2 décembre prochain, les vénézuéliens seront de nouveau appelés aux urnes. Un an pratiquement jour pour jour après la réélection du président Chávez, ils devront cette fois approuver ou rejeter la proposition de réforme constitutionnelle déposée par ce dernier. Depuis quelques semaines les mobilisations ont repris dans les deux camps. La campagne électorale est maintenant bien lancée et celle de désinformation n’a rien à lui envier.

Depuis plusieurs semaines, aux abords de la Place Bolivar à Caracas, on ne fait pas vingt mètres sans tomber sur des volontaires qui distribuent des exemplaires de la réforme constitutionnelle. Retraités, jeunes militants ou étudiantes, ils sont vêtus de rouge et font campagne pour le "oui".

Ce qui frappe, c’est que les partisans du "oui" informent en distribuant la réforme comprenant les 69 articles soumis à référendum. Les partisans du "non", de leur côté, se contentent de slogans et de tracs interprétant les articles du projet constitutionnel à leur manière. On ne distribue pas le projet de réforme dans les quartiers chics de l’Est de Caracas, ou très peu.

Chaque jour, les journaux accueillent eux aussi des publicités défendant l’une ou l’autre position. Dans le quotidien de circulation nationale Ultimas Noticias de ce 19 novembre, on pouvait notamment trouver en page 13 une publicité appelant à voter contre la réforme.

Intitulé "Avec la réforme constitutionnelle, qui gagne et qui perd ?", le document signalait dans un de ses premiers arguments :

"Si tu es mère famille, tu perds ! Parce que tu perdras ta maison, ta famille et tes enfants (les enfants appartiendront à l’Etat). Nous perdons tous quand perdent nos mères". A la fin de cet encadré hautement argumenté, il est fait référence à l’article 112 de la Constitution.

La peur du "castro-communisme"

Mais que pouvait bien contenir cet article ? Muni de ma réforme constitutionnelle acquise gratuitement sur la Place Bolivar, je décidais donc de lire ce fameux article 112 qui sera soumis à référendum :

"L’Etat promouvra le développement d’un modèle économique productif, intermédiaire, diversifié et indépendant, fondé sur les valeurs humanistes de la coopération et la prépondérance des intérêts communs sur les individuels, qui garantisse la satisfaction des besoins sociaux et matériels du peuple, la majeure somme de stabilité politique et sociale y la majeure somme de bonheur possible.

De même, il encouragera et développera diverses formes d’entreprises et unités économiques de propriété sociale, tant directe ou communale qu’indirecte ou d’Etat (1), ainsi que des entreprises et unités économiques de production ou distribution sociale, celles-ci pouvant être de propriété mixte entre l’Etat, le secteur privé et le pouvoir communal, créant de meilleures conditions pour la construction collective et coopérative d’une économie socialiste".

Bref, en manque de leader, d’arguments et de légitimité, l’opposition joue la carte de la désinformation et de la peur en agitant la menace d’un soi-disant "castro-communisme" qu’instaurerait cette réforme.

Une opposition fragmentée

La semaine dernière, lors d’une de ces manifestations tant relayées par les agences de presse internationales, le camp opposé à la réforme n’est pas parvenu à se mettre d’accord sur la position à adopter à moins de deux semaines du référendum.

Les opposants sont fragmentés entre ceux qui pensent qu’il faut voter "non", ceux qui pensent qu’il ne faut pas voter, et ceux qui pensent qu’il faut empêcher la tenue du référendum par n’importe quel moyen.

L’ex candidat à la présidentielle, Manuel Rosales, a même dû quitter la tribune sous la pression des jeunes de son propre parti, l’UNT (Un Nuevo Tiempo), qui contestaient son leadership. La manifestation du "non" s’est donc terminée sans aucun appel à la consigne de vote.

Fait qui illustre, s’il le fallait encore, le peu de cohésion qui règne au sein de cette opposition qui en est réduite au "tout sauf Chávez".

Les étudiants de l’opposition reprennent du service

Ils avaient déjà fait parler d’eux lors de la non rénovation de la concession de la chaîne privée RCTV, en mai dernier (2). Aujourd’hui le secteur des étudiants opposés au gouvernement remet le couvert contre la réforme constitutionnelle.

Ces jeunes issus d’universités privées ainsi que de l’Université Centrale du Venezuela (UCV, publique mais dans laquelle les classes populaires ont un taux de pénétration relativement faible), constituent le fer de lance de cette opposition en mal surtout d’appui populaire.

On a enregistré des affrontements entre étudiants dans certaines régions du pays et notamment le mercredi 7 novembre à l’UCV où des coups de feu ont été tirés et 12 personnes ont été blessées, dont trois par balle. Les circonstances de cet affrontement et les responsabilités qui en découlent restent encore floues.

Le même jour, un groupe d’étudiants qui manifestaient contre le projet de réforme constitutionnelle à San Cristobal, dans l’état de Táchira, ont attaqué la façade du siège régional du Parti Communiste à coup de cocktails molotov.

Et le 26 novembre prochain, l’opposition annonce une manifestation qu’elle a d’ores et déjà appelée "sans retour".

La sortie de l’ex-ministre de la Défense

Dans le camp chaviste, le retournement, le lundi 5 novembre, du général en chef retraité et ex-ministre de la Défense Raúl Isaías Baduel a provoqué de fortes réactions. Qualifié de traître par de nombreux membres du gouvernement, d’autres se sont simplement contentés de se distancer de sa position.

En se prononçant publiquement contre la réforme à peine trois jours après que l’Assemblée nationale ait déposé le projet définitif au Conseil national électoral (CNE), Baduel avait médiatiquement choisi son coup. Certains prétendent qu’il essaie de prendre une place de leader fort au sein de l’opposition. Il était pourtant considéré comme un proche du président Chávez.

Ses affirmations selon lesquelles l’approbation de la réforme constituerait "dans la pratique, un coup d’Etat violant le corps institutionnel" ont réveillé de vieux démons chez certains.

Au sein du gouvernement, l’optimisme règne cependant sur le comportement de l’armée. Ce dimanche 18 novembre, le gouverneur de l’Etat de Miranda, Diosdado Cabello, a écarté la possibilité d’une répétition du coup d’Etat du 11 avril 2002.

Il a estimé qu’il "existe des individualités" au sein de l’armée "comme partout". Mais que "ceux qui espèrent voir émerger des Forces armées un mouvement majoritaire de rejet à la proposition de réforme se trompent".

Diodado Cabello a ajouté que les Forces armées "sont un échantillon représentatif de ce qui se passe au Venezuela. Ce ne sont pas des robots, ce sont des personnes tout comme nous".

De leur côté, les étudiants bolivariens se mobilisent également et appellent à la manifestation ce mercredi 21 novembre à Caracas, en soutien à la réforme. Les quelques jours qui restent avant le référendum du 2 décembre promettent donc d’être agités et le sort de la reforme se jouera dans la rue comme dans les urnes.

Notes

(1) La réforme constitutionnelle introduit différentes formes de propriété, publique, sociale directe ou indirecte, collective, mixte et privée.
(2) Chaîne qui continue d’ailleurs à émettre par satellite.

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